Sans surprise, le Parlement a de nouveau prolongé l’état d’urgence décrété le 14 novembre 2015. On ne peut que saluer les sénateurs et députés qui, sensiblement plus nombreux qu’il y a trois mois, ont cette fois refusé de cautionner indéfiniment la mise à l’écart de l’Etat de droit. Mais on ne peut qu’être consterné par la position de tous les autres, avalisant sans mot dire une politique si grossièrement hostile à la légalité républicaine dans ce qu’elle a de plus élémentaire.
L’état d’urgence n’a jamais été utile à la répression de la criminalité terroriste. Une analyse juridique approfondie (ici) démontre au contraire que ce régime d’exception hérité de la guerre d’Algérie a pour seul effet d’accroître l’arbitraire des pouvoirs publics tout en émoussant singulièrement la capacité de services à détecter et prévenir des projets d’attentats avérés.
Mais ce qui était dès l’origine évident pour quiconque voulait bien se donner la peine de réfléchir plutôt que de céder à la tyrannie de l’émotion est aujourd’hui devenu incontestable par la seule exposition des propres chiffres du gouvernement. A l’issue des quelques 3300 perquisitions réalisées depuis novembre 2015, seules 5 procédures pour association de malfaiteurs terroriste ont été ouverte et seule… une personne a été mise en examen – soit un taux de réussite inférieur à 0.1%... Et même s’il l’on se réfère à la délinquance de droit commun, on constate que seules 344 personnes ont été interpellées pour aboutir à 65 condamnations.
Las… rien n’est plus borné qu’un canard sans tête. Plutôt que de reconnaître que la proclamation de l’état d’urgence n’a jamais eu pour objet de lutter contre le terrorisme, le gouvernement préfère se raccrocher à des arguties plus pathétiques les unes que les autres, quitte à racler les fonds de tiroir de la criminologie low cost. D’abord, en ajoutant aux procédures suivie du chef de terrorisme les quelques poursuites initiées pour son « apologie » et qui concernent concrètement une poignée d’individus suffisamment stupides pour avoir prononcé le mot « daesh » après que la porte de leur maison ait été soufflée par les services de police.
Mais ce grossier amalgame ne permettant de pousser le bilan qu’au chiffre presque aussi ridicule de 28 procédures (soit moins de 1% de réussite), d’autres éléments de langage nous sont servis. Les perquisitions n’ont aboutit, dans moins de 10% des cas, qu'à la saisie d’armes et autres poussières de cannabis ? Qu’importe, le mythe de la « porosité » des délinquances autorise tout, et notamment à affirmer que ces mirifiques prises de guerre auront permis de déjouer des attentats. Jamais étayé en sociologie criminelle, cette pâle reprise du dicton de l’œuf et du bœuf est battue en brèche par l’expérience judiciaire qui montre que, si certains auteurs d’infractions terroristes ont un passé judiciaire, leur implication dans les organisations criminelles se traduit par une rupture qui les conduit temporairement à sortir des radars de la police. En d’autres termes, le « terroriste » qui continue à se livrer à un trafic de stupéfiants n’est sans doute pas le premier à surveiller.
Il y a pire, le ministre de l’intérieur annonçant sans rire que ces perquisitions auront permis de contribuer au travail des services de renseignement. Alors que ces derniers disposent de tous les moyens possibles de surveillance de la population, faut-il croire qu’ils savent si mal en user qu’ils sont obligés de forcer la porte du domicile de leurs cibles pour savoir ce qu’il s’y fait et dit ? En réalité, le seul impact de la répression administrative aveugle à l’œuvre est de révéler, aux personnes visées comme à leur entourage, qu’ils font l’objet d’une attention policière particulière. S’ils préparaient réellement des attentats, ils sauront demain se faire plus discrets…
Cerise sur le gâteau, on nous explique enfin que l’état d’urgence aurait permis de déstabiliser les filières terroristes et là, on croît littéralement rêver. Car de deux choses l’une. Soit il existe des raisons sérieuses de considérer que les personnes assignées et perquisitionnées sont membres de réseaux criminels, et alors il serait proprement irresponsable de ne pas déployer à leur égard une procédure judiciaire autrement plus coercitive. Soit, comme cela est évidemment le cas, il n’en existe aucune et, en ce cas, on se demande si les forces de police ne seraient pas mieux employées à enquêter sur les activités de véritables groupes terroristes. Quant à l’assertion selon laquelle la saisie de quelques dizaines de grammes de cannabis porterait un coup fatal au financement du terrorisme, on préfère ne pas même y répondre...
Face à un tel monument de mauvaise foi, on peut effectivement redouter que ceux qui se disent encore nos représentants ne cèdent à la tentation d’un état d’urgence perpétuel, guettant avec effroi et avidité la prochaine manifestation d’une criminalité terroriste qu’ils ont renoncé à comprendre et donc à combattre.