Nāgara (avatar)

Nāgara

Citoyenne en action

Abonné·e de Mediapart

6 Billets

0 Édition

Billet de blog 28 août 2014

Nāgara (avatar)

Nāgara

Citoyenne en action

Abonné·e de Mediapart

Keynes reviens, il y a urgence ...

Nāgara (avatar)

Nāgara

Citoyenne en action

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le PS, et le gouvernement actuellement au pouvoir, sont dirigés par des politiques formés dans nos meilleures universités et écoles (HEC, ENA, Sciences Politiques, pour n’en citer que les principales).

Il est difficile de comprendre pourquoi ces responsables ont pu autant oublier les enseignements fondamentaux qu’ils ont reçu concernant les mécanismes économiques préconisés par les intellectuels proches de leur sensibilité, pour gérer une situation de crise économique comme celle que nous traversons. 

N’importe quel étudiant en économie a assimilé après 2 ou 3 années d’études que les deux moyens privilégiés de lutter contre la déflation (= le ralentissement de l’activité) sont la mise en place de politiques monétaire et budgétaire adaptées.

La pertinence des analyses de Keynes, qui ont largement inspiré les politiques de Roosevelt qui ont permis de sortir les Etats-Unis de la pire crise économique de leur histoire, mais qui ont également largement inspiré les politiques publiques notamment Françaises des années 1946 – 1968, n’est plus à démontrer. Les résultats sont là.

En ce qui concerne la politique monétaire, Keynes prône une augmentation raisonnable de la masse monétaire. Cette augmentation de la quantité d’argent en circulation, générée par l’augmentation des crédits bancaires accordés à l’économie, est une condition essentielle à la montée des prix, et favorise donc l’inflation.

Il est utile de rappeler que le taux d’inflation universellement utilisé ne repose que sur la simple mesure de l’augmentation constatée des prix à la consommation d’un panel de produits et services, supposés globalement homogènes dans le temps. C’est le cas en France avec l’indice INSEE des prix à la consommation.

Or cette dernière hypothèse, la supposée constance ou faible variation dans le temps de la nature de produits et services mesurés, est totalement fausse : pour prendre quelques exemples, comment mesurer par le taux d’inflation la disponibilité de fruits exotiques ou hors-saison sur nos marchés ? Comment mesurer par le taux d’inflation les nouvelles fonctionnalités introduites dans les nouveaux modèles de machines à laver ?  Comme intégrer dans le taux d’inflation les nouveaux produits et usages, par exemple issus des nouvelles technologies ? Comment mesurer par le taux d’inflation les progrès de science, par exemple de la médecine ?

Sur la base d’une inflation quasi-nulle, causée par une politique monétaire restrictive et qui ignore cette réflexion, la mesure du ‘taux de croissance’ effectuée actuellement est  une approche notoirement incomplète et fausse : la ‘croissance’ porte sur des objets dont, sans pratiquement aucune exception,  la nature s’améliore en permanence –grâce au progrès-. Cette approche ignore que le progrès est plus important que la croissance quantitative, que la qualité prime sur la quantité. 

Fondamentalement, l’inflation permettrait de ne pas limiter –comme on le fait  actuellement- l’analyse de la performance économique à la mesure aussi simpliste qu’obsessionnelle du soit-disant indice de ‘croissance’, qui –avec une inflation quasi nulle- porte essentiellement sur l’augmentation  quantitative de la production et non sur son amélioration qualitative. Une inflation effective obligerait à réfléchir à la nature de cette croissance, et au progrès associé.

L’inflation doit donc être considérée –a minima pour partie !!!- comme la reconnaissance du progrès, puisqu’elle donne le droit à un produit qui a intégré des améliorations intrinsèques, d’augmenter sa valeur marchande (son prix) ; par ce biais, l’inflation induit une dynamique positive, indispensable en temps de crise où la difficulté majeure est de réinstaurer un climat de confiance par tous, puisqu’elle quantifie l’augmentation de la valeur de la production : le plus grave est que le taux d’inflation très faible ou nul actuel induit une pensée négative, en niant tous les progrès réalisés mais intégrés dans aucun indice. Cette inflation nulle favorise largement un climat délétère, ne pousse pas les acteurs économiques (producteurs ni consommateurs) à travailler et investir dans leurs futur, et participe largement à la morosité ambiante.

Une inflation modérée est aussi justifiée par une raison plus technique, qui devrait avoir particulièrement retenu l’attention des responsables politiques de gauche sus-évoqués.

Pour reprendre directement les propos d’un des principaux économistes Keynésiens du XXème siècle, Nicholas Kaldor, « casser l'inflation se fait toujours au détriment de l'emploi ». Tous les économistes ont en mémoire le modèle IS/LM, et les analyses  associées, qui participent à démontrer qu’il n’y a aucune raison que l’équilibre de sous-emploi n’existe pas, en particulier avec un taux d’inflation faible …  A l’inverse, l’inflation modérée favorise l’emploi.

Pour oser rappeler un des principes de l’analyse marxiste de l’économie de marché, il est essentiel dans un modèle capitaliste que l’offre de travail soit supérieure à la demande, pour que le marché puisse faire pression à la baisse sur le coût du travail (= les salaires et les charges sociales). Ceci doit probablement évoquer quelque chose aux 27 millions de travailleurs,  24 millions de salariés,  3,5 millions de chômeurs français actuels…

Il est absolument inexact d’évoquer la responsabilité exclusive des traités européens et de la BCE sur le gel de la masse monétaire, en Europe et en France.

Les avis personnels qu’a eu Monsieur Trichet sur le sujet ne sont pas force de loi. Contrairement à l’analyse libérale, le marché du crédit n’est pas régit que par les taux (= les prix), mais beaucoup plus par les règles d’octroi des crédits par les banques aux acteurs économiques privés (conditions de ‘solvabilité’) : par définition, l’offre de monnaie est infinie.

Les mécanismes bancaires nationaux de développement du crédit existent donc parfaitement, la volonté politique de le mettre en œuvre, non.

En ce qui concerne la politique budgétaire, Keynes a été le champion de la pensée concernant le rôle d’investisseur de l’état (au-delà de son rôle évidemment essentiel de régulateur). Il a montré que le déficit budgétaire était non seulement une arme essentielle en temps de crise, mais qu’il était une variable d’ajustement des politiques économiques.

La cible d’un déficit strictement limité à 3% du PIB a été fixée de manière parfaitement arbitraire, pour une durée indéterminée, dans le contexte de plus de 25 politiques publiques différentes. Ceci est complètement aberrant.

Dans des contextes de budgets publics dont plus de 95 % de la dépense est reconduite sur les mêmes postes d’une année à l’autre, seul le déficit permet une action effective de relance. Ces déficits, gérés en parallèle des politiques du législateur en matière de priorités sectorielles, et de priorités d’aménagement du territoire, ont d’ailleurs été entre 1946 et 1968 à la base du développement de nos capacités économiques dans la plupart des secteurs industriels qui font encore notre force aujourd’hui : énergie, transports, ‘utilities’ pour n’en citer que trois.

Keynes a été le premier à oser exprimer clairement que le cumul des déficits budgétaires n’avait pas une grande importance, dans la mesure où la dette reste détenue par un système bancaire sous contrôle (cf contre-exemple actuel de l’Argentine …). Un des intérêts –et non des moindres- d’une politique monétaire modérément inflationniste (cf paragraphe précédent) est d’ailleurs de diminuer cette dette, qui, considérée d’un point de vue monétaire, détenue par des établissements bancaires, n’est d’ailleurs qu’une participation au processus de création monétaire : cette dette publique -compte tenu de la nature particulière de l’Etat- a vocation à ne JAMAIS être remboursée, contrairement aux dettes bancaires contractées par les autres agents économiques, notamment les entreprises et les ménages- dont le volume global de la dette reste a minima constant –ou augmente en cas d’inflation-, mais dont le système bancaire doit être garant du remboursement des crédits par un agent eu profit d’un autre en fonction des règles de fonctionnement de la micro-économie.

La plus fameuse citation de Keynes, ‘à long terme, nous sommes tous morts ‘, explicite sa pensée sur ce sujet sur ce non-remboursement de la dette de l’Etat.

Pour l’illustrer de manière pratique à travers 2 cas, qui se soucie actuellement des retombées du non-remboursement de l’emprunt Russe au début du XXème siècle ? (pourtant consenti près de particuliers et non du système bancaire …) Qui se soucie –même à ce jour- des modalités d’annulation des 30 milliards d’Euro de dette publique grecque il y a 2 ans ?

Nos amis américains, qui ont compris ce point –bien avant nombre d’Européens- depuis le Plan Marshall (qui a donné naissance à l’OCDE), sont parmi les champions du monde des déficits publics. Les gesticulations politiques sur ‘la dette laissée à nos enfants’ ou sur ‘le trou de la Sécurité Sociale’ (qui par ailleurs couvre chaque année plus de 90 % de ses dépenses par ses recette directes) sont également absurdes ; elle sont émises par des incompétents ou servent des fins partisanes, et ne se basent sur pas une analyse rationnelle des faits et des chiffres.

Là encore, il est inexact d’évoquer la responsabilité exclusive des traités européens sur la limitation du montant de notre déficit budgétaire –même si l’on peut déplorer que nos responsables politiques, théoriquement conseillés par des économistes compétents, aient signé des accords contenant de telles absurdités- : la vrai question à se poser concerne la conséquence du non-respect de cette clause absurde ; or comme de toute évidence -la réponse étant dans la question- tous les pays signataires ne pourront se prévaloir de son respect, les exceptions deviendront la règle, la conséquence de ce non-respect des 3% sera donc faible ou nulle.

Il s’agit donc là aussi de volonté politique que de définir une véritable politique d’investissement public, fondée sur une politique industrielle claire et visionnaire, et d’y associer le déficit budgétaire raisonnable nécessaire, en s’affranchissant totalement de cette limite absurde de ces 3% complètement déconnectés de toute réalité.

En synthèse : 

Il est urgent de relancer l’économie par une politique de création monétaire mesurée, centrée sur la distribution de crédit par le système bancaire, en priorité aux ménages (relance par la consommation), et supportée par le biais du financement d’un déficit budgétaire largement supérieur aux 3 % actuels ;

Il temps de remettre en questions les hypothèses stupides qu’on essaie de nous faire prendre pour des dogmes, en nous les répétant sur le principe de la méthode Couet, à savoir qu’une inflation nulle (voire négative !!!!!!!) et un taux de croissance fort seraient signes de bonne santé économiques ; ces indicateurs sont juste signes d’une politique austérité et d’un climat délétère, qui  font peut être le bonheur de certains privilégiés mais ne participent certainement pas au progrès ni à un climat de bonheur pour l’ensemble de la population.

Il est urgent que nos responsables politiques de gauche qui président aux destinées actuelles du pays prennent conscience du décalage entre la politique monétaire et la politique budgétaire qu’ils appliquent, et celle que préconisent les intellectuels de leur sensibilité –Keynes en tête-, dont le réalisme et l’efficacité sont largement attestés par l’histoire passée et par l’analyse des politiques réellement mises en œuvre dans d’autres pays.

Il est urgent que nos responsables politiques de gauche réalisent qu’ils ont parfaitement les moyens de mettre en œuvre ces politiques nouvelles : il ne s’agit pas de remettre en question l’Europe, ni encore moins l’Euro. Il s’agit de souligner que nous avons parfaitement la latitude de changer notre politique économique –et en particulier nos politiques monétaires et budgétaires- dans les cadres législatifs et réglementaires en vigueur, –contrairement à ce que font croire pour justifier d’une incapacité à changer de cap, ces même économistes qui ont favorisé la signature des traités et des clauses complètement absurdes (3%) qu’ils évoquent -.

Ce qui a fait la force de notre pays est sa capacité à mettre en avant des idées novatrices, à développer un Secteur Public fort, soutenu par une politique publique forte. Notre incapacité à continuer dans ce sens participera indéniablement à notre affaiblissement collectif.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.