
Une démarche qui réinvente notre façon d’habiter et de vivre ensemble, qui interroge collectivement l’intérêt général et donne du sens à une action publique.
D ans quelques jours s’ouvriront à Grenoble les sixièmes rencontres nationales de l’habitat participatif où se réuniront les militants de l’habitat groupé, des coopératives d’habitants et de l’auto-promotion immobilière. Ce rendez-vous annuel est l’occasion de construire des stratégies communes, de sensibiliser et d’interpeller les collectivités locales et l’État.
Partant du constat que la production du logement en France est fondée sur un dualisme entre parc social et promotion immobilière privée, peu de place est laissée à l’initiative habitante et à l’expression de formes alternatives issues de la société civile. Pourtant, au cours des années 1970, un mouvement d’innovation et d’expérimentation s’est organisé autour de l’habitat groupé autogéré. Des collectifs d’habitants ont revendiqué une autogestion du quotidien et une maîtrise de leur cadre de vie fondées sur une critique de la massification du parc social et de l’individualisme du petit pavillonnaire.
Aujourd’hui, des initiatives se développent dans un contexte nouveau de re-négociation des politiques sociales du logement, de transformations des formes d’engagements. Ces démarches qui se réclament d’une double appartenance au développement durable et à l’économie sociale et solidaire cherchent à travers une critique des modes conventionnels de production du logement à initier de nouveaux rapports de voisinage, de nouvelles formes de solidarité et de nouveaux rapports à la propriété par une certaine forme de ré-invention du quotidien. Elles sont portées par des habitants qui veulent devenir acteurs d’un dispositif de promotion et de fabrique de la ville dont ils sont ordinairement de simples usagers et des spectateurs passifs.
L’habitat participatif, une utopie réaliste ?
Cette mobilisation autour de l’habitat participatif traduit pourtant des réalités contrastées. Si depuis quelques années, plus de 300 groupes-projets se sont constitués aux quatre coins de France, seules quelques opérations sont aujourd’hui en cours d’aboutissement. Elles nous renseignent largement sur le difficile parcours qui attend les candidats à l’habitat participatif.
Aujourd’hui, face aux aléas et épreuves quotidiennes, les groupes d’habitants peinent à mener à bien leur projet qui reste pour beaucoup un rêve inaccessible.
Inspirées des expériences des éco-quartiers nord-européens autant que des références québécoises ou suisses en matière de logement communautaire et de coopératives d’habitation, ces démarches veulent impulser des dynamiques habitantes. Leur volonté est de « réinventer notre façon d’habiter et de vivre ensemble », en dehors des sentiers conventionnels du parc social et de la promotion immobilière mercantile, par une « nouvelle approche de l’habitat ». Pour cela, elles imaginent des projets de mutualisation, de solidarité, de durabilité qui se fondent sur la position centrale du collectif d’habitants. « En positionnant l’usager au cœur de la réalisation et de la gestion de son lieu de vie », il devient décideur et bénéficiaire direct des actions qu’il entreprend. Il s’agit donc pour ces groupes de constituer une offre produite par et pour les habitants.
Des démarches variées pour un même projet : « habiter autrement »
Deux grandes tendances occupent aujourd’hui cette scène alternative. D’une part, celle qui s’exprime autour de l’idée de coopératives d’habitants et d’autre part celle qui s’inscrit dans les démarches d’auto-promotion. La première promeut l’idée de devenir « collectivement propriétaire » et développe une réflexion sur l’accessibilité économique et sociale du logement ; la seconde cherche à mettre en oeuvre des projets dans lesquels le groupe « habitant » endosse l’habit du maître d’ouvrage et se livre à lui-même un immeuble qu’il aura programmé, financé et qu’il gérera.
Dans tous les cas, il s’agit d’affirmer le rôle central du groupe dans la gestion de projet afin « d’accéder à un logement à coûts maîtrisés par la limitation des intermédiaires, la programmation collective et surtout la coopération au quotidien. Tous ces facteurs mis bout à bout permettent aux ménages engagés dans des projets participatifs de diminuer le poids des dépenses liées au logement et d’augmenter ainsi leur « reste à vivre ».
Engagées dans le champ de l’habitat, ces expériences sont proches des dynamiques de l’Économie sociale et solidaire et cherchent à élaborer des processus de circuits courts en s’inscrivant dans les réflexions sur la consommation responsable.
Vers une institutionnalisation de l’habitat participatif
Malgré le faible nombre d’opérations en cours il ne faut pas négliger la place que ces initiatives occupent dans le débat public. Cette dynamique portée par la société civile trouve une écoute attentive auprès de collectivités locales qui cherchent à renouveler les cadres de l’action publique dans un contexte d’impératif de durabilité et de solidarité.
Cette mobilisation des décideurs locaux et les coopérations qui se déploient avec les acteurs de la société civile donnent un nouveau souffle à des pratiques conventionnelles dans le champ de l’habitat dont les compétences sont historiquement fondées sur des savoirs techniques et experts. L’adossement réciproque entre stratégies de l’action publique et de la société civile s’opère dans une perspective pragmatique et opérationnelle. Dès lors, il s’agit de construire des pratiques qui ne sont plus strictement dictées par les orientations de l’agent public mais bel et bien d’interroger collectivement l’intérêt général et de donner du sens à une action publique « co-construite ».
Si ces expériences sont aujourd’hui inachevées elles n’en restent pas moins un indicateur du renouvellement des formes de la participation citoyenne renouant ainsi avec les initiatives issues de la société civile. Toutefois, l’institutionnalisation de ces dispositifs peut faire courir le risque d’une normalisation et réduire à néant l’essence même de la démarche.
*Anne d'Orazio est architecte-urbaniste. Elle enseigne à l’école nationale supérieure d’architecture de Paris La Villette (ENSAPLV).
La Revue du projet, n° 21, novembre 2012