Billet de blog 1 septembre 2015

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Trop chère rentrée

David Belliard, de la promotion Edhec 2002 et coprésident EELV du groupe des élu(e)s au Conseil de Paris relaie la grogne des étudiants au sujet de l'augmentation des frais de scolarité des écoles de commerce. Et va au-delà. « Elles ne sont en effet pas les seules à avoir adopté ces stratégies d’expansion. Il n’est qu’à voir l’évolution de Science Po ou encore de quelques grandes universités françaises qui sont pourtant, eux, des établissements publics. »

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David Belliard, de la promotion Edhec 2002 et coprésident EELV du groupe des élu(e)s au Conseil de Paris relaie la grogne des étudiants au sujet de l'augmentation des frais de scolarité des écoles de commerce. Et va au-delà. « Elles ne sont en effet pas les seules à avoir adopté ces stratégies d’expansion. Il n’est qu’à voir l’évolution de Science Po ou encore de quelques grandes universités françaises qui sont pourtant, eux, des établissements publics. »


L’affaire aurait pu, sans la grogne de ses étudiants, qui ne sont pourtant pas connus pour être des révolutionnaires patentés, passer à la trappe des informations estivales : l’Edhec, en montant ses frais de scolarité à 45 000 euros, a explosé tous les records et est devenue LA grande école de commerce la plus chère de France. 45 000 euros, soit 20 % de plus qu’il y a trois ans, et plus du double qu’il y a 15 ans. 

Pour justifier cette augmentation vertigineuse, commune à l’ensemble des établissements équivalents, son directeur rappelle la baisse des subventions de l’Etat et la réforme de la taxe d’apprentissage. S’il est vrai que la nouvelle taxe d’apprentissage freine le nombre d’apprentis dans certaines filières - un comble !, l’invocation des  « pouvoirs publics - boucs émissaires » cache quand même bien maladroitement les véritables raisons de cette augmentation. Engagées dans la course effrénée de la compétition globalisée, les écoles de commerce françaises ont les yeux braqués sur leur classement international, l’objet de tous leurs désirs et de toutes leurs aspirations. Pire qu’un cours de bourse, il justifie les investissements dans des campus prestigieux à l’américaine, bien souvent hors de prix, la création de succursales un peu partout dans le monde sans forcément de lien direct avec la stratégie globale des établissements ou encore les embauches de professeurs soi-disant prestigieux, qui réclament des rémunérations démesurées. Rien n'est trop beau, ni trop cher pour gagner quelques rangs dans les classements internationaux, sans que cela n’apporte d’amélioration directe sur la qualité de l’enseignement. Face à cette frénésie d’investissements, ces écoles, pourtant spécialistes du « business », peinent à trouver de nouvelles sources de revenus. Il leur est bien plus facile d’augmenter en catimini les frais de scolarité des étudiants, devenus de véritables vaches à lait. 

Mais s’offusquer des seules augmentations des frais de scolarité des écoles de commerce, c’est faire preuve au pire d'hypocrisie, au mieux de paresse intellectuelle. Elles ne sont en effet pas les seules à avoir adopté ces stratégies d’expansion. Il n’est qu’à voir l’évolution de Science Po ou encore de quelques grandes universités françaises qui sont pourtant, eux, des établissements publics. Cette volonté de créer une super élite internationale à la française, surdotée, fait l’objet d’un consensus chez nos dirigeants, de gauche comme de droite, trop contents du prestige que cela apporte – et accessoirement d’y placer leurs rejetons. Ce soutien ne se traduit d’ailleurs pas seulement par les aides directes que reçoivent les établissements les plus prestigieux, il trouve aussi corps dans l’investissement substantiel et disproportionné que les pouvoirs publics consacrent aux filières dites d’élite, comme les classes préparatoires aux grandes écoles (15 000 euros par an et par étudiant en classe préparatoire, soit 37 % de plus que pour un étudiant à l’université), coûteuse exception française.

Qu’importe que dans ces mêmes filières, les enfants de milieux défavorisés y soient très fortement sous-représentées (6,3 % des effectifs sont des enfants d’ouvriers, alors que ces derniers représentent plus de 20 % de la population). Et c’est sans parler des discriminations sociales aussi drastiques que silencieuses opérées par l’ensemble du système universitaire, qui pratique une sélection au moins aussi sévère que dans les filières à concours. Si le handicap social n’y est évidemment pas insurmontable, un étudiant issu de milieu favorisé continue d’avoir beaucoup plus de chance de décrocher un master que son camarade aux origines plus modestes. La démocratisation partielle de l’enseignement supérieur ne doit en effet pas nous faire oublier que les inégalités sociales se perpétuent, particulièrement dans les filières les plus cotées. 

Les grandes écoles de commerce, avec leurs frais de scolarité indécents, ne sont que les révélateurs bling-bling des logiques de ségrégations sociales à l’œuvre dans le système d’enseignement français. Depuis le plus jeune âge, il produit des élites habituées à l’entre-soi, uniformisées par une compétition sauvage entre les élèves et partageant une même représentation du monde. Ces inégalités, qui laissent sur le bord de la route nombre de jeunes, sont extrêmement coûteuses, socialement, politiquement et économiquement. La plus grande interpénétration des facteurs environnementaux, culturels, sociaux et économiques, les transformations profondes qu’impliquent la numérisation de l’économie, avec de nouvelles relations d’échanges et de travail plus horizontales, la transition écologique ou encore la nécessité, sous peine de désastre démocratique, d’une plus grande inclusion de l’ensemble des acteurs de la société dans les prises de décision, sont autant de changements qui plaident en faveur d’une transformation profonde de notre système éducatif.

Les pistes sont déjà connues : investissons massivement dans les crèches, la maternelle (chaque enfant de 3 ans doit pouvoir y être admis) et le primaire, augmentons les effectifs pédagogiques dans les collèges, investissons dans l’orientation, supprimons les classes préparatoires pour orienter les efforts vers les deux premières années de l’université, où les étudiants sont laissés à l’abandon, favorisons l’accès aux filières les plus prestigieuses aux étudiants issus de milieux défavorisés… Allons vers plus d’égalité et de diversité dans l’accès aux diplômes, et notamment aux plus prestigieux, afin de former une élite capable d’embrasser collectivement plus de paramètres, et de rendre notre pays plus inventif, plus innovant et moins poussiéreux. C’est ainsi que notre société invitera toutes ses forces vives, sans exception, à participer au monde qui se dessine. 

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