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Qu’une épée venteuse
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Méditant Faust j’ai commencé à bien mieux voir où j’allais. Puis j’ai beaucoup souffert par compassion pour Marguerite, vraie rédemptrice face à Faust qui échoue, mais se sauve, lui aussi, par la grâce de Marguerite. Quelle fin terrible pour le premier Faust. Marguerite dans ce cachot, à demi-folle...
Voilà ce que dit Jung dans l’Épilogue à Psychologie et Alchimie:
En un certain sens, les anciens alchimistes étaient plus près de la vérité de l’âme lorsqu’ils s’efforçaient de libérer l’esprit ardent des éléments chimiques et traitaient le mysterium comme s’il s’était trouvé au cœur de la nature obscure et silencieuse. Il était encore en dehors d’eux. Mais l’évolution de la conscience vers un niveau supérieur devait tôt ou tard mettre un terme à la projection et restituer à la psyché ce qui était psychique depuis le commencement. Cependant, depuis le siècle des lumières et à l’époque du rationalisme scientifique, qu’était devenue la psyché ? Elle avait été identifiée à la conscience, elle était « ce que je sais ». Il n’y avait d’autre psyché que le moi. Par suite, il était inévitable que le moi s’identifiât aux contenus provenant du retrait des projections. Il était bien révolu le temps où, pour sa plus grande partie, la psyché était encore « à l’extérieur du corps » et imaginait ces maiora (ces choses plus grandes) que le corps ne pouvait pas saisir. Les contenus jadis projetés ne pouvait donc apparaître que comme appartenant en propre à la personne, comme les phantasmes chimériques d’un moi conscient. Le feu se refroidit en air, et l’air devient le vent de Zarathoustra et provoqua une inflation de la conscience qui ne pouvait manifestement être réprimée que par les plus redoutables des catastrophes qui puissent frapper une civilisation, précisément par ce déluge que les dieux envoyèrent sur l’humanité inhospitalière.
Et avant :
Le péché de Faust était l’identification avec ce qui devait être transformé et qui avait été transformé. L’erreur de Nietzsche fut l’identification avec le surhomme, Zarathoustra avec la partie de la personnalité parvenant à la conscience.
Et puis :
Ce que nous pouvons apprendre de nos paradigmes, c’est avant tout que la psyché renferme des contenus, ou est soumise à des influences, dont l’assimilation comporte les plus grands dangers. Puisque les anciens alchimistes attribuaient leur mystère à la matière et que ni Faust ni Zarathoustra ne nous encouragent à incarner en nous-mêmes ce mystère, il ne nous reste probablement pas d’autre possibilité que celle de répudier la prétention arrogante de la conscience à être la totalité de la psyché et admettre que cette dernière est une réalité que les possibilités actuelles de notre entendement ne nous permettent pas de saisir. Je ne considère pas celui qui admet son ignorance comme un obscurantiste, l’obscurantiste est bien plutôt celui dont la conscience n’est pas encore suffisamment développée pour qu’il soit conscient de son ignorance.
En terme alchimique, ce qui m’aura coûter le plus, c’est la separatio. De la pierre encéphalique d’un serpent, naît une seconde tête. C’est un vieux rêve - ou cauchemar.
Pour en revenir à Nietzsche, dans Aurore - il entre dans l’errance, encaisse la rupture avec Wagner, puis quitte l’enseignement, s’isole à ses dépends -, voilà ce qu’il écrit dans l’avant-propos :
Ne croyez surtout pas que je veuille vous inciter aux mêmes audaces ! Ou simplement, à la même solitude ! Car celui qui marche ainsi sur ses voies propres n’y rencontre personne : cela tient à la nature de ces « voies propres ». Personne ne vient l’aider dans son entreprise : dangers, hasards, méchancetés et tempêtes, tout ce qui l’assaille, il doit le surmonter lui-même. C’est qu’il a son chemin à lui – et, bien sûr, l’amertume, le dépit que lui cause à l’occasion cet « à lui » : auxquelles contribue par exemple, le fait que ses amis eux-mêmes ne peuvent deviner ni où il est ni où il va, et qu’ils se demanderont parfois : « Eh quoi ! Avance-t-il seulement ? Suit-il encore – une voie ?
L’héroïsme aristocratique... J’en ai que trop soupé. Je sais pourquoi, tenant toujours une épée pour me défendre, j’étais prédisposé à verser dans un nietzschéisme - encore que prolétarien. La jeunesse est passée. Le moi n’a pas cette prétention. Ce qui me subjugue dans le mystère ce n’est pas la puissance, c’est le commun. Ce qui est là, partout, mais fuyant justement devant la puissance. L’humble s’en saisi sans s’en rendre compte parfois.
« Prends ce qui est foulé aux pieds, sur le fumier, sans quoi tu tomberas sur la tête lorsque tu voudras monter sans escalier ».
« Un poète ça sent des pieds, on lave pas la poésie »
Qu’est-ce que c’est que ce à lui ? Dans l’Antéchrist, il avoue lui-même, trop tard, l’artiste qui a vraiment quelque chose à partager le fait comme un médium. Pourquoi est-ce « à lui » ? Il n’a fait que courir désespérément toute sa vie derrière ce domaine qu’il voulait « sien ». On sait comment ça se termine. Il courrait vite. Ce derrière quoi il courrait ne lui appartenait pas.
Je bois ma bière, dans un bar, bondé, je regarde un match de foot, on est ivre et on fume et je pense : « ceux qui courent le plus vite derrière le ballon (une sphère comme une autre), ne sont pas ceux qui possèdent le ballon, c’est bien ça le football. » Tout le monde rigole, et moi je rigole à la santé perdue des philosophes.
Je me retourne sur ma vie: il est loin le temps où je risquais de me perdre en moi- même. De trop grandes espérances vont toujours tenues par la taille avec de grandes tentations. Je ne deviendrai pas « malade ». Je suis même en forme. La tension nerveuse a brûlé avec le fils inachevé de Faust. Je ne cours plus après aucune Hélène. Je sais à quoi m’en tenir avec moi- même. Le poison de la source, à la Mater Genitrix - ou la Soror Lacrimosa.
Puis dans son Zarathoustra, Nietzche dit bien lui-même : L’ami c’est celui qui devine. Alors quoi ? Il n’a pas eu d’ami à la hauteur de sa définition ? Le pauvre... Non ce n’est pas ça. Il finit par dire cette ânerie: apprenez à bien me lire. Mon cul, il aurait fallu qu’il apprenne à bien se lire lui-même. J’ai pitié de cette âme. Quand il renie la compassion, que rejette-t-il sinon la possibilité de laver sa plaie... Si la compassion disparaissait, que resterait-il à l’extérieur de nous ? Qu’une épée venteuse ? Que le souffle de l’Esprit (quoi qu’il soit) emprisonné tel la corne de la licorne revendiquée pour soi ?
Non. Il faut tordre l’épée, puis la fondre. Qu’elle devienne une coupe. Une coupe pour recueillir le miel et le répandre vers la terre. Aucune germination curative tant que l’intellect se tient seul, au prise avec ces phantasmes que la vanité du moi projette. La pensée humiliée est aussi la rédemptrice. Il faut simplement qu’elle ne demeure pas: juste humiliée...
Nietzsche débute Aurore par une citation du Rig-Véda : « Il y a tant d’aurores qui n’ont pas encore lui. »
Il y a comme une œuvre, jamais écrite, celle d’un Nietzsche en bonne santé, cette aurore ne se lèvera jamais plus. Qui pouvait la voir est tombé. Mais s’étant enfoncé là où la raison nous pousse, ce n’est ni d’un antirationalisme scientifique, ni d’une mystique empirique dont il avait besoin, mais simplement de compassion, cette compassion qui aurait délié son humour trop narquois.
Paracelse avait beaucoup d’humour, raconte-t-on. Et il en faut pour ne pas tomber en route sur ces chemins de l’oiseau noir (l’égo dans la carte de « L’étoile » du Tarot de Marseille).
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Abrazo grande
Camp Clar, Tarragona , été 2017
PS: "Quand le soleil sépare un homme de son ombre, celle-ci ne peut plus marcher seule"
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"Dans de nombreuses cosmologies, les âmes des morts dans l'Au-delà étaient conçues comme des ombres qui symbolisaient leur impalbabilité. L'homme qui a vendu son âme au Diable perd son ombre et celui qui, selon la légende, ne peut pas voir son ombre est voué à la mort, de même que celui qui marche dessus. On évite fréquemment d'être frôlé par l'ombre des personnes que l'on craint (les sorcières, par exemple) afin de ne pas tomber dans leur pouvoir."
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Encyclopédie des symboles, sous la direction de Michel Cazenave pour l’édition française, ed. Le Livre de Poche
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"Mais tu sais nan ce que dit le nietzchéen, avant que de se suicider, à Martin Eden? "Faut que t'arrêtes avec ces conneries d'individualisme et de nietzchéisme...Si tu deviens pas un révolutionnaire à part entière tu vas crever." Mais Martin Eden crève. Pas qu'il soit un mauvais révolutionnaire mais il arrive pas à s'extraire de ce milieu bourgeois par lequel il est arrivé à faire valoir sa plume…"
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