Beira Mar
Filipe Matzembacher - Marcio Reolon
Brésil 2014 – 1h23
Compétition fiction
Beira Mar (littéralement “Bord de mer”) est le premier long métrage des réalisateurs Filipe Matzembacher et Marcio Reolon. Il a fait l’objet d’une projection des travaux en cours dans le cadre du dispositif Cinéma en construction des 26es Rencontres de Cinélatino en 2014.
Trajectoire
… D’une ville à l’autre, d’un âge à l’autre. C’est l’hiver au Brésil. Suite au décès de son grand-père, Martin doit se rendre dans la petite ville côtière de son enfance pour aller récupérer un document dans sa famille. Son ami Tomaz l’accompagne. Les adolescents élisent domicile dans la maison paternelle, face à la mer. La ville semble déserte…
Dans Beira Mar, le son de la mer résonne comme une respiration, comme le mouvement immuable et cyclique des histoires de famille et des attirances amoureuses qui échappent et rattrapent. Ce décor ouvre un espace suffisant pour que les adolescents se retrouvent face à eux-mêmes, immergés dans leur univers. Le bord de mer devient alors à la fois une limite, un bord de ligne – borderline – et un espace ouvert tourné vers l’horizon, un espace de tous les possibles. La temporalité dans laquelle évoluent les deux personnages semble suivre la même trajectoire, un âge à la bordure de l’enfance et de l’âge adulte, mais aussi un âge ouvert, comme une page blanche. Fallait-il que Martin revienne se perdre sur les lieux de son enfance pour y trouver de nouveaux repères, ceux de l’âge adulte et de toutes les expériences et questions inédites qu’il amène soudain ? Protégés dans la maison vitrée qui fait face à la mer, Martin et Tomaz semblent pouvoir résister encore pour un temps à cette immense étendue de nouveaux possibles, mais ils seront bientôt forcés de franchir le pas, de traverser la rue et d’affronter ce bord de mer dans tout ce qu’il contient aussi en apparence de froid, de gigantesque, voire de menaçant.
Construit à partir de la mémoire commune qu’ont les deux réalisateurs de cette plage où ils ont grandi avant de s’y rencontrer, Beira Mar est aussi l’histoire de leur rencontre, juste après l’adolescence, et des parallèles qu’ils ont trouvés dans leur propre expérience de cet âge, entre bord de mer et bord de vie. A l’image de Tomaz qui découvre sa chevelure bleue dans le grand miroir de sa chambre et semble avoir du mal à s’y reconnaître, ils nous donnent ainsi à voir et sentir le choc de l’adolescence, ce paradoxe entre l’expérience physique singulière de l’adolescent qui sent son corps prêt à passer à l’âge adulte et le monde extérieur qui lui renvoie qu’il n’est pas encore prêt. Cela dit, ne voyez dans la chevelure bleue de Tomaz aucune référence aux cheveux bleus d’Emma dans La Vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche. Les réalisateurs ne connaissaient pas l’existence de la bande-dessinée de Julie Maroh Le bleu est une couleur chaude dont est tiré La Vie d’Adèle, et le tournage de Beira Mar a eu lieu en juillet 2012, à une date bien antérieure à la sortie de La Vie d’Adèle.
La caméra à fleur de peau de Filipe Matzembacher et Marcio Reolon scrute ainsi les deux adolescents comme pour mieux dresser une cartographie sensible des visages, des regards et de ces corps en devenir, jusqu’à en faire apparaître toutes les nuances, des doutes et des imperfections à la maturité et la beauté. Bien loin de la simple tenue d’un propos sur les relations homosexuelles, ils nous donnent à voir la sexualité des deux personnages comme ils la voient eux-mêmes, comme un moment de tendresse et de connexion ultime entre Tomaz et Martin, comme une expérience sensible et émotionnelle forte, complexe et ouverte, fondatrice d’une part de la personnalité de chaque être.
Adeline Bourdillat
Article rédigé le 27 mars 2015 dans le cadre des 27e rencontres Cinélatino, suite à l’entretien du mardi 24 mars 2015 avec les deux réalisateurs.