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Billet de blog 4 février 2014

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A Shanghai, le dieu Argent frappe fort à la porte de l'Année du Cheval

8h24 ce 4 février 2014. Les derniers soubresauts d’une nuit follement agitée n’en finissent pas de résonner dans la ville. Derniers snipers tirant comme des dératés. Derniers desperados du pétard et des feux en tous genres. Le calme revient, ou presque, après douze heures de vacarme.

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8h24 ce 4 février 2014. Les derniers soubresauts d’une nuit follement agitée n’en finissent pas de résonner dans la ville. Derniers snipers tirant comme des dératés. Derniers desperados du pétard et des feux en tous genres. Le calme revient, ou presque, après douze heures de vacarme.

Traditionnellement, chaque cinquième jour de l’An, Shanghai et la Chine tout entière célèbrent avec faste le Dieu Argent. Déjà, le 31 janvier les pétards avaient fait le premier boulot : éloigner dans une cascade d’explosions les mauvais esprits et autres démons. Ce qui fut fait.

Aucune comparaison, cependant, avec ce qui nous attendait la nuit dernière.

21h. Les premiers feux, presque timides, ressemblent à la joyeuse kermesse de notre 14 juillet. Sauf que chez nous, le bouquet final advient après une demie heure, trois quart d’heure tout au plus…Ici, tout au contraire, chaque nouvelle salve tirée d’un quartier semble provoquer la réponse de dix autres, puis vingt, puis trente…22h. 22h30. Le dieu Argent se réjouit déjà de se voir si bien accueilli.

Un autre heure passe. La rumeur ne cesse d’enfler. Elle devient grondement, rugissement. Si les premiers feux, cachés par la multitude de gratte-ciels qui nous entourent – j’écris, pour les aficionados, du sud de Xin Tiandi – étaient à peine visibles, la charge nouvelle secoue déjà la mégalopole, elle galope aux cinq points cardinaux.

Vers 23h, changement de braquet. Embrasement.

Envoyez les couleurs ! Oh la belle verte ! Oh la bleue, la rouge, la rose ! Impossible de compter les dizaines de feux qui montent à l’assaut de Puxi et de Pudong, là-bas, sur l’autre rive du Huangpu. Shanghai sous un pilonnage d’enfer. Tous aux abris !?

A 23h45, le volume visuel et sonore atteint une puissance telle que chaque corps subit son propre bombardement. Notre immeuble, 30 étages (moins ceux qui portent malheur, comme le 13 et le 14, deux fois la mort en shanghaien) semble s’enflammer. Les feux montent à l’assaut, viennent lécher les façades.

Au nord, vers la rue Huai Hai, ancienne avenue du Maréchal Joffre, une longue traînée de lumière incandescente joue les dragons. Au sud, c’est un déluge d’éclairs, de tonnerres, un tsunami orchestré…par qui au fait ?

Par vous, par nous, par les associations de quartiers, par les restos, les petits cadres du Pcc, les laobaixing (le petit peuple) et les nouveaux richards qui se tapent la cloche.

Minuit. O combien de décibels, combien de lux…Bien sûr, chacun veut saisir la Frénétique Turbulence, avec qui son portable, qui son numérique, qui sa caméra, mais à quoi bon ? Cette fureur est indicible, impossible à capter. Et tellement loin de nos us et de nos coutumes. (Juste une image ici, mais si pauvre. Une misère). 

Les tirs dans tout Shanghai sont si puissants que l’ « hénaurme » charivari va, pendant une bonne heure, se transformer en un étrange matelas, si épais, formé de mille sons, vibrations, éclats, tohu-bohus, sifflements, vrilles…

Oui, la voici bien la fête au Dieu Argent. Pourtant, les mots qui nous viennent à l’esprit renvoient tous à la guerre. « C’est Verdun ! C'est Dien Bien Phu! C’est Sarajevo ! »

Plus tard, lorsque l’excitation sera retombée, se poseront d’autres questions. Ces feux sont-ils tirés avec une allumette ? Sont-ils programmés ? Les uns et les autres nous diront des amis chinois. Et leur coût ? Faramineux ou dérisoire, allez savoir. Qui paie ? Tous et chacun. Car de cette «participation aux frais » pour honorer le dieu Argent, dépendent les succès à venir, les parts de marché, les Ferrari ronflantes, les yachts, la dolce vita auxquels tous les Chinois aspirent. Le vieux Mao, dont on vient de fêter, le 26 décembre dernier, le 120ème anniversaire de sa naissance, doit se retourner dans son mausolée !

Dernière note : il y a, dans cette joyeuse gabegie, dans cette orchestration anarchique et grandiose, dans ce foisonnement électrique, dans ce jeu un rien terrifiant, une beauté sauvage, rude, une folie aussi, un jusqu’auboutisme, une énergie qui reflètent à merveille le génie de ce peuple.

PS. En hommage à mes amis du Groupe F, Christophe Berthonneau en tête, qui donnèrent ici, pour l’ouverture de l’Année de la France en Chine, voici bientôt dix ans, un mémorable spectacle pyrotechnique et musical. Souvenirs, souvenirs…

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