e FRANCOIS
RTQ dans une école de croisière
Abonné·e de Mediapart

6 Billets

0 Édition

Billet de blog 22 décembre 2015

e FRANCOIS
RTQ dans une école de croisière
Abonné·e de Mediapart

Le schème de la force

e FRANCOIS
RTQ dans une école de croisière
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les articles d'un blog sont rangés dans l'ordre inverse de leurs parutions. On lit en premier le dernier et en dernier le premier. Plutôt que de définir d'abord la notion de schème et d'en retracer l'origine et l'évolution historique, il me parait plus instructif de rentrer d'emblée dans le vif du sujet et de consacrer un article à chaque schème auquel nous avons affaire en didactique de la voile. Les amateurs de perspectives générales devront donc attendre un peu, quand au lecteur du futur il en a déjà pris connaissances.

Le schème de la force est commun à la didactique de la physique, à l'épistémologie et l'histoire de la physique, à la didactique de la voile ainsi qu'a celle du judo.

En histoire de la physique, c'est bien sûr Galilée qui le débusqua le premier, son fameux dialogue est toujours d'actualité. On peut reprocher à Newton ses forces fictives ( la force centrifuge ou la force de Coriolis, toujours d'actualité, même chez les ingénieurs de Météo-France) qui ne font que renforcer ce schème.

Laurence Viennot signala les effets délétères de ce schème en didactique de la physique dès 1979 dans "le raisonnement spontané en dynamique élémentaire" (Hermann, 1979). Elle n'évoque pas la notion de schème (surtout utilisée en didactique des mathématiques) mais nous parlons bien de la même chose, la confusion entre force et mouvement.

En voile, ce schème génére des effets dans deux domaines très différents : l'action sur les voiles via les écoutes et la navigation dans le courant. 

L'action sur les écoutes

Identifié par Yvon Piégelin et Guy Roland, alors profs à l'ENV, au début des années 70, qui relatèrent leur découverte dans le "mémento voile CPS-FSGT" (Armand Colin, 1974), téléchargeable sur le site de l'ENVSN. Il n'y est pas non plus présenté sous la forme de schème, bien qu'ils utilisent le terme pour celui de la conduite ou de l'équilibre. L'avancement du bateau y est décrit comme proportionnel à l'effort du débutant. Cet effort va se concrétiser par une action sur les rames, même lorsque le vent les rend superflues, ou par une tension des écoutes disproportionnée. On retrouve cette attitude chez tous les débutants. Il n'est pas si simple d'admettre que la vitesse d'un voilier n'a rien à voir avec la force exercée sur l'écoute. Il faut pour celà dépasser le schème de la force, que l'on peut résumer ici par la proposition "si force, alors mouvement".

La navigation dans le courant

 Pour naviguer dans une zone à courants (la Manche par exemple), le navigateur utilise des cartes de courant qui lui indiquent heure par heure la direction et la vitesse du courant. La vitesse, et non pas la force, puisque le langage commun utilise volontier le terme force du courant. Hors le courant n'a jamais exercé la moindre force sur un voilier, à moins qu'il ne soit relié au fond par une ancre ou un coffre, c'est à dire au mouillage. Notons que l'expression "force du vent" (dans l'échelle Beaufort par exemple) est, elle, parfaitement légitime : le vent exerce bel et bien une force sur un voilier. Le langage commun ne fait qu'enregistrer et renforcer l'effet du schème, dont la proposition principale est ici "si mouvement, alors force". Mais il ne suffit pas de le dénoncer et d'utiliser les procédures ou représentations géométriques adhoc pour s'en débarrasser. Il est tout à fait troublant d'entendre, après un exposé détaillé de ces procédures et des exercices d'utilisation de ces procédures, des réflexionx du type :

- Je sens le courant dans la barre (sous-entendu, je sens la force du courant dans la barre).

- On pourrait faire une route face au courant (plutôt que traversier au courant), le sous-entendu étant qu'un voilier de face opposerait moins de résistance à la force du courant qu'en travers -moins de surface de resistance.

Si le speedo affiche une vitesse plus basse qu'attendue (ou plus élevée), on entend souvent : c'est dû au courant (sous-entendu : le courant exerce une force sur la roue du speedomètre.)

Ces réflexions ne sont pas que l'apanage des débutants. On retrouve dans les illustrations de certains ouvrages d'initiation à la navigation le même type d'erreur ( voir dans le code Vagnon n°4, l'habitable, page 103, édition de 2003, la magnifique erreur concernant le sens de la flêche du vent apparent courant).

Et que dire du programme du permis hauturier (obligatoire pour naviguer à plus de 6 milles des côtes sur un bateau à moteur) où le courant n'est envisagé que constant, ce qui n'arrive jamais dans la réalité. La procédure proposée (et vérifiée lors de l'examen) ne vise qu'à maintenir une route fond droite en changeant de cap compas heure par heure. Le malheureux qui s'amuserait à traverser la Manche ainsi arriverait certes à bon port mais grosso modo deux bonnes heures après tout le monde. J'y vois l'effet sournois du schème de la force.

Qu'en faire?

 Un tel schème, soutenu par le langage et renforcé par l'expérience commune (il faut bien exercer une force pour déplacer un objet) n'est pas si simple à dépasser, les didacticiens des sciences physiques en savent quelque chose. Un traitement abstrait et conceptuel n'est pas d'une grande efficacité. L'apprenant doit repérer les situations où le schème génére de mauvais choix, posturaux ou de route. Il faut le mettre dans des situations où le schème, d'évidence ne fonctionne pas. En surpuissance, on lui fera comparer la vitesse de deux monotypes sur un parcours travers au vent dont l'équipage de l'un maintient le bateau plat grâce au fasseyement des voiles alors que l'autre reçoit pour consigne d'aller aussi vite que possible en utilisant toute la capacité de rappel. Qu'un voilier puisse aller plus vite voiles fasseyantes que voiles bordées perturbe la certitude de l'efficience du schème.

Pour le courant, si l'on peut faire traverser la Manche à deux voiliers ensemble, l'un cherchant à contrer le courant (changer de cap compas toutes les heures pour maintenir une route fond rectiligne) alors que l'autre déterminera un cap compas constant (route fond sinuosidale), le retard du premier sera tel qu'il perturbe la pertinence du schème.

S'il est possible d'apparement convaincre par l'explication et la démonstration formelle, le schème reste bien présent et n'attend qu'une bonne occasion pour resurgir. C'est souvent le cas pour le pratiquant déjà expérimenté, sachant régler correctement ses voiles et qui, sous l'effet du stress d'une régate, surbordera ses voiles. Même chose pour le navigateur à l'aise derrière sa table à cartes, mais qui dans une zone restreinte à fort courant ( Solent, golfe du morbihan) nécessitant une navigation à vue perdra tout son latin

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bienvenue dans Le Club de Mediapart

Tout·e abonné·e à Mediapart dispose d’un blog et peut exercer sa liberté d’expression dans le respect de notre charte de participation.

Les textes ne sont ni validés, ni modérés en amont de leur publication.

Voir notre charte