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Billet de blog 18 janvier 2016

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Les catégorisations de la conduite d'un voilier

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La catégorisation des conduites d'un voilier consiste à définir différentes catégories (des cas) permettant de conduire et de régler les voiles selon l'orientation du vent par rapport au voilier. Une catégorisation structure le raisonnement, mais aussi les perceptions et bien sür l'action.  On connait deux  grands systèmes de catégorisation : la catégorisation par allures et la catégorisation route directe - route indirecte.

La catégorisation par allures

C'est la plus ancienne et toujours la plus répandue. Une allure est un intervalle d'angle vent-bateau. Le continuum des positions de la coque par rapport au vent (180° sur chaque bord) est divisé en intervalles. Chaque intervalle est nommé allure. A chaque allure correspond un réglage de voiles et un type de conduite. Le nombre de ces allures a varié au cours du temps.

L'Album du marin (1836) du capitaine de frégate Caussé est une version illustrée du Manoeuvrier  (1769) de Bourdé. Le capitaine de vaisseau Tabarly s'en ait visiblement inspiré pour son guide de manoeuvre (1978) illustré par Antoine Lamazou. L'Album détaille la manoeuvre de frégates (3 mats, 4 étages de voilure, 3000 m carré de voilures, 4600 tonnes, 63 m de long). Caussé distingue 3 allures : le plus près du vent, le vent largue, le vent arrière.

Un vaisseau est au plus près du vent lorsque la quille fait un angle de 6 rhumbs ( 67°30. 1 rhumb fait 11°15, 4 rhumbs font 45°) avec la direction du vent. "Quand la mer est belle, il oriente même à 5 rhumbs et demi (61°52). La théorie veut que la tangente de l'angle d'incidence sur la voile soit double de la tangente de l'angle que la vergue fait avec la quille. Ainsi on ne peut brasser les vergues sous un angle plus petit que 22° avec la direction de la quille, car il faut compter que la girouette marque de 10 à 12° les vents plus de l'avant que la direction réelle".

"Un bâtiment est largue lorsque la direction du vent fait avec la route un angle de plus de 6 rhumbs ou 67°30. Plus cet angle augmente, plus le vent devient favorable. La vitesse est maximum lorsque les vents sont à peu près deux quarts de rhumbs  plus de l'arrière que la perpendiculaire à la route. Il est d'usage de brasser les vergues au vent d'un quart de rhumb par chaque deux rhumbs, que les vents adonnent ou viennent de l'arrière. On brasse sous le vent de même s'ils refusent ou viennent de l'avant."

"Le batiment est vent arrière lorsque la direction du vent suit celle de la route. On oriente les voiles perpendiculairement à la quille et on porte des bonnettes des deux bords."

Caussé associe à chaque allure ( intervalle d'angles de la quille par rapport au vent) une position des voiles. L'équipage regarde la girouette et positionne les vergues à partir des deux règles : vergues - bateau moitié de vent bateau diminué de 10° et un quart de rhumb pour chaque deux rhumb. Nous avons là le principe de l'utilisation de la catégorisation par allures.

Le  Cours de navigation des Glénans (édition 72) distingue : le près, le près bon plein, le largue (qui va du bon plein au vent arrière) subdivisé en sous-catégories ( le petit largue, le vent de travers, le largue et le grand largue ), enfin le vent arrière. A chaque catégorie correspond un réglage des voiles, un type de conduite qui peut varier en fonction du vent ( risées, petit temps) ou de l'état de la mer ( mer plate, clapot, mer formée). La référence principale  pour la bonne conduite ou le bon réglage est la science physique, censée décrire le comportement idéal du voilier. Cette catégorisation est exclusivement centrée sur l'engin, à l'individu de s'adapter comme il le peut.

Enseigner la voile (FFV; 2010) distingue le près bon plein, le près serré, le largue et le vent arrière.

Quelque soit l'époque, la catégorisation par allure considère l'angle vent-bateau, puis détaille pour chaque allure les bons réglages et la bonne conduite. Le barreur doit donc regarder sa girouette pour déterminer son allure qui va déterminer ses réglages et sa conduite.

Les inconvénients de cette catégorisation sont nombreux :

Elle est peu précise (les allures sont des intervalles).

Elle oblige à regarder la girouette ou des penons qui indiquent la direction du vent pour barrer, ce qui est extrêmement approximatif (évaluer une direction)

Elle oblige à considérer l'angle voile-bateau (que l'on règle à l'aide de l'écoute ou de la barre d'écoute) à partir de l'angle vent-bateau (donné par la girouette). Les voiles sont pensées comme solidaires de la coque. C'est le principal inconvénient de cette catégorisation.

La catégorisation route directe-route indirecte 

 Elle fut introduite par Y.Piégelin dès 1972. Elle est aujourd'hui reprise par tout le monde ( cours de navigation des Glénans (2010) et FFV (2005).

En navigation directe, on peut viser l'objectif (qui peut être une bouée, un amer visible ou un objectif invisible que l'on remplace par un cap compas).

En navigation indirecte, on ne peut pas se rendre directement sur l'objectif : en 1972, cela ne concernait que le louvoyage. Aujourd'hui, on parle de navigation indirecte au vent (louvoyage) et sous le vent. Vu l'évolution des techniques (formes de coque, spi assymétriques, GPS), on ne navigue plus guère au vent arrière. On louvoie sous le vent : on tire des bords de largue.

En navigation directe, la direction est fixe, la voile mobile ( document Piégelin, "la catégorisation des conduites" cahiers de l'ENV, 1972). Cela signifie que le barreur se contente de viser l'objectif avec sa barre et qu'il lâche sa voile au maximum sans la faire faseyer (je reprend les termes exacts du document) en sous-puissance ou qu'il tient le bateau à plat en agissant sur l'écoute en surpuissance.

Les catégories navigation directe-indirecte se croisent avec les catégories sous-puissance - surpuissance. En sous-puissance, la quantité de rappel (équipage et/ou lest) est supérieure à la composante de gite développée par le vent dans les voiles, l'équilibre est alors assuré par le déplacement de l'équipage. En surpuissance, c'est l'inverse, la quantité de rappel est inférieure à la composante de gite, l'équilibre est assuré par les commandes. Cette sous-catégorisation (surpuissance-sous-puissance) permet de distinguer des actions différentes sur la voile et sur la barre.

 En navigation indirecte, les voiles sont fixes (bordées près de l'axe du bateau ou choquées au maximum pour la navigation indirecte sous le vent). On joue sur la barre qui est mobile, pour se rapprocher le plus près de l'objectif sans faire faseyer la voile (indirecte au vent) ou sans déventer le génois (indirecte sous le vent) en sous-puissance et pour se rapprocher le plus possible de l'objectif en gardant le bateau à plat en surpuissance au vent. 

 Cette catégorisation est utilisable pour la conduite (action sur les commandes, barre, écoutes, déplacement de l'équipage) mais aussi pour la navigation (propre à la croisière, utilisation d'une carte marine). En route directe, on détermine un cap à suivre à partir d'une position de départ et on le suit, ce qui permet d'atteindre l'objectif. Le barreur suit le cap déterminé par le navigateur. En route indirecte, le barreur donne le cap qu'il peut suivre au navigateur. L'ordre est inversé. Le navigateur doit déterminer des limites à ne pas dépasser (laylines, qui peuvent être des relèvements, des alignements - on parle de relèvements ou alignements de garde - des coordonnées GPS de garde) pour éviter les dangers identifiés sur la carte. Systématisée par les navigateurs anglo-saxons, elle l'est beaucoup moins en France. A ne pas confondre avec le cadre (ou laylines) du vent, qui s'y superpose.

Pour la conduite, cette catégorisation offre de nombreux avantages :

Elle est binaire, donc simple.

Elle est précise : l'objectif est un point. 

Elle ne se réfère pas à la direction du vent. on passe de la géométrie (direction du vent) à la cybernétique (logique du signe: coïncidence étrave-objectif, fasseyement du guindant, penons extrados-intrados, déventement du génois).

Elle intègre l'équilibre du voilier par la sous-catégorisation surpuissance-sous-puissance et le déplacement de l'équipage sur un dériveur comme commande.

On ne considère plus la position des voiles par rapport au vent en fonction de la position du bateau par rapport au vent. Ces deux positions sont totalement dissociées.

Et pourtant les allures sont toujours une référence dans de nombreux manuels. Il aura fallu 40 ans pour que la catégorisation route directe-indirecte s'impose (FFV et Glénans, bien que ces deux institutions conservent des références aux allures). On peut s'en étonner, si l'on ignore l'histoire de l'enseignement de la voile en France (voir les articles de pascale Bouton sur le site de l'ENVSN) ou les obstacles cognitifs qui sous-tendent le passage de la géométrie à la cybernétique. Ce changement de catégorisation correspond au passage d'une logique de l'engin (décrit idéalement par les sciences physiques) à une logique de l'individu. Cet inversion de l'ordre de préséance académique fut sans doute le principal obstacle à l'adoption de cette catégorisation, pourtant beaucoup plus efficace.

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