Billet de blog 4 avril 2014

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Pelo malo de Mariana Rondón : radiographie de la société vénézuélienne

Rares sont les films vénézuéliens à sortir dans les salles françaises. Pelo malo de Mariana Rondón est un cas à part dans la production vénézuélienne car ce film réussit à être à la hauteur de ses ambitions, brassant des sujets politiques à partir de l’histoire intime d’une mère vivant seule avec ses enfants dans un immense immeuble. Entretien avec la réalisatrice de ce film à l’affiche depuis le mercredi 2 avril 2014. 

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Rares sont les films vénézuéliens à sortir dans les salles françaises. Pelo malo de Mariana Rondón est un cas à part dans la production vénézuélienne car ce film réussit à être à la hauteur de ses ambitions, brassant des sujets politiques à partir de l’histoire intime d’une mère vivant seule avec ses enfants dans un immense immeuble. Entretien avec la réalisatrice de ce film à l’affiche depuis le mercredi 2 avril 2014.

Illustration 1
Mariana Rondón © Laura Morsch-Kihn assistée de Yuri Martinez

Dans votre précédent long métrage, Cartes postales de Leningrad, le personnage principal était également un enfant. Raconter une histoire à partir du regard d’un enfant est-ce la meilleure manière pour vous de parler du monde des adultes ?

Mariana Rondón : C’est vrai que je travaille souvent avec des enfants. Plus qu’un prétexte pour témoigner du monde des adultes, l’enfance a cela de particulier que c’est une période privilégiée où l’on peut voir tous les aspects de la vie. Les adultes ont trop de problèmes pour prendre conscience de ce qu’ils sont en train de faire. La vie nous empêche de tomber immédiatement dans la naïveté : on est confronté très vite à ses difficultés. Les enfants expérimentent la vie telle qu’elle se présente à eux : ils ne peuvent se permettre d’attendre.

Dans Cartes postales de Leningrad, les choix idéologiques des parents sont une occasion pour les enfants de rêver alors que dans Pelo malo, ceux-ci sont absents. La seule chose que Junior, le personnage principal, a, ce sont des allumettes qui lui permettent de rêver. Cet élément est pour moi le plus proche de Cartes postales de Leningrad. Autrement, Junior n’a jamais aucune possibilité de se cacher la réalité qu’il vit. Si dans le premier les enfants étaient confrontés à la mort, celle-ci dans Pelo malo est davantage symbolique : mort de la liberté où un enfant qui commence à grandir est d’ores et déjà gravement blessé.

Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à ce lieu, dans la ville de Caracas, où vivent les personnages et qui a d’ailleurs fait l’objet d’une installation artistique de votre part : Superbloques ?

Lorsque j’étais enfant j’ai vécu dans un endroit très proche. Ces grands bâtiments d’habitations sont issus des années 1950 comme un héritage direct des conceptions de Le Corbusier. Il y avait derrière cette architecture une certaine utopie du vivre ensemble. Plusieurs gouvernements d’Amérique latine ont développé ce type d’architecture mais sans s’interroger sur son efficacité sociale. Je me suis intéressée à ce type d’habitation pour lancer la réflexion sur leur aptitude à répondre aux besoins sociaux. Face à cet énorme immeuble j’imagine très bien l’arrogance de l’architecte qui oublie que des personnes vont aussi y vivre.

À travers mon film j’ai cherché à mettre un miroir pour que le spectateur s’y reconnaisse, ouvrir une porte pour entrer dans l’intimité des personnes les plus oubliées. Ceci me donne une idée politique de mon pays en rendant compte de la violence que nous sommes en train de vivre. Cette violence provient de décisions gouvernementales où l’individu n’est pas respecté dans ses différences. Tout cela, je le raconte à partir d’un « cheveu rebelle » que l’on voit dans un miroir et qui conduit à la présentation d’un énorme bâtiment d’habitation. Mais l’intime et le général interfèrent comme dans une partie de ping-pong, mais au lieu d’une balle, j’utilise des plans cinématographiques.

Illustration 2

La relation entre Junior et sa mère est-elle définie de manière précise dès le début du scénario ?

Oui, car nous avions beaucoup travaillé avant le tournage. Je souhaitais donner à ces deux personnages la perspective la plus vaste. Cette femme vit dans un monde très dur, avec des situations poussées jusqu’à leurs limites. Si l’on peut voir que la mère à plusieurs moments n’aime pas son fils, il faut le mettre en relation avec la difficulté de vivre en ce lieu. La mère elle-même se révèle privée de liberté.

Dans un pays qui souffre du chômage, les entreprises de sécurité semblent prospères : c’est dans ce secteur que cherche inlassablement à postuler la mère.

En effet, alors que l’insécurité ne cesse de croître, ces entreprises de sécurité se développent de plus en plus. De mon côté, j’ai utilisé cette profession pour définir les identités féminine/masculine et les rôles de père et de mère qu’elle doit assurer en même temps. Ses propres ambiguïtés, elle ne cesse de les transmettre comme des exemples à son fils.

Comment votre travail de plasticienne nourrit également votre manière de faire des films ?

Ce que j’aime le plus c’est composer des atmosphères plutôt que de m’attacher à l’anecdotique. J’aime dans le cinéma la possibilité de développer diverses approches symboliques. Je ne trouve pas au préalable une manière d’être : c’est en commençant à travailler sur un film ou une installation, que je la trouve.

Vous vous intéressez à chacun de vos personnages sans les condamner alors qu’ils peuvent avoir des effets néfastes les uns sur les autres.

La relation entre la mère, le fils et la grand-mère, je l’appelle « triangle du pouvoir ». Parce que chacun a à la fois quelque chose à donner mais aussi à demander. La grand-mère semble la plus dure mais en même temps c’est elle qui est en mesure d’offrir le plus de liberté. J’essaie toujours dans mes films que les personnages se présentent sous leurs différents aspects. Ainsi Junior traite mal son petit frère et il apprend ainsi comment il peut blesser autrui.

Propos recueillis par Cédric Lépine en avril 2014.

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