Londres au cinéma -- rires et larmes du réalisme social (2/3)
- 2 août 2020
- Par esther heboyan
- Édition : Espaces et écritures
Londres au cinéma – rires et larmes du réalisme social (2/3)
High Hopes (1988), Mike Leigh : chacun à sa place dans sa classe
Somers Town apparaît aussi dans High Hopes (1988), une comédie grinçante de Mike Leigh, autre grande figure du réalisme social. Le couple formé par Cyril (Phil Davis), un coursier socialo au discours cynique, et Shirley (Ruth Sheen), une jardinière municipale au cœur tendre, habite Stanley Buildings sur Stanley Passage (ruelle disparue) à l’ouest de King’s Cross, une cité construite en 1864-65 pour les ouvriers du rail. Dans un appartement exigu, encombré de matelas à même le sol et de cactus dont un baptisé « Thatcher », le couple semble en autarcie bienheureuse, sauf sur la question d’avoir des enfants. L’habitat londonien et les espaces domestiques définissent le rang social de deux autres couples : nouveaux riches d’un côté qui affichent voiture de sport et mobilier clinquant, grands bourgeois de l’autre qui viennent acquérir les logements ouvriers d’antan. Tous se révèlent hystériques, vulgaires et sans empathie.

Le Londres de Mike Leigh est rarement touristique. La Cathédrale Saint-Paul, vue des hauteurs de King’s Cross, est assimilée à un téton. Le Lloyd’s Building dans la Cité n’est qu’un volume de verre pour générer de l’argent et uniformiser l’apparence et le comportement des Londoniens. Et même la tombe de Karl Marx au cimetière de Highgate où Cyril vient se recueillir devient source de frustration. Dans l’Angleterre de Thatcher, ne faut-il pas trouver d’autres idées pour rendre la vie meilleure ?
Secrets et Mensonges (1996), Mike Leigh : drôles de retrouvailles familiales
Avec Secrets et Mensonges (Secrets & Lies, 1996), Palme d’Or à Cannes, Mike Leigh est moins politiquement revendicatif mais tout autant humainement impliqué que dans High Hopes. Encore une fois, la famille et les relations humaines sont au centre de l’histoire et sont déterminées par le statut social, le travail, l’argent qui comble les uns et manque aux autres. S’y ajoutent cette fois-ci les lourds secrets et mensonges autour de la procréation et de l’identité malaisée qui pourraient gâcher des vies. Lorsque Hortense (Marianne Jean-Baptiste), une jeune optométriste noire, découvre que Cynthia Purley (Brenda Blethyn), sa mère biologique est blanche, celle-ci semble avoir occulté l’épisode du géniteur. Lorsque Roxanne, l’autre fille de Cynthia, sans père elle aussi mais de condition bien plus modeste, comprend que son oncle lui a caché l’existence de cette demi-sœur, elle laisse éclater sa colère. Mais Mike Leigh nous offre un conte moderne où le désir de vivre, les liens personnels, l’intelligence et la compassion l’emportent sur les animosités et les blessures.
La fête d’anniversaire pour les 21 ans de Roxanne peut donc continuer chez l’oncle Maurice et sa femme qui s’enorgueillissent de leur maison sur Whitehouse Way à Southgate, un quartier résidentiel au nord de Londres, idyllique sous un soleil qui éclabousse rues et jardins et une lumière qui se reflète à travers les voiles du lit à baldaquins. Une échelle sociale en-dessous, plus au sud dans le quartier de Bethnal Green où Quilter Street allonge ses façades austères, le jardin délabré de Cynthia devient une oasis de paix familiale et de tendresse filiale : c’est l’heure du thé pour la mère et ses deux filles.

Ayant tourné 13 films dans la capitale, Mike Leigh est certainement un fervent et minutieux créateur d’images londoniennes.
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