Une nouvelle réforme d'assurance chômage dont l'entrée en vigueur est prévue au 1er février 2023 a été adoptée cet hiver dans une certaine indifférence. Son objectif d'ensemble est de faire pression sur les salariés pour qu'ils acceptent et conservent des emplois à des conditions de travail et de rémunération dégradées. Sa principale mesure consiste à réduire d'un quart la durée des droits à indemnisation de l'ensemble des allocataires.
Cette réduction sans précédent de la durée des droits va avoir sur les allocataires des effets d'appauvrissement et d'augmentation de la pression au retour à l'emploi. Ces effets seront encore exacerbés par les dispositions inscrites dans la réforme des retraites dont les principaux contours ont été annoncés par Elisabeth Borne le 10 janvier dernier. Cette réforme prévoit une accélération de l'allongement de la durée de cotisation à 43 ans et un report de l'âge légal de départ à 64 ans.
Rappelons que parmi les chômeurs, seuls les demandeurs d'emploi indemnisés cotisent pleinement pour leur retraite ; les chômeurs non indemnisés ne valident des trimestres que sous des conditions restrictives. D'un côté, en réduisant la durée des droits à indemnisation, la réforme de l'assurance chômage diminue le nombre de trimestres cotisés par les personnes qui connaissent des épisodes de chômage. De l'autre, la réforme des retraites augmente le nombre de trimestres nécessaires pour parvenir à toucher une pension de retraite à taux plein et reporte l'âge de départ.
Dans la mesure où les périodes d'insertion pour les jeunes sont de plus en plus longues et les passages par le chômage dans une carrière de plus en plus fréquents, ces deux réformes auront des effets sur un très grand nombre de salariés et particulièrement sur les femmes qui sont déjà plus nombreuses à ne pas parvenir à réunir les trimestres de cotisation pour une carrière complète. Elles vont conduire à une augmentation du nombre de séniors sans emploi ni retraite (NER) qui, pour 30 % d'entre eux, vivent sous le seuil de pauvreté[1]. Pour mémoire en 2019, seuls 55 % des nouveaux retraités du régime général (le régime de base des salariés du privé) avaient validé au moins un trimestre au titre de l’emploi l’année précédente[2]. Les autres n’avaient validé aucun trimestre (25 %) ou des trimestres au titre du chômage (11 %) ou de l’invalidité (7 %).
À court terme, les travailleurs et encore plus les travailleuses de plus de 53 ans seront les plus touchés par le cumul des deux réformes. Dans l'assurance chômage, des dispositions spécifiques existent pour les seniors. Pour tenir compte du fait que les seniors ont moins de chances de retrouver un emploi que les salariés plus jeunes en raison des pratiques de recrutement des employeurs et de leurs conditions de santé dégradées, leur durée d'indemnisation est plus longue. Actuellement, un demandeur d'emploi indemnisé de plus de 55 ans a droit à 36 mois d'indemnisation au maximum.
Après le 1er février, ce sera 27 mois maximum. C'est presque un an de protection supprimé et jusqu’à quatre trimestres de moins cotisés pour la retraite. Sous des conditions restrictives, les droits au chômage sont prolongés pour les chômeurs indemnisés qui ont dépassé l’âge légal mais pas atteint le taux plein. Cette protection risque d’être mécaniquement réduite par le report de l’âge à 64 ans : la plupart des chômeurs seniors épuiseront leurs droits à indemnisation – désormais raccourcis - bien avant d’atteindre cet âge.
Le gouvernement aime à dire que le "plein emploi" est à portée de main, laissant entendre que les chômeurs auraient fait le choix du chômage. Pourtant, les chiffres concernant le chômage et l’inactivité des seniors apportent un démenti cinglant. Ainsi, en 2018, parmi les personnes de plus de 50 ans au chômage, 57,7 % l'étaient depuis plus d'un an (41,5 % pour l'ensemble des chômeurs) et 38 % depuis au moins deux ans (22 % pour l'ensemble des chômeurs)[3]. Découragés et / ou dans l’impossibilité d’occuper un emploi en raison de leur état de santé, de leurs difficultés à être mobiles, en 2019, parmi les personnes encore en emploi à 50 ans, une personne sur cinq est ainsi sans emploi ni retraite à 61 ans[4].
Que ce soit en matière de retraite ou de chômage, les droits à la protection sociale sont devenus de plus en plus dépendants de la carrière. Les salariés doivent remplir des conditions de durée de cotisation qui sont inaccessibles pour un nombre croissant d'entre elles et eux. Non seulement ce renforcement de la contributivité a des effets cumulatifs qui réduisent les droits au chômage comme à la retraite mais il tient pour acquis l'idée que les salariés seraient individuellement responsables de ne pas parvenir à cotiser.
Signataires :
Baptiste Françon, MCF en économie (université de Lorraine)
Anaïs Henneguelle, MCF en économie (Université Rennes 2)
Sabina Issehnane, MCF en économie (Université Paris Cité)
Jean-Marie Pillon, MCF en sociologie (Université Paris Dauphine)
Claire Vivès, Sociologue, Ingénieure de recherche (Cnam)
Michaël Zemmour, MCF en économie (Université Paris 1)
[1] Aurélien D’Isanto, Jérôme Hananel, Yoann Musiedlak (2018, septembre). Un tiers des seniors sans emploi ni retraite vivent en dessous du seuil de pauvreté. DRREES, Études et résultats, 1079.
[2] COR 2022, tableau 5.1.
[3] Enquête emploi, citée par l’avis du CESE de juin 2020.
[4] Enquête emploi, calcul auteurs.