Billet de blog 19 juillet 2011

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Le courageux détachement philosophique de Luc Ferry

Le philosophe et humoriste Yves Cusset revient sur la polémique qui a selon lui bien injustement touché Luc Ferry, quand il lui a été reproché de toucher des indemnités mirobolantes pour des cours qu'il n'assurait pas.

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Le philosophe et humoriste Yves Cusset revient sur la polémique qui a selon lui bien injustement touché Luc Ferry, quand il lui a été reproché de toucher des indemnités mirobolantes pour des cours qu'il n'assurait pas.

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J'avoue que les récents quolibets qu'a eu à subir l'ex-ministre, ex-philosophe et ex-professeur Luc Ferry me révoltent. Oui, il a raison de rappeler avec attachement que des milliers d'enseignants sont dans la même situation que lui: détachés. On appelle détachée la personne dont le désintéressement est si remarquable que son inactivité lui rapporte 4400 euros par mois, et sa présence à trois réunions annuelles du Conseil Economique et Social 1800 euros d'indemnité non imposable. Il s'agit tout simplement d'une prime au mérite philosophique, attesté par un détachement radical par rapport à la vaine agitation des hommes.

Puisque personne n'a eu le courage de se déclarer, j'ai décidé de rompre avec l'omerta du corps enseignant, et de dire ici tout haut que je bénéficie d'émoluments équivalents pour l'ensemble des cours que je ne donne pas à la sueur de mon front, et je peux vous dire que ça fait un bon paquet d'heures. Il ne s'agit aucunement d'un privilège mais d'un droit, que peuvent faire valoir tous les enseignants sur simple demande, avant examen du dossier par la commission idoine: pour cela, il suffit de se rendre au Ministère de l'Education Nationale et de remplir la demande de Bourse Ferry, bourse de soutien au détachement et à l'inactivité philosophique. Vous me demanderez bien sûr: mais comment fait-on ensuite pour vivre avec seulement 6200 euros mensuels quand on doit payer les traites d'un appartement de 250 m2 dans le quartier latin, et entretenir plusieurs résidences secondaires de choix? Et là je vous rassurerai aussitôt en vous rappelant qu'il ne s'agit aucunement d'un revenu mais d'une prime, il vous est donc ensuite loisible de trouver une activité suffisamment rémunératrice pour gagner honorablement votre vie.

Parmi ces activités, je vous recommande vivement celles de chroniqueur au Figaro et à la télévision: fortement rémunératrices, elles demandent néanmoins un effort minimal, puisqu'il ne faut pas plus de douze minutes pour écrire une chronique du Figaro, avec cet avantage qu'il vous suffit d'une seule idée, que vous pouvez aller puiser le matin au bistrot du coin dans la conversation de vos congénères en allant boire votre premier petit blanc, pour ensuite assurer plusieurs chroniques intégrales. Pour la télévision, c'est un peu plus compliqué car il faut s'habiller en philosophe, se raser et passer un certain temps chez Franck Provost pour refaire sa permanente, ce qui est relativement contraignant, mais vous aurez néanmoins l'avantage de ne pas avoir besoin de la moindre idée pour vous exprimer. Ces quelques idées glanées dans les bistrots, vous pourrez aller ensuite les développer dans des croisières philosophiques aux Caraïbes et sur le Nil, où chaque conférence vous rapporte infiniment plus que l'heure de cours que vous ne donnez pas à l'Université, sans compter que les plages de Caraïbes sont un peu plus riantes que les couloirs de l'Université Paris VII.

Quoi qu'il en soit, je recommande à tous les enseignants détachés la dernière chronique du hussard de la République publiée dans le Figaro. Il y rappelle avec magnanimité cette vérité philosophique trop souvent oubliée: seul les riches peuvent permettre aux pauvres d'être moins pauvres, eux qui pensent «sincèrement» et «honnêtement» -ce sont ses adverbes- que l'augmentation de leurs profits pourra favoriser la réduction des inégalités sociales. Et le génie du détachement étaye cet argument puissant par une citation d'Aristote, le pauvre, dont le grand Luc n'a pas le temps de rappeler l'origine exacte (le Figaro ne le paye pas non plus pour vérifier ses sources), mais dont vous apprécierez par vous-mêmes la profondeur: «Pour être généreux, il faut être riche». Dont acte, pour tous ces hargneux qui crachent leur bile sur l'honnête et généreux philosophe qui pense sincèrement que rien n'est plus banal et légitime que sa situation. Comme disait Platon: «Pour être envieux, mesquin et hargneux, il faut être pauvre».

Alors dès aujourd'hui, pour arrêter d'être vils et faire enfin l'apprentissage d'une saine générosité, demandons tous haut et fort le droit à bénéficier de la bourse Ferry!

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