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Billet de blog 7 mars 2022

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Quand Poutine aura disparu.

La guerre qui surgit sur le sol européen résulte d’un calcul, d’une préméditation. Celui qui en a froidement pris la responsabilité avait tout évalué : l’effondrement rapide de l’Ukraine, la division des démocraties, la frilosité des opinions publiques occidentales préférant un apaisement momentané au risque du conflit. Or, le conflit peut se retourner en boomerang contre le pouvoir du dictateur.

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La guerre et son cortège d’infamies surgit de nouveau sur le sol européen. Ce cavalier de l’apocalypse que l’on pensait relégué dans les limbes de l’histoire européenne, s’effaçant avec les souvenirs de ceux ayant connu le traumatisme du Second conflit mondial, était pourtant déjà réapparu en Europe. L’éclatement de l’ex-Yougoslavie (1989-1996) avait montré qu’il suffit de peu de choses pour basculer de nouveau dans le chaos. Et maintenant ? Les premières victimes en sont connues, ce sont les civils, les enfants, dont le choc de la guerre marquera de façon indélébile la vie. Les premières victimes en sont connues, toutes celles et ceux qui par conviction démocratique donneront leur vie pour ne pas tomber sous le joug du dictateur. Les premières victimes en sont connues, toutes ces familles vivant à cheval entre Ukraine et Russie et dont les liens ont été brisés.

La réapparition de la calamité n’est pas la résultante de tensions locales, d’une impossibilité à vivre en commun, elle répond à un calcul, à une préméditation, à un « crime contre la paix ». L’invasion de l’Ukraine, le 24 février 2022 sonne comme la revanche de la disparition de l’URSS dans l’esprit du dictateur. Son Hubris, libéré de tout contrôle, le conduit à affirmer qu’il ne s’arrêtera qu’une fois ses buts atteints. Lesquels et par quels moyens ? Il est impossible de considérer que la Crimée, les provinces russophones de l’Est, voire l’Ukraine tout entière pourront rassasier la machine une fois lancée, c’est le déséquilibre global de l’Europe à son profit qu’elle vise. Quant aux moyens, tous deviennent envisageables et conduisent aux pires « crimes de guerre » : destruction intégrale des villes quel qu’en soit le coût humain, dévastation de tout ce qui constitue les liens d’humanité, utilisation méthodique d’armes interdites (à sous-munitions, thermobariques, …).

Vladimir Poutine a ajouté dans sa déclaration belliciste du 24 février : « Pour ceux qui seraient tentés d’intervenir, la Russie répondra immédiatement et vous aurez des conséquences que vous n’avez encore jamais connues. » La menace est limpide et s’appuie sur le recours assumé à l’arme nucléaire. Si l’on excepte les deux premières utilisations de la Bombe A sur Hiroshima et Nagasaki en août 1945, un consensus international était ensuite apparu parmi les détenteurs de l’arme, officiels et officieux. Cette arme de destruction massive vise à la dissuasion, elle ne peut être envisagée que comme arme de dernier recours quand les intérêts vitaux sont menacés et en aucun cas comme outil du champ de bataille. Si la crise de Cuba en octobre 1962 montra que l’équilibre ne tenait qu’à un fil et qu’une erreur d’interprétation pouvait conduire à l’engrenage fatal, rien ne garantit que le refus d’un nouveau Vassili Arkhipov[1] n’évitera une nouvelle fois le pire. Il résulta de cette crise, la nécessité de renforcer le contrôle sur ces armes et d’améliorer le dialogue américano-soviétique. C’est cet équilibre que Vladimir Poutine fait voler en éclat. Pour lui, le chantage nucléaire devient un outil légitime destiné à faire plier ses ennemis. 

Le dilemme présenté par Vladimir Poutine peut se résumer ainsi : « cédez immédiatement à mes délires ou je vous anéantis ». Sachant que « céder à ses délires » revient à être anéanti, à voir détruites les bases mêmes sur lesquelles reposent les sociétés démocratiques, il modifie les termes mêmes du dilemme et mène à conclure : quitte à mourir autant se battre jusqu’au bout pour les valeurs essentielles. C’est ce que font les résistants ukrainiens, fer de lance de la résistance des Européens. C’est là que se situe l’erreur fondamentale de Vladimir Poutine : les démocraties paraissent faibles, divisées, pusillanimes, jusqu’au moment où il s’agit de lutter pour l’essentiel, le vital. C’est à l’aune de cet enjeu qu’il faut comprendre l’intensité de la réponse des états et des sociétés européennes. Le terme du débat n’est pas l’obtention d’un marché, d’une protection momentanée, mais la lutte entre la liberté et l’asservissement, avec en arrière-plan la possibilité de la destruction.

Au final, La question n’est pas de savoir si Vladimir Poutine perdra - il perdra - mais quelle sera l’étendue du champ de ruines qu’il laissera derrière lui ?

[1] Rappelons que ce commandant d’un sous-marin nucléaire soviétique fut le seul des trois décideurs à refuser d’utiliser l’arme nucléaire dont disposait son bâtiment. https://dailygeekshow.com/vassili-arkhipov-guerre-froide-cuba-nucleaire-heros-missile/

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