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Billet de blog 11 décembre 2015

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État d’urgence et déchéance de la nationalité : S’attaqueront-ils à la République à Noël ?

Après les terribles attentats du13 novembre, François Hollande et Manuel Valls présenteront en Conseil de ministres le 23 décembre, les modifications de la Constitution visant à instaurer la déchéance de la nationalité et l’état d’urgence permanent. Nous devons les faire échouer.

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Après les terribles attentats qui ont frappé Paris et St Denis le 13 novembre 2015, faisant 130 victimes et de nombreux blessés, revendiqués par l’Organisation Etat islamique, François Hollande et Manuel Valls ont promis de modifier la constitution. Le 23 décembre, la veille de Noël, les modifications instaurant la déchéance de la nationalité et l’état d’urgence permanent seront présentés en conseil des Ministres. Il s’agit d’une attaque d’une extrême gravité des fondements de notre République qui ne sera d’aucune efficacité dans la lutte contre les terroristes. Les fascistes de Daech marquent une victoire symbolique fondamentale, on disloque la République et on accélère la prise du pouvoir du FN en validant la bataille culturelle qu’ils mènent pour imposer leur vision ethniciste et autoritaire de la Nation. Pire, si le FN accède au pouvoir, il n’aura qu’à appliquer la constitution modifiée pour mieux contrôler pleinement le peuple. A la veille de Noël, quel cadeau empoisonné. Nous devons les faire échouer.


L’objectif des attentats terroristes de l’organisation Etat Islamique est d’attiser, par la terreur, les divisions au sein de notre société entre musulmans et non-musulmans pour, au final, provoquer un climat de guerre civile et ainsi déstabiliser notre République une et indivisible. Cet objectif des terroristes est le même qu’ils poursuivent ailleurs en tentant d’exacerber les tensions entre de soi-disant « vrais » musulmans et musulmans « hérétiques » pour détruire toute idée de vivre-ensemble et de cohésion sociale. Alors qu’il conviendrait en premier lieu de dresser un bilan de l’efficacité de l’arsenal législatif actuel, avec dix lois antiterroristes adoptées en dix ans, avant de légiférer à nouveau dans la précipitation, Hollande et Valls veulent au contraire constitutionnaliser la déchéance de la nationalité pour les binationaux et l’état d’urgence permanent.

Parce que c’est la République qui a été attaquée, nous devrions répondre par plus de République, plus de démocratie, et de réaffirmer son triptyque “Liberté, Égalité, Fraternité”. Mais ceux qui nous dirigent font l’inverse !

Aucun amalgame n’est acceptable entre les lâches criminels et une partie de nos concitoyennes et concitoyens de confession musulmane réelle ou supposée ni avec les résidents étrangers vivant sur le sol français et ni avec certains français selon leurs origines. Aucun lien n’a pu être établi entre le fait d’être binational de naissance et s’engager dans les actions criminelles, qui plus est terroristes ! Mais le gouvernement a néanmoins décidé d’instaurer la déchéance de la nationalité pour tout Français binational y compris quand la personne est née Française, “lorsqu’il est définitivement condamné pour un acte qualifié de crime ou de délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme” , et de l’inscrire après l’article 3 de la constitution.

La déchéance de la nationalité instaure de fait des différences de catégories entre Français, ceux ayant acquis la nationalité par naturalisation, ceux l’ayant acquis par filiation, les Français ayant acquis une binationalité par filiation, et contrevient à nos principes fondamentaux républicains de l’indivisibilité du peuple et de fait contribue à amalgamer terroristes et binationaux, ce qui contrevient à l’article 1 de la Constitution, qui dispose que "la France assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion".

Il faut savoir que certains pays accordent systématiquement la nationalité des parents aux enfants, comme le Maroc qui accorde d’office la nationalité marocaine à tout enfant né en France (et donc Français) si le père est de nationalité marocaine ou binational Français-Marocain. Cette mesure de la déchéance de la nationalité créé une suspicion et une discrimination à l’encontre des français, nés français de parents étrangers. Instaurer la déchéance de la nationalité aux binationaux constitue une remise en cause historique du droit du sol, instaurant de fait une distinction entre Français nés Français de parents Français et les Français nés Français de parents binationaux ou étrangers et selon la nationalité des parents du fait des dispositions propres aux pays des parents.

Ce sera par ailleurs d’aucune efficacité. Qui peut croire en effet que le risque de déchéance de la nationalité soit une mesure en capacité de dissuader une personne prête à commettre un acte de kamikaze ? La déchéance de la nationalité est défendue pour pouvoir expulser toute personne de nationalité étrangère, binationale, ou dans le cas de son extension prévue, binationale née française. Mais dans les faits la France devrait plutôt faire en sorte que la personne ayant commis des crimes ou délits constituant un acte de terrorisme purge l’intégralité de sa peine en France ! Et non qu’elle soit expulsée vers un pays qui pratique la peine de mort alors qu’on y est opposé, ou un pays qui soutient ces actes de terrorisme !

L’article visant à modifier la constitution n’envisage pas de limiter la déchéance de la nationalité aux crimes ou délits constituant un acte de terrorisme mais vise à l’étendre aux crimes ou délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation. Ces intérêts fondamentaux de la Nation peuvent être lus dans un sens exhaustif, incluant “la participation à des mouvements insurrectionnels”, “en faisant des barricades”, en participant à “des rassemblements d’insurgés”.

N’oublions pas que la révolution française est le résultat de mouvements insurrectionnels. Le peuple français s’est également illustré par des grands mouvements populaires pouvant être également considérés comme des mouvements insurrectionnels, comme les journées de février et juin 1848, la Commune de Paris de 1871, ou dans une moindre mesure Mai 68.

Un gouvernement pourrait être tenté de qualifier les mobilisations plus récentes comme celles contre Notre Dame des Landes ou contre le barrage de Sivens, comme de mouvements insurrectionnels. Au vu des déjà si nombreux dérapages et bavures qui ont eu lieu sous le mandat Hollande-valls en quelques semaines d’état d’urgence, imaginez ce qu’il en sera dans une France par malheur gouvernée par le FN !   

Pour un rappel historico-politique, ou peut être une saine découverte pour d’autres, Maximillien Robespierre avait défendu dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793, l’article 35 qui dispose :  “Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.”. Comment accepter que cet héritage soit piétiné en inscrivant dans la constitution la déchéance de la nationalité pour tout Français binational qui s’engagera dans un acte insurrectionnel contre un gouvernement qui violerait les droits du peuple !

Nul ne peut et ne doit exclure qu’à l’avenir un gouvernement puisse envisager de violer les droits du peuple et d’exploiter cette modification de la constitution.

La vision de la sécurité déployée depuis plusieurs années, et renforcée par le développement de l’état d’exception, a d’ores et déjà été expérimentée dans d’autres pays qui, comme les Etats-Unis, en ont depuis lors dressé des bilans très critiques pointant son inefficacité et ses dérives autoritaires; il en fut ainsi du “patriot-act” étasunien.

La logique soi-disant « sécuritaire » ne garantit en aucun cas la sécurité réelle de la population en s’associant à une logique d’affaiblissement et de réduction continuelle des moyens d’intervention de l’Etat.

Notre sécurité collective doit avant tout s’appuyer sur un État fort, doté de moyens humains et matériels suffisants, que ce soit dans la police, les services de renseignement (notamment l’analyse ou le renseignement humain), la justice (notamment le pôle antiterroriste qui ne comporte que 9 magistrats), l’armée, les services des douanes et plus généralement l’ensemble des services publics, dont l’Éducation, la Santé et les services de prévention,. Nous avons d’abord et avant tout besoin de plus d’État et de moyens humains pour assurer ses fonctions régaliennes et donc d’arrêter les politiques d’austérité de baisse des dépenses publiques.

Le terrorisme possède des liens importants avec divers trafics (armes, stupéfiants, contrefaçon) pour se financer, se renforcer et s’armer. La lutte contre le terrorisme passe donc par combattre implacablement ces trafics et leur canaux de financement ou de blanchiment d’argent facilités par les paradis fiscaux et la libre circulation absolue des capitaux et des marchandises dans l’UE, en s’attaquant notamment au commerce de pétrole et de cotons de l'organisation dite Etat islamique et à la complicité des monarchies du Golfe, comme le Qatar et l’Arabie Saoudite, mais aussi la Turquie.

Mais avons-nous réellement besoin de prolonger et de constitutionnaliser l’état d’urgence ? Non. Dans le cadre normal de l’état de droit, donc sans avoir recours à l’état d’urgence, il est possible d’engager des perquisitions de jour comme de nuit, des assignations à résidence ou le démantèlement de mosquées salafistes djihadistes. La loi de prolongation de l’état d’urgence, comme le projet de l’inscrire dans la constitution, a élargi, bien au-delà de la lutte contre le terrorisme, les dispositions relatives aux assignations, perquisitions et aux dissolutions de groupes au motif de troubles à l’ordre public et non plus exclusivement pour terrorisme. Cette instauration de fait d’un flou juridique est propice aux dérives et à l’arbitraire, au mépris du contrôle du pouvoir judiciaire. je ne reviendrai pas sur les déjà très nombreux dérapages, abus et bavures, je vous conseille pour creuser d’aller notamment sur le site de la quadrature du net qui les recense. La lecture en est glaçante. Criminalisation de militants écologistes pendant la COP21, stigmatisation et discriminations manifestes à l’encontre de concitoyens musulmans ou considérés comme tels… Tout cela devrait être évité !

Ces dérapages ne renforcent en rien la sécurité de notre pays mais remettent en cause nos libertés, notre droit de manifester, de contester, de nous organiser, de résister ! C’est une attaque de notre droit à sûreté face à l’arbitraire d’un pouvoir administratif non contrôlé par le pouvoir judiciaire ! Ils provoquent par ailleurs un mécontentement parmi nombre de policiers qui préféraient s’attaquer réellement et radicalement au terrorisme et à l’insécurité et sont conscients d’être également traversés par des fonctionnaires non attachés aux principes républicains. Mais le risque ne se limite pas à la présence de militants frontistes dans la police qui peuvent abuser de leurs pouvoirs. Ce poison de la suspicion légalisée antirépublicaine fait exploser les digues légales antiracistes. Dans l’Éducation nationale même, un inspecteur s’est cru autorisé dans le Loiret à pondre une circulaire sommant les responsables d’établissement à signaler tout parent qui aurait une tenue vestimentaire susceptible de le suspecter de radicalisme religieux ! Et de signaler tout enseignant pratiquant souvent grève et blocage, assimilant sa radicalité syndicale de fait à une menace quasi terroriste !

Pour finir, le projet de constitutionnalisation de l’état d’urgence permet aux pouvoirs publics de prolonger des mesures exceptionnelles décidées pendant l’état d’urgence une fois que celui-ci sera terminé, pour une durée maximale de 12 mois : une année entière pendant laquelle le pouvoir judicaire n’exerce plus de contrôle sur le pouvoir administratif ! Une année possible dans un état de non droit ! La 5ème était déjà malade de son hyper concentration des pouvoirs, de son autoritarisme, là on renforce plus encore ses pires travers…

Quand on est de gauche, on se devrait de parler de la sûreté et de non de la sécurité. la sûreté est le mot retenu d’ailleurs dans la déclaration de 1789 comme étant parmi les "droits inaliénables et sacrés". Elle comprend un double devoir de l'Etat à l'égard des citoyen-ne-s : les protéger dans leurs relations entre eux (par la prévention et par la mise en oeuvre d'enquêtes pour rechercher les auteurs et les juger), ce qu'on peut appeler la sécurité ; et les protéger contre l'arbitraire des pouvoirs. Il s’agit de garantir l'Etat de droit. Le pouvoir doit arrêter le pouvoir par la reconnaissance de contre-pouvoirs.

La sûreté est révolutionnaire en ce qu'elle permet aux citoyen-ne-s de réclamer des comptes à l'Etat. Pour en vider la force révolutionnaire, les libéraux progressivement en France comme ailleurs, les socio-démocrates et le PS dans les années 90 ont tout fait pour faire monter la peur de chacun contre chacun. C'est tout bénéfice politiquement pour eux, car la peur atomise une société et bride la contestation : on ne s'associe pas avec son voisin, on ne fait pas grève à ses côtés, si on le perçoit comme un agresseur potentiel.

La sécurité est donc un sous-ensemble de la sûreté, mais dans son sens contemporain, elle a été dénaturée de son sens révolutionnaire, d'abord en déchargeant l'Etat de ses devoirs au profit de la seule responsabilité individuelle pour réclamer plus de répression et ensuite en gommant sans cesse l'aspect protection contre l'arbitraire.  

La société sécuritaire est celle dans laquelle l'illusion est entretenue par l'État que toujours plus de lois répressives et de restriction des libertés augmentent la sécurité du groupe. Ce qui lui permet de se décharger de sa propre responsabilité en pointant des "classes ou catégories dangereuses". Voilà pourquoi la montée du sécuritaire est indissociable du triomphe idéologique et politique du capitalisme, des tenants du système d’exploitation et de domination.

Notre constitution aurait besoin d’être totalement réécrite. Mais par le peuple et pour le peuple et dans le sens inverse de la énième modification prévue par Hollande et Valls, via une assemblée constituante affrontant les logiques oligarchiques et réactionnaires.

En voulant constitutionnaliser la déchéance de la nationalité et l’état d’urgence permanent, Hollande et Valls contribuent à valider la bataille culturelle du FN. Ils portent une très lourde responsabilité dans la progression de son score, et pas uniquement du fait de leurs politiques antisociales, même si l’ensemble fait cohérence.

Mais en plus, si le FN prend le pouvoir, il leur permettra de l’exercer avec les pleins pouvoirs….

Nous devons impérativement faire échouer cette constitutionnalisation de la déchéance de la nationalité et de l’état d’urgence.  

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