Billet de blog 9 avril 2013

Le Printemps des Poètes

Abonné·e de Mediapart

Masterclass, par Thierry Renard

Masterclass à Joëlle et à Blandine « Le stylo qui disait la véritéEst passé à la machine à laverpour sa peine… »Raymond Carver, La vitesse foudroyante du passé « Pour te rappeler que tu es en vieva sur la tombe de ton pèreà midi après avoir fait l’amour »Jim Harrison, Une heure de jour en moins Suis ton chemin, suis ton bonheur.C’est ce que j’ai retenu,l’autre jour,après la masterclass d’écriturede Christopher Voglerparrainée par Alexandre Astier.Trois jours et vingt-et-une heuresde trocs, de conseils, de réelle bonne humeur.Cela m’a donné envie de me replongerdans les livres de Raymond Carver,Là où les eaux se mêlent, Les Feux,N’en faites pas une histoire,La vitesse foudroyante du passé.À ce propos, le dernier après-midi, j’ai égarécet ouvrage de Carver auquel je suis tant attaché.Sans doute l’ai-je laissé sur mon fauteuil,ou peut-être est-il tombé de ma poche,tout bonnement. Perdre un Carver,c’est perdre un objet précieux, une denrée rare.C’est comme perdre son temps inutilement.Heureusement, ici m’attendaitun autre exemplaire de La vitessefoudroyante du passé, recueil de poèmesoù narration, autofiction, descriptionset évocations s’entremêlent.Bribes du passéqui remontent à la surface.Courts instants présents.Morceaux du voyage et tranches de vie.Et, surtout, quelques éclairsde futur immédiat.La clarté plutôt que la beauté,toujours, chez Carver et chezla plupart des autres écrivains américainsde cette génération.Savoir rester précis pour atteindre son but.Et puis, hier, premier jour du mois de novembre,ce fut aussi le vrai premier jourdu commencement de ma nouvelle vie.À presque cinquante ans — oui, oui,déjà ! — j’ai décidé de me prendre en main.Santé physique, santé morale, argent.Je vais enfin m’occuper de mes affaires,je me dois bien ça.Et puis, ce matin, avec ma fille Carla— la plus petite — nous sommes alléschez le coiffeur. C’était la première fois, ensemble.Elle a beaucoup appréciéle lavage des cheveux et le massage de la tête.Et tout le reste aussi.Ma fille a aimé cette première fois.Nous y retournerons,c’est certain. Suis ton bonheur, suis ton chemin.Traverse un village, prends une amie.Mange un lièvre, ou va au lit.Il fait nuit, maintenant.Et j’ai cessé d’être aveugle.Je vais beaucoup mieux que quiconque.Je ne suis plus seul face à ma table,face à la page qui se noircit.Mes amis les livres sont partout.Il y a ceux de Raymond Carver, j’ai dit.Mais il y a encore Une heurede jour en moins, de Jim Harrison.Je suis dans ma semaine américaine.Vogler a été clair, il m’a donné envie.Nous aimons les mêmes films et le même cinéma.Le soir peut mourir comme un amant,la nuit est une fillette de dix-sept ans.Un pas, et nous l’entendrons tirantsur les silences de la ville.Vers sa tombe de sable, nous l’entraînerons.Puis nous nous réveillerons en plein jouren cette humaine saison d’automne.Nous respirons comme des êtres indispensables.Mais ne tourmentons pas les branches des arbres,n’arrachons plus leurs feuilles. Lesétoiles sont éteintes,ne craignons plus les heures obscures.Ne passons plus au travers de ce qui était caché.La lumière est vivante.Les marées, les palombes et l’œil oublié feront entendreleurs voix basses au trajet inaudible et lugubre.Nous connaissons les degrés de la chute du monstre.Autrefois, la vie était plus facile, plus simple.Aujourd’hui nous défrichonsun terrain sec et dur. Le mauvais temps,avec ses lumières qui se tassent,est revenu.Ne remplissons plus nos verres d’absurdité.Nous sommes la lampe et nous sommes l’unité.Nous ne sommes peut-être rien d’autre. Suis ton chemin, suis ton bonheur.C’est le dernier acte, il y en a trois.Comme il y a les quatre saisons du temps,les douze étapes de l’aventureet les huit masques de la vie.Avant, j’étais patraque, j’avais souvent trop bu ou trop fumé.Aujourd’hui, je suisun poète de profil. Et j’attends,dans mon coin, une constellation de corbeaux.Je suis un bouquet de roses,les forêts brûlent en moi,les rivières courent aux abris,mes bras se nouent autour de ton cou.Ma fortune est faite, je suis un destin.Suis ton bonheur, suis ton chemin. Mais j’ai été coupable, je le sais bien,un autre, et tellement dispersé.Un autre, jusqu’au bout du rêve.Et je voudrais seulement être moi-même,tout d’abord réconcilié.Suis ton chemin, suis ton bonheur.J’entends ces mots prononcéspar Christopher Vogler. Je les trouveplutôt à mon goût, ces motsdu conférencier américain.Bien sûr, ses propos ne s’arrêtent pas là.Grand angle, ouverture de champ, prise de risque.Intérieur jour. Extérieur nuit. Plan rapproché.La vie c’est comme au cinéma.Un scénario connu d’avance. Nous ne sommes pas des héros. [Saint-Julien-Molin-Molette, le 3 novembre 2012 ; Vénissieux, le 5 décembre] 

Le Printemps des Poètes

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Masterclass

à Joëlle et à Blandine

« Le stylo qui disait la vérité

Est passé à la machine à laver

pour sa peine… »

Raymond Carver, La vitesse foudroyante du passé

« Pour te rappeler que tu es en vie

va sur la tombe de ton père

à midi après avoir fait l’amour »

Jim Harrison, Une heure de jour en moins

Suis ton chemin, suis ton bonheur.

C’est ce que j’ai retenu,

l’autre jour,

après la masterclass d’écriture

de Christopher Vogler

parrainée par Alexandre Astier.

Trois jours et vingt-et-une heures

de trocs, de conseils, de réelle bonne humeur.

Cela m’a donné envie de me replonger

dans les livres de Raymond Carver,

Là où les eaux se mêlent, Les Feux,

N’en faites pas une histoire,

La vitesse foudroyante du passé.

À ce propos, le dernier après-midi, j’ai égaré

cet ouvrage de Carver auquel je suis tant attaché.

Sans doute l’ai-je laissé sur mon fauteuil,

ou peut-être est-il tombé de ma poche,

tout bonnement. Perdre un Carver,

c’est perdre un objet précieux, une denrée rare.

C’est comme perdre son temps inutilement.

Heureusement, ici m’attendait

un autre exemplaire de La vitesse

foudroyante du passé, recueil de poèmes

où narration, autofiction, descriptions

et évocations s’entremêlent.

Bribes du passé

qui remontent à la surface.

Courts instants présents.

Morceaux du voyage et tranches de vie.

Et, surtout, quelques éclairs

de futur immédiat.

La clarté plutôt que la beauté,

toujours, chez Carver et chez

la plupart des autres écrivains américains

de cette génération.

Savoir rester précis pour atteindre son but.

Et puis, hier, premier jour du mois de novembre,

ce fut aussi le vrai premier jour

du commencement de ma nouvelle vie.

À presque cinquante ans — oui, oui,

déjà ! — j’ai décidé de me prendre en main.

Santé physique, santé morale, argent.

Je vais enfin m’occuper de mes affaires,

je me dois bien ça.

Et puis, ce matin, avec ma fille Carla

la plus petite — nous sommes allés

chez le coiffeur. C’était la première fois, ensemble.

Elle a beaucoup apprécié

le lavage des cheveux et le massage de la tête.

Et tout le reste aussi.

Ma fille a aimé cette première fois.

Nous y retournerons,

c’est certain.

Suis ton bonheur, suis ton chemin.

Traverse un village, prends une amie.

Mange un lièvre, ou va au lit.

Il fait nuit, maintenant.

Et j’ai cessé d’être aveugle.

Je vais beaucoup mieux que quiconque.

Je ne suis plus seul face à ma table,

face à la page qui se noircit.

Mes amis les livres sont partout.

Il y a ceux de Raymond Carver, j’ai dit.

Mais il y a encore Une heure

de jour en moins, de Jim Harrison.

Je suis dans ma semaine américaine.

Vogler a été clair, il m’a donné envie.

Nous aimons les mêmes films et le même cinéma.

Le soir peut mourir comme un amant,

la nuit est une fillette de dix-sept ans.

Un pas, et nous l’entendrons tirant

sur les silences de la ville.

Vers sa tombe de sable, nous l’entraînerons.

Puis nous nous réveillerons en plein jour

en cette humaine saison d’automne.

Nous respirons comme des êtres indispensables.

Mais ne tourmentons pas les branches des arbres,

n’arrachons plus leurs feuilles. Les

étoiles sont éteintes,

ne craignons plus les heures obscures.

Ne passons plus au travers de ce qui était caché.

La lumière est vivante.

Les marées, les palombes et l’œil oublié feront entendre

leurs voix basses au trajet inaudible et lugubre.

Nous connaissons les degrés de la chute du monstre.

Autrefois, la vie était plus facile, plus simple.

Aujourd’hui nous défrichons

un terrain sec et dur. Le mauvais temps,

avec ses lumières qui se tassent,

est revenu.

Ne remplissons plus nos verres d’absurdité.

Nous sommes la lampe et nous sommes l’unité.

Nous ne sommes peut-être rien d’autre.

Suis ton chemin, suis ton bonheur.

C’est le dernier acte, il y en a trois.

Comme il y a les quatre saisons du temps,

les douze étapes de l’aventure

et les huit masques de la vie.

Avant, j’étais patraque, j’avais souvent trop bu ou trop fumé.

Aujourd’hui, je suis

un poète de profil. Et j’attends,

dans mon coin, une constellation de corbeaux.

Je suis un bouquet de roses,

les forêts brûlent en moi,

les rivières courent aux abris,

mes bras se nouent autour de ton cou.

Ma fortune est faite, je suis un destin.

Suis ton bonheur, suis ton chemin.

Mais j’ai été coupable, je le sais bien,

un autre, et tellement dispersé.

Un autre, jusqu’au bout du rêve.

Et je voudrais seulement être moi-même,

tout d’abord réconcilié.

Suis ton chemin, suis ton bonheur.

J’entends ces mots prononcés

par Christopher Vogler. Je les trouve

plutôt à mon goût, ces mots

du conférencier américain.

Bien sûr, ses propos ne s’arrêtent pas là.

Grand angle, ouverture de champ, prise de risque.

Intérieur jour. Extérieur nuit. Plan rapproché.

La vie c’est comme au cinéma.

Un scénario connu d’avance.

Nous ne sommes pas des héros.

[Saint-Julien-Molin-Molette, le 3 novembre 2012 ; Vénissieux, le 5 décembre]

Thierry Renard

Né le 14 août 1963 à Lyon. Mère d'origine piémontaise, employée. Père lyonnais, ouvrier. Etudes secondaires au lycée Jacques Brel de Vénissieux. Ancien élève du Conservatoire d'art dramatique de Lyon.
S'est fait remarquer, dès 1978, dans la région lyonnaise - en tant que comédien, poète et animateur de revue. A longtemps partagé sa vie entre l'écriture, le théâtre et la rue.
Après avoir fondé et animé le magazine poétique AUBE (1978/1998); après avoir été le directeur littéraire des éditions Paroles d'aube jusqu'au printemps 1998, Thierry Renard a rejoint les éditions La Passe du vent, nées en 1999, en tant que responsable littéraire. A reçu le prix K de la littérature - meilleure édition, en février 2001, trophée de la création artistique en Rhône-Alpes décerné par l'hebdomadaire Lyon Capitale.
Fondateur et porte-parole de l'Espace Pandora à Vénissieux, lieu de diffusion et de communication de la poésie — sous toutes ses formes et dans tous ses états.
Il s'est également distingué en abordant la poésie et les lectures de textes d'une manière originale et vivante, préferant les performances aux lectures plus traditionnelles.

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