Plusieurs évoquaient justement ces jours-ci la façon dont l'actuel Président joue avec la crise morale -que Martine Aubry analyse- et s'emploie ainsi cyniquement à faire monter dans les sondages la candidate du Front national avec le but d'écarter la gauche du deuxième tour. Martine Aubry axe justement la présentation du programme autour de ce qui est la première parade à ce risque : la lutte contre les injustices. Injustices sociales certes auxquelles s'attaque une nouvelle politique d'éducation, de logement, de lutte contre le chômage des jeunes, mais aussi injustices liées à l'inégalité que doit combattre à la fois une réduction de l'écart des revenus et l'instauration d'un salaire maximum, et également un système d'imposition nouveau "fusionnant l'impôt sur le revenu et la CSG et rétablissant une véritable fiscalité du patrimoine". Injustice enfin au sens de défaut de justice quand le manque de moyens ne conduit pas à une "sanction juste, proportionnée et rapide" du moindre délit".
Evidemment, cette justice nouvelle -Martine Aubry en est bien consciente- ne peut s'appuyer que sur un redressement économique, dont elle résume les moyens et ne peut se perpétuer que "dans une autre société fondée sur un autre modèle de croissance". Au moment où Martine Aubry présente le programme du candidat socialiste, elle préface un livre où cinquante chercheurs et intellectuels s'emploient à trouver pour notre siècle une alternative au néolibéralisme dans tous les domaines, de l'existence individuelle à la "société-monde".
Cette réflexion du PS qu'elle impulse et dont il faut remonter aux année 70 pour trouver l'équivalent, ce programme où elle a présidé à tous les arbitrages et qu'elle présente la première ne la qualifient-elle pas clairement pour être la candidate du parti socialiste ? A la fin de son interview Martine Aubry se dérobe à une question que de plus en plus de Français considèrent urgente. Quand on lui demande : "est-ce le projet du PS ou celui de la candidate Martine Aubry ?", elle répond : "C'est le projet pour faire gagner notre candidat."
Ce candidat, il faut que ce soit elle. Bien sûr, il y a les primaires programmées et tout membre du Parti socialiste ne peut être que candidat à l'investiture. Mais justement Martine Aubry ne l'est même pas, à la différence de Ségolène Royal, de François Hollande et de Manuel Valls. Cette réserve, ce retrait ne peuvent plus durer.
Pour au moins trois raisons.
La première raison est que Martine Aubry est la mieux placée pour rassembler la gauche et la faire gagner. Son élection au premier secrétariat du PS a pu être contestée mais elle était de toute logique politique puisqu'elle réalisait la synthèse entre l'aile droite strauss-khanienne et l'aile gauche hamoniste. La façon dont Martine Aubry a mené la bataille des Régionales, ses prestations dans les émissions politiques, ses discours dans les meetings, son dialogue avec les autres dirigeants de gauche ont assuré la victoire des forces progressistes et l'ont fait reconnaître par tous comme le chef de l'opposition. Ce chef de l'opposition a su aussi être le porte-voix au sein de la classe politique du grand mouvement social de protestation contre la réforme des retraites.
Mais ce n'est pas seulement parce qu'elle est la meilleure candidate que Martine Aubry doit se déclarer. C'est parce qu'elle est attendue, parce qu'elle manque. Les socialistes, au-delà d'eux les sympathisants de gauche, au-delà d'eux encore tous ceux qui, tout en refusant la droite extrême, ne veulent plus du sarkozysme ou d'un social-libéralisme qui lui ressemblerait, ont besoin d'une personne maintenant, d'un nom autour duquel se rassembler. Ils en ont marre de voir l'immense espoir du changement dont ils sont les premiers moteurs déconsidéré, moqués parce qu'ils sont incapables d'énoncer avec assurance le nom de celui ou de celle qui va le porter demain. Eh quoi ! Ils ont un programme : le meilleur certainement entre le souhaitable et le possible. Ils ont une femme de trempe pour le défendre. Et cette femme se refuse encore à dire qu'elle veut le porter aux présidentielles !
La société des medias est impitoyable et la langue du peuple n'est pas tendre. En tardant, Martine Aubry ne peut que se déconsidérer. Si justes que soient ses mobiles profonds, on ne retiendra que les mauvaises apparences. Une roublardise de tacticienne peut-être. Une coquetterie mal à propos. La peur d'un engagement qui semblait avoir déjà freiné son père. La crainte d'être la cible choisie d'attaques sans pitié, ni décence.
Ces attaques-là il est vrai, on les sent bien venir. Au moment où la voix de la France est molle et cafouilleuse, Martine Aubry clame-t-elle que l'on doit donner raison aux peuples arabes de se révolter contre leurs didacteurs : on l'accuse de saboter la diplomatie française. Fait-elle un lapsus sur un mot, on s'en empare pour y trouver matière à des articles. Présente-t-elle à l'écran, avec rigueur et pertinence, la critique des socialistes face aux manoeuvres remaniantes de Sarkozy, on ne considère que le taux d'audience de l'émission où elle intervient, on fait le compte de ses sourires, on recule jusqu'à la sottise les limites de la frivolité. Mais si les professionnels de l'attaque mesquine s'en donnent à coeur joie, l'opinion populaire laissée à sa frustration se lasse : Martine Aubry baisse dans les sondages.
Martine Aubry, vous devez le savoir, c'est l'espoir de la gauche qui baisse aussi. Vous avez été en ce siècle l'artisan de son unité et d'une première victoire. Sans vous, je crains fort qu'elle s'entredéchire, cherchant en vain une légitimité qui s'impose. Les primaires socialistes ne sont pas avant six mois et les présidentielles déjà dans quatorze. Il faut qu'on puisse savoir dès maintenant que vous voulez y être.
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