Dernier POST-SCRIPTUM
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Héphaïstos: Ah! ton langage répond à ta figure.
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Eschyle, Prométhée enchaîné.
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Une dernière plongée en la pensée de L’ange de l’apocalypse:
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« Je partirai d’une remarque d’Aristote dans la Poétique. Le poète tragique, dit-il, doit être beaucoup plus muthopoios que metropoios, beaucoup plus créateur de mythes, d’histoires, que créateur de mètres, versificateur. Je pense que cela ne vaut pas seulement de la poésie tragique mais de toute poésie. […] On trouve cela même dans une poésie comme les haïkus ou certains poèmes chinois très brefs faits de quelques termes - une montagne, un lac, un oiseau, la tristesse; cette présentation apparemment statique contient un mouvement minimal et cela est son muthos. Certes, Aristote entend par muthos une narration développée, mais entre la narration développée et le simple metron il y a l’espace de l’objet lyrique, qui est bel et bien dans le temps.
Mais le poète n’est pas seulement metropoios et muthopoios, il est aussi noèmatopoios, créateur de sens et de significations. Et il est aussi eikonopoios, créateur d’images, et mèlopoios, créateur de musique. Cette dernière affirmation demande une élucidation. Par musique, je n’entends pas seulement la musicalité matérielle, la musicalité rythmique du mètre et sonore du choix des mots (et de ce qui va avec: allitérations, rimes ou simplement belle sonorité « intrasèque »), mais la musique du sens qui se manifeste non seulement au niveau du muthos, mais au niveau du vers, de la succession des mots et même du mot singulier. [Pour nous il s’agit moins du mot que de l’image, moins du vers ou d’une succession que d’une cascade, un paysage, un agencement mais affectif et pictural plutôt que conceptuel ou verbal. Voir, ceci dit, Semiotica de Benveniste, et citation ci-dessous.] Il y a une présentation et une articulation des significations; il y a signification au niveau du muthos, de l’histoire qui est racontée, de l’objet qui est présenté globalement, mais il y a aussi une articulation du sens propre, pareille à celle du corps, subdivisé en des membres qui ne sont pas séparés mais liés dans une synergie continue. Et la subdivision n’est pas séparation de cette signification globale dans les parties de l’oeuvre poétique, dans les strophes, les vers, les mots. Il y a présentation d’un sens poétique minimal au niveau du mot lui-même [Déjà le phonème est poétique - et politique -, l’onomatopée créée et improvisée au sein d’une nuit de sortilèges, même ratés, en témoigne du fond des rites et des forêts ensauvagées autant qu’ensocelées], et certes encore plus au niveau de la connexion, de la liaison des mots, éléments toujours plus vivants d’un sens englobant. Ce sens minimal du mot n’est pas présenté de façon logique ni de façon purement descriptive; ici, toutes les métaphores nous trahissent parce qu’elles trahissent la spécificité de l’oeuvre poétique. Il faut quand même les employer et dire que ce sens minimal est présenté à la fois picturalement et musicalement [c’est nous qui soulignons]. Pour parler de la poésie, nous sommes obligé d’employer des métaphores qui viennent de la musique et de la peinture [Nous pourrions aujourd’hui, et sans crainte, ajouter le cinema, n’est-ce pas?]; de même que, pour parler de la musique ou de la peinture, nous devons employer des métaphores qui viennent de la poésie comme de la peinture ou de la musique. C’est le cercle de la création artistique; nous ne pouvons pas parler de poésie, de musique ou de peinture [ou du cinema] avec des métaphores géométrique ou physique [Pourquoi cela?]. Tout cela est évoqué ici parce qu’il nous faut comprendre en quoi consiste ce que nous pouvons appeler autrement la musicalité du sens. »
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Cornelius Castoriadis, Notes sur quelques moyens de la poésie (Les carrefours du labyrinthe VI), p. 55-56 et 57, ed. Seuil
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C’est en interrogeant cette musicalité du sens, que nous percevons toutes et tous - et qui je crois jusqu’en dehors de notre espèce est perçue -, que nous avons, suivant la forge politique fournie par Henri Meschonnic du concept de rythme, adapté la subversion aux nécessités spectaculaires et rapides de l’époque. Ici et demain nous l’emploierons dans un sens étendu. Mécréant mais créant, exit l’étymologie. Il est plus que l’heure de forger de nouvelles polysémies. L’important n’étant même pas ce qui est pointé ici par Benveniste dans Semiotica:
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Le message ne se réduit pas à une succession d’unités à identifier séparément; ce n’est pas une addition de signes qui produit le sens, c’est au contraire le sens […] conçu globalement qui se réalise et se divise en « signes » particuliers, qui sont les mots.
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Les mots?! Choses monstrueusement froides…
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Et les silences. Et les mots qui se taisent par plaisir? Et ceux qui se plaisent sous la menace ou la violence? Les mots qui ne viennent pas, les mots qui reviennent, les mots qu’on cache, les mots qu’on montre, mais quoi? Est-ce vraiment cela? Il y a les mots acclimatés, les mots de l’académie, les mots et leurs casiers judiciaires, les hiéroglyphes, les pétroglyphes, les cryptoglyphes, d’accord mais quoi? C’est le langage impérialiste et sa conquête du « Réel », ses cages et ses impasses repeintes et panopticon et muraux de pacotilles assermentés devant l’État. Il est vrai qu’Eurydice me fait moins bander depuis que, triste, j’ai découvert qu’en bas - saturation du blabla - la compagnie la plus plaisante était, et de loin, celle des muets et des sourds.
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Je ne suis nullement professeur encore qu’à la Unsch on sait mes maladresses et mes fausses prétentions. Qu’au moins avec une telle artillerie relou, certains nuages devenaient limpides et clairs. C’était avant le bruit des bombes. J’ai des poings avant que d’avoir des mains, certaines et certains le savent bien. Jamais je n’ai forgé, pour moi, de bouclier - tout au plus une barricade - et c’était pour les autres…
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Hermès: Vois donc si un tel langage se révèle utile à ta classe.
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Eschyle, Prométhée enchaîné
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PS: Moi?! Je n’suis qu’un touriste ici-bas.
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Une dernière citation...:
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