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Billet de blog 5 mai 2009

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Misanthrope sociable. Diacritik.com

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Jolies Ténèbres, conte cruel

Mais que se passe-t-il ? La fête a pourtant bien débuté. Hector est à l’heure, charmant. Aurore est jolie. Aurore et Hector prennent un chocolat, se rapprochent amoureusement et la quiétude lumineuse qui les entoure se transforme soudainement. Les parois se décomposent, le plafond amolli tombe à grosses gouttes, Aurore prend peur et tente d’échapper à cet étau limbique. La lumière a cédé devant les ténèbres.

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Mais que se passe-t-il ? La fête a pourtant bien débuté. Hector est à l’heure, charmant. Aurore est jolie. Aurore et Hector prennent un chocolat, se rapprochent amoureusement et la quiétude lumineuse qui les entoure se transforme soudainement. Les parois se décomposent, le plafond amolli tombe à grosses gouttes, Aurore prend peur et tente d’échapper à cet étau limbique. La lumière a cédé devant les ténèbres.

Attendez-vous à un vrai choc. Jolies Ténèbres, malgré son apparence extérieure à la beauté et à la poésie froides, énigmatiques, n’est pas un conte pour enfants. Loin de là. C’est un conte pour adultes, qui saisit et prend au cœur. Un conte sombre, désespéré. Jolies Ténèbres est une œuvre unique et singulière qui ne répond absolument pas aux codes du genre. Unique parce que prenant la forme d’un one-shot. Singulière, car elle explore l’insondable ; la mort. Celle d’Aurore. Belle mourant au bois.

Fabien Vehlmann et Kerascoët ont orchestré cette danse macabre désabusée. Le scénario de Fabien Vehlman – créateur de Seuls avec Gazzotti, de Samedi et Dimanche avec Gwen – associé aux dessins en couleur directe superbes du duo Marie Pommepuy et Sébastien Cosset – dessinateurs à quatre mains de Miss pas touche (avec Hubert) et Donjon Crépuscule avec Lewis Trondheim – nous entraine dans cette fable ambiguë, noueuse, torturée, éblouissante.

Jolies Ténèbres est un voyage, une descente aux enfers de l’inconcevable : A côté d’un corps en décomposition – celui d’Aurore peut-être –, de petits personnages, dont Aurore elle-même, s’échappent de ce corps sans vie, qui perd peu à peu son humanité, pendant que la nature joue son rôle funeste et inéluctable.

Une communauté semble se dessiner au milieu de la forêt, on croit reconnaître des poupées désarticulées, des pantins perdus, des souvenirs peut-être. Une âme en suspens, qui ne veut pas s’en aller, qui ne peut être apaisée. Dans ce flot de violence contenue, on croit voir des amitiés se dessiner. Aurore prend d’abord en mains cette improbable réunion d’êtres disparates. Un monde se crée, se recrée autour d’elle. Pour mieux se désagréger au fur et à mesure. Les rivalités se font jour. La survie est difficile, improbable, impossible. Les attentions se déportent de l’une pour mieux se reporter sur une autre. Aurore découvre peu à peu ce que signifie une condition dérisoirement très humaine dans ce microcosme irréel, avec ses travers et sa cruauté naturels. Commence alors une lutte pour la subsistance. Pour la survie. Dans ce cloaque où la nature ensevelit peu à peu ce qui gît. Au fil des saisons, dans l’anonymat et la solitude.

Des souvenirs rejaillissent. La figure d’Aurore, bien vivante, éclaire alors cette pantomime terrible. La force du scénario est de nous dérouter systématiquement. On croit un instant comprendre le cheminement. Ce qui est arrivé. Et puis, on se perd, on s’attache à suivre les pas d’Aurore dans cette « nouvelle vie ».

Le personnage d’Aurore emprunte son prénom aux belles heures d’un conte de Charles Perrault, qu’elle soit Belle au bois dormant, ou Peau d’Âne peut-être ; on croise des personnages qui pourraient être sortis tout droit d’ailleurs des Contes de ma mère l'Oye. Mais qui auraient été visités par Cocteau, ou René Clément, pour ces Jeux Interdits qui émaillent l’histoire, avec cette fascination que peut exercer la mort en filigrane.

Jolies Ténèbres est un ouvrage lumineux, luminescent, déroutant, écrit et dessiné magistralement, entre ombre et lumière, qui fait se rencontrer chaos et quête d’apaisement, de repos. Un conte cruel. Et tout simplement beau.

DB

Jolies ténèbres, par Kerascoët et Fabien Vehlmann. Dupuis, 92 pages couleur, 16 €, paru le 6 mars 2009.

Images : Jolies ténèbres © Dupuis, Kerascoët, Vehlmann.