Masterclass
à Joëlle et à Blandine
« Le stylo qui disait la vérité
Est passé à la machine à laver
pour sa peine… »
Raymond Carver, La vitesse foudroyante du passé
« Pour te rappeler que tu es en vie
va sur la tombe de ton père
à midi après avoir fait l’amour »
Jim Harrison, Une heure de jour en moins
Suis ton chemin, suis ton bonheur.
C’est ce que j’ai retenu,
l’autre jour,
après la masterclass d’écriture
de Christopher Vogler
parrainée par Alexandre Astier.
Trois jours et vingt-et-une heures
de trocs, de conseils, de réelle bonne humeur.
Cela m’a donné envie de me replonger
dans les livres de Raymond Carver,
Là où les eaux se mêlent, Les Feux,
N’en faites pas une histoire,
La vitesse foudroyante du passé.
À ce propos, le dernier après-midi, j’ai égaré
cet ouvrage de Carver auquel je suis tant attaché.
Sans doute l’ai-je laissé sur mon fauteuil,
ou peut-être est-il tombé de ma poche,
tout bonnement. Perdre un Carver,
c’est perdre un objet précieux, une denrée rare.
C’est comme perdre son temps inutilement.
Heureusement, ici m’attendait
un autre exemplaire de La vitesse
foudroyante du passé, recueil de poèmes
où narration, autofiction, descriptions
et évocations s’entremêlent.
Bribes du passé
qui remontent à la surface.
Courts instants présents.
Morceaux du voyage et tranches de vie.
Et, surtout, quelques éclairs
de futur immédiat.
La clarté plutôt que la beauté,
toujours, chez Carver et chez
la plupart des autres écrivains américains
de cette génération.
Savoir rester précis pour atteindre son but.
Et puis, hier, premier jour du mois de novembre,
ce fut aussi le vrai premier jour
du commencement de ma nouvelle vie.
À presque cinquante ans — oui, oui,
déjà ! — j’ai décidé de me prendre en main.
Santé physique, santé morale, argent.
Je vais enfin m’occuper de mes affaires,
je me dois bien ça.
Et puis, ce matin, avec ma fille Carla
— la plus petite — nous sommes allés
chez le coiffeur. C’était la première fois, ensemble.
Elle a beaucoup apprécié
le lavage des cheveux et le massage de la tête.
Et tout le reste aussi.
Ma fille a aimé cette première fois.
Nous y retournerons,
c’est certain.
Suis ton bonheur, suis ton chemin.
Traverse un village, prends une amie.
Mange un lièvre, ou va au lit.
Il fait nuit, maintenant.
Et j’ai cessé d’être aveugle.
Je vais beaucoup mieux que quiconque.
Je ne suis plus seul face à ma table,
face à la page qui se noircit.
Mes amis les livres sont partout.
Il y a ceux de Raymond Carver, j’ai dit.
Mais il y a encore Une heure
de jour en moins, de Jim Harrison.
Je suis dans ma semaine américaine.
Vogler a été clair, il m’a donné envie.
Nous aimons les mêmes films et le même cinéma.
Le soir peut mourir comme un amant,
la nuit est une fillette de dix-sept ans.
Un pas, et nous l’entendrons tirant
sur les silences de la ville.
Vers sa tombe de sable, nous l’entraînerons.
Puis nous nous réveillerons en plein jour
en cette humaine saison d’automne.
Nous respirons comme des êtres indispensables.
Mais ne tourmentons pas les branches des arbres,
n’arrachons plus leurs feuilles. Les
étoiles sont éteintes,
ne craignons plus les heures obscures.
Ne passons plus au travers de ce qui était caché.
La lumière est vivante.
Les marées, les palombes et l’œil oublié feront entendre
leurs voix basses au trajet inaudible et lugubre.
Nous connaissons les degrés de la chute du monstre.
Autrefois, la vie était plus facile, plus simple.
Aujourd’hui nous défrichons
un terrain sec et dur. Le mauvais temps,
avec ses lumières qui se tassent,
est revenu.
Ne remplissons plus nos verres d’absurdité.
Nous sommes la lampe et nous sommes l’unité.
Nous ne sommes peut-être rien d’autre.
Suis ton chemin, suis ton bonheur.
C’est le dernier acte, il y en a trois.
Comme il y a les quatre saisons du temps,
les douze étapes de l’aventure
et les huit masques de la vie.
Avant, j’étais patraque, j’avais souvent trop bu ou trop fumé.
Aujourd’hui, je suis
un poète de profil. Et j’attends,
dans mon coin, une constellation de corbeaux.
Je suis un bouquet de roses,
les forêts brûlent en moi,
les rivières courent aux abris,
mes bras se nouent autour de ton cou.
Ma fortune est faite, je suis un destin.
Suis ton bonheur, suis ton chemin.
Mais j’ai été coupable, je le sais bien,
un autre, et tellement dispersé.
Un autre, jusqu’au bout du rêve.
Et je voudrais seulement être moi-même,
tout d’abord réconcilié.
Suis ton chemin, suis ton bonheur.
J’entends ces mots prononcés
par Christopher Vogler. Je les trouve
plutôt à mon goût, ces mots
du conférencier américain.
Bien sûr, ses propos ne s’arrêtent pas là.
Grand angle, ouverture de champ, prise de risque.
Intérieur jour. Extérieur nuit. Plan rapproché.
La vie c’est comme au cinéma.
Un scénario connu d’avance.
Nous ne sommes pas des héros.
[Saint-Julien-Molin-Molette, le 3 novembre 2012 ; Vénissieux, le 5 décembre]
Né le 14 août 1963 à Lyon. Mère d'origine piémontaise, employée. Père lyonnais, ouvrier. Etudes secondaires au lycée Jacques Brel de Vénissieux. Ancien élève du Conservatoire d'art dramatique de Lyon.
S'est fait remarquer, dès 1978, dans la région lyonnaise - en tant que comédien, poète et animateur de revue. A longtemps partagé sa vie entre l'écriture, le théâtre et la rue.
Après avoir fondé et animé le magazine poétique AUBE (1978/1998); après avoir été le directeur littéraire des éditions Paroles d'aube jusqu'au printemps 1998, Thierry Renard a rejoint les éditions La Passe du vent, nées en 1999, en tant que responsable littéraire. A reçu le prix K de la littérature - meilleure édition, en février 2001, trophée de la création artistique en Rhône-Alpes décerné par l'hebdomadaire Lyon Capitale.
Fondateur et porte-parole de l'Espace Pandora à Vénissieux, lieu de diffusion et de communication de la poésie — sous toutes ses formes et dans tous ses états.
Il s'est également distingué en abordant la poésie et les lectures de textes d'une manière originale et vivante, préferant les performances aux lectures plus traditionnelles.