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Billet de blog 15 janvier 2009

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Misanthrope sociable. Diacritik.com

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Low Moon, série noire

Avec Low Moon & autres histoires, en cinq histoires courtes, Jason nous transporte dans son univers prégnant, étourdissant, vertigineux, fait de personnages hybrides, tant physiquement qu’émotionnellement, en constante balance sur les fondements instables de leurs raisons et sentiments.

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Avec Low Moon & autres histoires, en cinq histoires courtes, Jason nous transporte dans son univers prégnant, étourdissant, vertigineux, fait de personnages hybrides, tant physiquement qu’émotionnellement, en constante balance sur les fondements instables de leurs raisons et sentiments.

Cinq récits, une œuvre noire et poignante, à l’humour désespéré et quasi muet, suite de slapsticks dignes de Buster Keaton, Chaplin, Pierre Etaix ou Tati, mais dépourvus d’happy-end. Avec ses personnages canins, yeux ronds sans pupille, oreilles tombantes et expressions figées n’empêchant pas l’expressivité, Jason installe le lecteur pour une séance de cinéma de genre. Le genre qui déroute, qui fascine, qui interpelle.

Minimaliste et épurée, en ombres diffuses sur fond noir, pour mieux souligner la face lunaire et crépusculaire d’une relation mort-née, l’atmosphère graphique d’Emilie vous passe son bonjour (première des cinq histoires) renvoie aux thèmes de la vengeance sourde et aveugle, à la folie, à la quête de libération. Nihiliste et énigmatique, l’Emilie de Jason distille sa mise en scène de série noire, hypnotique et désabusée. Comme ses protagonistes.

Plus lumineuse, l’ambiance de Low Moon, sorte de western parodique qui donne son titre au recueil, évoque le déclin du Far West, anachronique dans sa propre époque, - mais s’agit-il du genre ou de l’Ouest tout court ? -, tout en restant délicieusement parodique. Ici, les cow-boys ne se défient pas avec des six-coups mais des échiquiers, et le challenger tant redouté boit du déca cappuccino… Echec et Mat.

L’absence quasi systématique de décors, le parti pris de l’épure mènent tout droit vers une focalisation extrême sur l’histoire. Sur les histoires. On boit les dialogues, on cherche les détails en arrière-plan, on croise Munch et son Cri, on reconnaît une expression à la Charlot au détour d’une rue. Au détour d’une case.

Destins croisés. Jason s’amuse encore dans & et Proto film noir à jouer avec les codes. Les codes du mélodrame. Dans ces histoires de rivalités amoureuses et de quête de richesses et de bonheurs mélangés, pour évoquer ces scénarios rebattus, il transpose, il transporte, il s’approprie. Dans &, il aborde la question de l’argent, source de bonheur pour un amoureux transi, source de salut pour un fils dont la mère est mourante. L’un ira jusqu’à tuer chaque prétendant de celle qu’il s’est promis, l’autre ira jusqu’au vol pour obtenir la somme nécessaire à l’opération de la dernière chance. Cette chance qui n’arrivera pas, Jason se chargeant de nous livrer un pied de nez rigolard tout en cynisme en guise de morale. Dans Proto, avec cette histoire d’adultère, de rivalité amoureuse, moderne et décalée (les héros sont vêtus comme au temps des hommes des cavernes, manière de souligner le caractère ancestral des pulsions amoureuses et l’éternel recommencement des choses ?), on se prend à penser à Hot Spot de Dennis Hopper, où Don Johnson s’emprisonnait le cœur et le corps pour les beaux yeux de Virginia Madsen. Si le fantastique ne venait mettre son grain de sel dans la mécanique huilée du crime parfait.

Enfin, ponctuant de manière encore plus énigmatique, dans Tu es là (Tuer la ?), Jason cherche la femme. Disparue après une dispute conjugale, une femme devient l’objet d’une quête avide, jusqu’à la folie, par son mari qui l’a vu enlever par un alien… Il voudra construire une fusée pour aller la chercher, son fils lui emboîtant le pas, des années après, le suivant jusqu’à la mort du père. Clin d’œil aux histoires d’abductions chères au cinéma US. Histoire de parler encore de disparition, de perte et de quêtes vaines.

Low Moon est une bédé sensible, troublante, à l’esprit comique désabusé, avec une retenue rare et une construction laconique, Jason éclaire le lecteur autant qu’il retient ses personnages prisonniers de cercles infernaux, à l’intérieur d’eux-mêmes. Pour notre plus grand plaisir, Low Moon est une expérience déconcertante, attirante, captivante. Rare

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DB

Low Moon & autres histoires, Jason, Carabas, 212 p. 20€

Paru en novembre 2008 aux éditions Carabas, dans une superbe édition (format livre et dos toilé), Low Moon & autres histoires est le 12ème album de Jason, dessinateur norvégien, de son vrai nom John Ame Saeteroy. Il a publié en 2006 et 2007 les très remarqués J'ai tué Adolf Hitler et Le Dernier Mousquetaire. Low Moon avait fait l’objet d’une prépublication dans les Funny Pages du New York Times à partir de février 2008.

A lire également sur Jason :

"Vous offrirez bien un verre à un vieux mousquetaire", par Nicolas Chapelle, dans Comic Strip sur Mediapart et sur Noise News.