Le docteur Anne Henry, chef du pôle psychiatrie au centre pénitentiaire de Rennes-Vézin, s'inquiète d'une proposition de loi introduisant de nouvelles dérogations au secret médical en prison qui, sous couvert de mieux protéger les patients privés de liberté, pose plus de questions qu'elle n'en résout.
Le secret professionnel en prison ne devrait pas faire l’objet d’une quelconque discussion car il ne devrait pas se distinguer de celui défini par le code de déontologie et par le code de santé publique. Rien dans la loi ne permet aux médecins exerçant au sein d’un établissement pénitentiaire d’en user différemment. Mais en pratique son respect est, en prison, difficile.
Le 17 décembre 2013, lors de la huitième rencontre sur les prisons, Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, s’est adressé aux parlementaires pour leur rappeler, avec une certaine vigueur, que sa fonction était de s’assurer du respect de la loi dans les endroits les plus oubliés et qu’il ne s’agissait nullement, pour ses collaborateurs et lui, de la réformer.
Le contrôle général des lieux de privation de liberté, organisme totalement indépendant, existe depuis 2007. Il est devenu indispensable et les médecins exerçant en prison le sollicitent fréquemment. Mais lorsqu’ils ont appris qu’une proposition de loi le concernant et concernant surtout le secret médical, qui ne pourrait plus lui être opposé, était en cours d’élaboration, la majorité d’entre eux s’est grandement inquiétée. La sénatrice Catherine Tasca, chargée de la rédaction de ce projet, affirme que les éléments couverts par le secret médical ne pourront, pas plus qu’aujourd’hui, être communiqués au contrôleur général des lieux de privation de liberté, sauf « à la demande expresse de la personne concernée ». Mais elle introduit une exception qui a trait aux informations « relatives à des privations, sévices et violences physiques, sexuelles ou psychiques commises sur […] une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ». Si l’on considère que la privation de liberté rend vulnérable, cela revient paradoxalement à se passer, de façon qui peut être quasi systématique, du consentement de ceux qui ont le plus besoin de l’exprimer ou de le refuser.
L’intention de mieux protéger les patients privés de liberté est louable mais pourquoi ne pas se contenter d’une application rigoureuse de la loi du 4 mars 2002 qui fait du patient, et non du médecin, le véritable propriétaire du secret médical. On sait que, depuis 2002, le médecin ne peut plus opposer ce secret à son patient qui, lui, ne peut pas l’en délier. Ainsi le médecin ne peut pas refuser de remettre à son patient, en main propre, un certificat décrivant, précisément et de façon exhaustive, sa symptomatologie ; le patient peut exiger, à tout moment, de prendre possession de son dossier, le médecin ne pouvant discuter que des modalités de sa remise (présence du médecin traitant ou d’un tiers de confiance…). Il est facile de mettre en évidence les cas de non application de la loi.
Il n’est guère besoin d’invoquer les dangers encourus par les patients et la nécessité pour les médecins de les en protéger en ne gardant pas le silence. La loi prévoit déjà de possibles dérogations au secret professionnel, en particulier en cas de « sévices ou de privations infligées […] à une personne incapable de se protéger » ou encore en cas de « sévices permettant de présumer de la commission de violences sur une personne majeure ». Les médecins doivent alors s’adresser au procureur de la République. Ne pourrait-on pas envisager, plutôt que d’entamer plus encore le secret médical, de prévenir le contrôleur général des signalements effectués pour des patients résidant dans des lieux où on les prive de leur liberté ?
On peut considérer le signalement au procureur comme insuffisant si l’on estime que le danger est directement lié au médecin. Ainsi on peut imaginer un patient insatisfait de sa prise en charge ou de la prescription médicamenteuse qui lui est faite ; s’il se plaint au contrôleur général, celui-ci n’obtiendra aucun renseignement du psychiatre incriminé. Le contrôleur général ne pourra pas non plus avoir d’accès direct au dossier du plaignant. Mais il aura quand même aisément accès aux données médicales les plus confidentielles, à condition de l’assentiment actif des patients qui soit lui feront parvenir le certificat médical établi par leur psychiatre traitant, soit le désigneront comme leur personne de confiance. Si la loi devenait telle que l’envisage Madame Tasca, le contrôleur général pourrait, en dehors du consentement des patients, interroger leur psychiatre ou consulter leur dossier. Il serait bien embarrassé s’il découvrait alors que parmi ceux qui se plaignent, certains font commerce de ce qui leur est prescrit et qu’ils peuvent ainsi mettre en danger leurs codétenus. Devrait-il prévenir les autorités des trafics médicamenteux soupçonnés et dénoncer ceux qui ont demandé son aide ? Et s’il pensait à une possible défaillance médicale, devrait-il diligenter une expertise et de quel type (elle devrait être, a priori, contradictoire) ? Ne serait-il pas contraint également de faire expertiser les patients à la recherche de dommages objectifs ?
Jean-Marie Delarue a raison quand il rappelle qu’il est un des garants de la loi qu’il ne veut ni ne doit incarner. Son affirmation permanente de la nécessité d’un secret médical quasi absolu, pour les prisonniers comme pour les autres, est la conséquence de sa volonté d’être une instance tierce que quiconque peut solliciter et qui, à son tour, peut alerter les autorités compétentes. Il a raison de relater, dans des rapports réguliers et rendus publics, les manquements des diverses institutions dont il a connaissance lors de ses visites d’inspection ou par les nombreuses saisies dont il est l’objet. Mais s’il pouvait avoir, en dehors de leur accord, un accès direct aux dossiers médicaux des patients détenus, que deviendrait son champ d’action ? En cas de dysfonctionnement médical, aurait-il l’autorité d’admonester les médecins défaillants voire de leur ordonner des conduites thérapeutiques différentes de celles que leurs patients contestent ? Quel serait alors le sens des suivis ou des prescriptions médicamenteuses obligées ? Ou si inquiet de l’importance des trafics découverts, il décidait d’en dénoncer les auteurs ? Pourrait-il continuer à être un interlocuteur et un recours pour les patients indélicats ou pas, mais aussi pour les autres, qu’il s'agisse des autres détenus ou de ceux qui les soignent ?
Anne Henry, docteur, chef du pôle psychiatrie en milieu pénitentiaire au centre pénitentiaire de Rennes-Vezin-le-Coquet