Billet de blog 16 déc. 2022

Pierre Troin
Franco-Israélien, croyant et... compatible avec la République
Abonné·e de Mediapart

Un choix de société, parmi d'autres

Je lis souvent l’argument selon lequel il est impossible de s’opposer à l’idée « d’accorder un droit à ceux qui le demandent, sans rien enlever à ceux qui sont contre. » À première vue, cet argument semble imparable.

Pierre Troin
Franco-Israélien, croyant et... compatible avec la République
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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le débat sur la fin de vie est donc relancé. Mais y aura-t-il réellement débat ? J’en doute, à la vue des arguments de ceux et celles qui sont en faveur de l’euthanasie.

On nous dit qu’ils sont l’immense majorité et que de toute façon, quelle serait la logique de refuser un droit – celui d’euthanasier un malade – lorsqu’en même temps, on ne restreint pas le droit de ceux et de celles qui refusent d’être euthanasiés.

De plus, on nous cite à volonté des exemples de fin de vie terrible où les mourants ont dû subir des douleurs atroces, seulement parce qu’on n’avait pas le droit de mettre fin à leurs jours. Avec cet argument de force, la personne qui ose formuler la moindre réserve à propos de l’euthanasie se fait passer pour cruelle et inhumaine.

Dans cet article, je désire expliquer les raisons pour lesquelles ce raisonnement et cette attitude – de la part de la majorité – sont inappropriés.

Je lis souvent l’argument selon lequel il est impossible de s’opposer à l’idée « d’accorder un droit à ceux qui le demandent, sans rien enlever à ceux qui sont contre. » À première vue, cet argument semble imparable. Pourtant, il suffit d’observer notre société pour constater que nous contredisons cette idée régulièrement et que nous le revendiquons.

Je me permets de citer deux exemples, mais il serait possible d’en citer beaucoup plus.

En France, la polygamie est interdite. Pourtant, dans certaines cultures ou religions, cette pratique est encore actuelle ; c’est le cas notamment pour l’islam.

Ainsi, un musulman français a le droit – selon les lois islamiques – d’épouser une seconde ou une troisième femme s’il le désire. S’il ne le fera pas, c’est que le droit français lui interdit.

Il ne me semble pas que la majorité des français soient choqués par cette entrave à la liberté individuelle.

On dira sans doute que la polygamie est contraire aux us et coutumes de la société française ; on pourrait également remettre en question le véritable respect de la femme à travers cette pratique. En fait, peu importe nos raisons, le fait est que la polygamie est interdite.

Qu’en est-il du principe « d’accorder un droit à ceux qui le demandent, sans rien enlever à ceux qui sont contre » ?

Le fait est que si mon voisin musulman épouse sa troisième femme, cela ne m’oblige pas d’en faire de même. Dès lors, de quel droit puis-je approuver une loi qui lui interdit d’agir comme il l’entend ?

Illustration 1
© Antonino Visalli

Qu’on me permette de citer un deuxième exemple.

Si un jeune homme juif pratiquant ou une jeune femme musulmane pratiquante désirent s’inscrire à l’école de la République de leur quartier, il leur sera interdit d’entrer dans le bâtiment de l’école avec une kippa ou un hijab. Telle est la loi.

Qu’en est-il du principe « d’accorder un droit à ceux qui le demandent, sans rien enlever à ceux qui sont contre » ?

Le fait est que si en classe, mon voisin de droite porte une kippa et ma voisine de gauche un hijab, cela ne m’oblige pas d’en faire de même. Dès lors, de quel droit puis-je approuver une loi qui leur interdit d’agir comme ils l’entendent?

Ces deux cas démontrent que nous courrons le risque d’avoir une logique à géométrie variable si nous rejetons d’un revers de main l’avis de ceux et de celles qui émettent des réserves – voire pourraient s’opposer – à l’autorisation de l’euthanasie en France.

La réalité est que nous assumons régulièrement le fait d’interdire aux autres les attitudes et les comportements qui vont à l’encontre de nos valeurs ou de notre conception de la vie en société. Nous ne devons donc pas nous étonner si dans les débats qui concernent la fin de vie, certaines personnes ne partagent pas l’avis de la majorité et refusent l’idée qu’un médecin pourrait en toute légalité mettre fin à la vie d’un malade.

De plus, il me semble peu avisé de citer des exemples poignants de notre expérience face à la douleur de notre conjoint ou d’un autre membre de notre famille qui était en fin de vie.

Il existe une différence fondamentale à demander son avis à une personne dont l’esprit est calme et posé et le demander à une personne agitée et en proie à une grande douleur.

Récemment en France, un supposé voleur a été roué de coups et en est mort. Un autre individu qu’on soupçonnait d’avoir commis un viol a été également roué de coups et a failli en mourir.

Dans ce type de cas, on peut comprendre – sans forcément approuver – l’attitude de la personne excédée par les vols ou du père qui pense avoir trouvé celui qui a violé sa fille.

Pour autant, est-ce la meilleure façon d’appliquer la justice ? N’est-il pas préférable de se saisir du présumé coupable, de le mettre à l’abri d’une vengeance et de permettre à la police et éventuellement à la justice de procéder dans la plus grande sérénité ?

Lorsqu’on cherche à sensibiliser le public, on court le risque de lui faire perdre une partie de sa raison. C’est pourtant en faisant usage de notre intelligence – plus que de notre cœur – que nous devrions penser aux valeurs que nous sommes prêt à défendre ou à combattre.

Il est indéniable que si nous demandons l’avis des parents dont l’enfant a été violé ou tué par un être pervers sur le type de condamnation que cet être immonde devrait recevoir que la peine de mort serait régulièrement le verdict prononcé. Est-ce la justice que nous désirons ?

En fait, la réflexion, une certaine prise de recul et l’évaluation d’un nombre important de notions sont à prendre en considération lorsqu’il s’agit de faire un choix de société. Et cela est heureux.

Pour qu’un débat puisse avoir lieu, il faut accepter – c’est-à-dire respecter – l’opinion de l’Autre et ne pas chercher à l’influencer par des techniques de sensibilisation qui auraient pour nature de perturber sa réflexion.

Lorsque les esprits s’affrontent dans le plus grand respect mutuel, il en sort souvent les plus grands et les plus beaux choix de société. À l’inverse, lorsqu’une des parties méprise l’autre, l’aversion et la rancœur en sont les héritières.

Face à ce nouveau débat de la fin de vie, nous devrions essayer d’écouter les arguments – tous les arguments – et de débattre dans le plus grand respect et la plus grande sérénité.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.