Les futurs habitants du projet Diapason, bloqué en raison du revirement municipal sur la vente du terrain, adressent une lettre ouverte au maire de Paris: «Nous sommes parisiens. Nous sommes citoyens. Et nous ne comprenons pas.»
-----------------

Monsieur le Maire de Paris,
Le 23 novembre 2011, René Dutrey (conseiller de Paris) et Jean-Yves Mano (adjoint au maire de Paris en charge du logement) publiaient dans Mediapart une tribune: «Oser l’habitat participatif». Le lendemain, la Ville de Paris signait, avec 14 autres collectivités, la charte d’orientation pour l’habitat participatif. Pourtant, en moins de deux mois,ces discourspourraient déjà devenir lettres mortes.
Le 12 janvier 2012, la Ville de Paris décidait en effet d’interrompre le projet Diapason, première opération parisienne d’habitat participatif depuis 30 ans. Ce jour-là, la Semavip, aménageur de la Ville, refusait de confirmer la promesse de vente du terrain –situé dans le XIXe arrondissement, à l’angle du quai de la Marne et de la rue de l’Ourcq– en arguant de difficultés administratives diverses: sur le permis de construire, la garantie financière d’achèvement, la composition du groupe des futurs habitants, leur engagement dans la SCIA… Ces arguments ont depuis été réfutés un par un par l’avocat de Diapason; mais ils suffisent malgré tout à arrêter ce projet, à la fois si modeste mais si symbolique d’une manière humaine et innovante de construire la ville. Un projet qui est porté par des habitants et qui était jusqu’ici défendu par leurs représentants.
Nous sommes les futurs habitants de ce projet Diapason. Nous sommes 14 familles (composées, recomposées, des couples, des célibataires), 22 adultes âgés de 27 à 74 ans, et (bientôt) 11 enfants. Nous sommes parisiens. Nous sommes citoyens. Et nous ne comprenons pas.
Nous ne comprenons pas parce que le projet Diapason a été lancé dès 2009 en concertation avec la mairie du XIXe et la Ville de Paris. Au cours de ces quatre années, nous, les porteurs de ce projet, avons su dépasser de nombreux obstacles. La construction de nos villes reste dominée par des opérateurs professionnels, des organismes d’HLM aux promoteurs immobiliers. Dans ce contexte, s’unir pour construire son lieu de vie reste une démarche hors norme. «Le cadre législatif et réglementaire doit changer», notait la tribune des élus de Paris. Cela est vrai, mais malgré cet environnement peu approprié, le projet Diapason a su avancer: concours d’architecte, montage financier, conception de l’immeuble et plans définitifs, promesse de vente du terrain, permis de construire obtenu, planning des travaux… Tout est prêt pour lancer l’opération dès le printemps. Tout est prêt, mais l’on nous le refuse désormais. Nous ne comprenons pas.
Nous ne comprenons pas parce que si notre projet innove dans sa manière de faire, il innove surtout dans les finalités qu’il poursuit.
Nous refusons, tout d’abord, la spéculation qui a entraîné la folie immobilière de ces dernières années et qui interdit à la plupart d’entre nous d’accéder à la propriété sans être aidés. Nous construisons pour nous loger, pas pour nous enrichir: clauses anti-spéculatives et engagement à faire de nos logements nos résidences principales en sont l’illustration la plus vive. Notre tentative de prendre des distances avec le marché heurte une municipalité de gauche? Nous ne comprenons pas.
Nous revendiquons, ensuite, notre diversité. Nos âges, nos origines, nos ressources empêchent quiconque de nous enfermer dans une catégorie. Nous sommes un groupe aux identités multiples qui a décidé d’apprendre à vivre ensemble, là où la société semble appeler au repli et à l’isolement. A travers notre charte et l’association Diapason 19 dont nous sommes chacun membre, le partage et l’entraide sont posés comme des éléments fondateurs de notre rencontre. Garde d’enfants, maintien à domicile, jardin partagé, espaces collectifs ouverts sur le quartier autogérés, clauses et logement d’insertion, etc. : ces démarches sont au cœur de notre projet. Elles nous semblaient l’être aussi pour la municipalité. Nous ne comprenons pas.
Nous aspirons, enfin, à démontrer que de nouvelles pratiques, de construction et de consommation, sont possibles. L’immeuble Diapason doit ainsi être le premier bâtiment passif certifié de la capitale, avec une empreinte énergétique quasi-nulle, bien mieux que les normes actuelles les plus exigeantes. L’isolation devrait même se faire via le recours à l’isolant «Métisse» proposé par Emmaüs (fibres textiles issues des collectes de vêtements) afin de favoriser un recyclage responsable –tant socialement que vis-à-vis de l’environnement. A notre sens, là encore, nous pensions que l’écologie était un enjeu déterminant de la mandature en cours. Nous ne comprenons pas.
Et comme nous ne comprenons pas, nous n’acceptons pas. Le silence qui est opposé aujourd’hui par nos élus à une démarche citoyenne qu’ils défendaient hier nous interdit d’ailleurs d’accepter. Car cela reviendrait non seulement à accepter que le projet Diapason soit enterré la veille de sa sortie de terre, mais aussi que la perspective de tout projet parisien d’habitat participatif à l'horizon des cinq prochaines années se soit subitement assombrie. C’est pourquoi, forts de nos convictions, forts du soutien apporté à Diapason par de nombreuses associations qui défendent l’habitat participatif partout en France, et forts du partenariat qui a prévalu jusqu’ici entre nous, la Mairie du XIXe et la Ville de Paris, nous en appelons, Monsieur le Maire, à l’autorité de votre arbitrage, mettant ainsi en adéquation les actes d’aujourd’hui avec les discours d’hier.
«Oser l’habitat participatif»? Oui, nous avons osé. Et avec vous, Monsieur le Maire, dès demain, nous le construirons.
Les 33 futurs habitants du projet Diapason