C'est fou ce qu'on peut signer, en ces jours difficiles ; on a beau savoir ce qu'il peut y avoir de parfois dérisoire dans cet activisme pétitionnaire, et connaitre les grasses plaisanteries de ceux qui agissent sur ceux qui ne font que signer des pétitions, il n'empêche qu'on ne peut que s'indigner devant tant de violations, grandes et petites, de ce qui faisait notre pacte républicain. Chaque jour apporte, sur nos messageries, des appels relayés par tous nos correspondants à joindre notre voix à tous ceux qu'indigne la régression que nous vivons dans tant de domaines.
Et voici que je trouve, à mon retour d'une escapade de quelques jours, un message qui m'est adressé par (ou au nom de) trois enseignants à qui une vilaine mésaventure est arrivée. Alors qu'ils partaient pour un voyage à Kinshasa où ils allaient participer à un colloque organisé par l'Agence universitaire de la Francophonie et qui portait sur "la culture du dialogue et le passage des frontières", ils ont osé protester contre la façon très musclée dont étaient reconduits dans leur pays, contre leur volonté, par la police française, deux africains. L'un de ces jeunes gens a été immédiatement placé en garde à vue, et ses deux collègues l'ont été à leur retour de Kinshasa. Ce n'est évidemment pas la première fois que ceci se produit.
Mais sans que cela ait forcément déclenché une levée de bouclier. Mais là, voyez-vous, il s'agit d'enseignants qui, comme l'aurait dit Bourdieu, appartiennent à la noblesse d'Etat, normaliens, agrégés. Bon, quand il s'agit d'un quidam qui proteste, d'une simple retraitée, on n'en fait pas tout un fromage. Mais là quand même, il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Fance et nous sommes invités à réfléchir à ce que cela implique que de mettre des "philosophes en garde à vue" et ces "philosophes", entre autres questions, se demandent et nous demandent si "la politique d'immigration de N.S. qui engage notre responsabilité historique mérite d'être soutenue ". Moi, je pensais, bien avant cette triste affaire, pour des raisons de principes, que cette politique était indigne mais, il est vai, que je ne suis philosophe que par boutade. Il est vrai aussi que je ne sais pas si j'aurais accepté d'aller parler, sur place, là où des hommes et des femmes qui colloquent généralement assez peu, occupés qu'ils sont à survivre, n'ont d'espoir que dans un départ pour ce qui leur parait un eldorado, d'un sujet aussi universitairement correct et euphémisé que "la culture du dialogue et le passage des frontières" !
Je ne mets pas un seul instant en doute la sincérité de l'indignation de mes jeunes camarades, je trouve plutôt mal venu qu'ils la mettent en ligne sous ce titre dont le ridicule leur a visiblement échappé "philosophes-en-garde-a-vue. blogspot.com", comme si le fait qu'on mette en garde à vue des "philosophes" rendait plus grave la dérive policière de ce régime. On met beaucoup de gens en garde à vue par les temps qui courent ; à Bordeaux, par exemple, une jeune femme de mes amies s'est retrouvée en garde à vue toute une nuit pour avoir bu quelques verres et voulu rentrer en vélo chez elle : aux policiers qui l'avaient arrêtée, elle a dit qu'elle pouvait rentrer à pied chez elle, qu'elle leur confiait même son vélo;, mais on ne plaisante pas avec ce sujet, "au poste", etc, interrogatoire, fouille et toutes ces délicatesses que savent inventer les policiers quand ils se savent couverts par leur hiérarchie.
De"philosophes" ou de simples particuliers, la mise en garde à vue systématique est une atteinte intolérable à nos libertés fondamentales.