Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Joann Sfar : la collection Gallimard Jeunesse « Bayou propose de grandes histoires en bandes dessinées lisibles par tous. Nos livres font la part belle à l'aquarelle, à la peinture et aux techniques de couleurs qui changent un peu. » Alors changeons, avec Trésor, de Lucie Durbiano.
Paris, années 60. Christine est étudiante. Jolie et naïve, elle lit des romans de Barbara Cartland. Elle est passionnée de mathématiques autant que son père l’est par l’archéologie, professeur à la Sorbonne par ailleurs. Une rencontre avec un étudiant ténébreux dont elle tombera très vite amoureuse va l’entraîner malgré elle sur les traces d’un trésor wisigoth… à Rennes-le-Château.

Résumé à cette simple présentation, Trésor pourrait prêter à sourire, ou nous faire éviter cette bédé littéraire aux références multiples : cinéma, musique, théâtre, littérature, opéra… Lucie Durbiano a su concocter un mélange de fraîcheur et de marivaudage assumé, en forçant le trait parfois - souvent ? -, tout en évitant les écueils qui la feraient sombrer dans le roman à l’eau de rose. L’album doit s’aborder avec un sens aigu du second degré, une première lecture nous faisant passer à côté d’une foule de détails savoureux qui méritent le détour.

Lucie Durbiano n’a pas ménagé ses efforts pour ancrer l’histoire et ses personnages dans leur époque. Les dialogues sont piquants, gentiment surannés, parfois désuets. Mais, sans nostalgie aucune, cela fonctionne assez bien dans la première partie de l’intrigue, quand les protagonistes jouent encore aux jeux de l’amour et du hasard. On pense immédiatement au cinéma de papa : un jeune premier mystérieux qu’un Jean-Claude Brialy aurait pu jouer, un amoureux transi (Jean Lefebvre avec les lunettes de Dary Cowl) et une figure paternaliste débonnaire, voire grotesque à la André Gaillard des Frères Ennemis. Côté parenté cinématographique, les héroïnes sont mieux loties : Christine en Audrey Hepburn, pour sa candeur et son romantisme rafraîchissants, Suzie en Jean Seberg, cheveux à la garçonne et pantalons corsaires, Simone en Brigitte Bardot, période Vadim. Le tout dans un Paris très Saint-Germain des Prés, insouciant et léger qui danse sur les notes bleues de Duke Ellington au moment de la sortie de son album Back to back, soit en 1960. Petit bémol donc quant à la datation, un peu hésitante…

L’album se lit au rythme des rebondissements et d’un scénario classique et légèrement simpliste, voire d’une intrigue simili-ésotérico-policière hautement improbable menant le lecteur au trésor des Wisigoths à Rennes-le-Château ! On s’attendrait presque à voir surgir l’Abbé Saunière et Dan Brown tapis derrière un cloître. La seconde partie de l’album prend donc la forme d’une course au trésor, et d’une course tout court, les personnages se poursuivant au hasard (encore) des alliances et revirements d’alliances. Dans un esprit très Un monde fou fou fou de Stanley Kramer. En moins burlesque peut-être. Quoique. On se demande parfois si l’on n’est pas en train de relire un Club des cinq… Il ne manque que Dagobert (le chien, pas le roi).

Mais Trésor est attachant malgré ses imperfections et ses hésitations. Il est ce mariage charmant de cinéma des années 60 et de second degré moderne et vivifiant. Lucie Durbiano a su nous emmener au bout de son histoire, jusqu’à un épilogue bienvenu après un rideau tombé sur un final frisant le ridicule. L’auteur s’est amusée avec les codes du genre, utilisant la bédé pour reprendre et s’approprier les clichés d’un certain roman et d’un certain cinéma, c’est plutôt réussi. Le titre de l’album, Trésor, n’est pas à prendre dans le sens premier, il tend aussi vers sa signification plus littéraire, recueil de savoir et de références : Lucie Durbiano fait de la bédé un genre à même de convoquer et de dépasser les arts dits majeurs qui nourrissent notre imaginaire.
DB

Trésor, de Lucie Durbiano, Gallimard, collection Bayou, 16 €