Alors que l'UMP propose de «renforcer le travail en prison pour le remboursement des victimes», Claire Gallois, écrivaine, membre du jury Fémina, s'élève contre cette «délocalisation de proximité», selon les mots mêmes de l'administration pénitentiaire.
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Notre Guide à tous l'a reconnu en 2009: l'état des prisons en France est une honte. Mais comme rien ne se perd, rien ne se crée, cette honte n'est pas perdue pour tout le monde. Un discret filon pénitentiaire ne cesse de prospérer entre leurs murs. Grâce au SEP –Service de l'emploi pénitentiaire. L'an passé, neuf mille détenus ont reçu, dit-on, trente millions d'euros en salaires.
En principe, le détenu classé «inoccupé» reçoit 225 euros par mois pour 3 à 7 heures par jour de corvée de chiottes et autres joyeusetés du quotidien. Mais il existe des veinards, ceux qui sont recrutés à domicile, pardon, sur place, par 200 firmes privées, de la multinationale à la PME. Rétribués 3,90 euros brut de l'heure. Sur lesquels l'Etat prélève 40% pour «frais de gestion» –ils sont nourris, logés quand même!
De plus, 65% des entrants n'ont jamais travaillé, les feignants, ils devraient apprécier quand même. Or, selon l'administration pénitentiaire, l'inactivité augmente le risque d'actes délictueux et de récidive, alors que le travail est «facteur d'apaisement». Elle a donc initié en 2008 le programme Entreprendre, avec appels du pied appuyés aux patrons: «Savez-vous que la prison est aussi une entreprise? Qui dispose de 200.000 mètres carrés d'ateliers, emploie quotidiennement 10.000 personnes et fait réaliser aux sociétés qui passent leurs commandes un chiffre d'affaire annuel d'environ cent millions d'euros? Bénéficiez, vous aussi, d'une délocalisation de proximité aux conditions financières avantageuses.» Mailing tentateur envoyé en nombre aux patrons par le responsable de la section Travail et emploi.
Naturellement, il n'est pas question de contrat de travail, de durée de l'engagement, de congés (activité garantie 12 mois sur 12), de compensation financière en cas d'accident. Les entreprises ne s'y trompent pas mais sauvent la face. Elles revendiquent «une démarche citoyenne pour faciliter l'insertion» (et une main d'œuvre à bas-coût inégalable). «Un gain financier transparent» (rémunération basée sur le rendement réel et charges patronales moindres -très moindres). «Une souplesse et réactivité qui permettent de mobiliser rapidement une main d'œuvre» (un détenu peut se suicider tranquille, sa tâche sera assurée aussitôt par le voisin). Elles avancent aussi leur bonté d'âme. «Il n'est pas facile de maîtriser son aversion pour certains types d'individus.»
Pour encourager les condamnés à postuler, pas de licenciement sauf pour transfert en mitard ou autre établissement, fin de peine et... sortie. Vive l'insertion, en effet.
Les sociétés de renom soignent leur image. La grande distribution, les marques de cosmétiques ajoutent des clauses à leurs contrats pour se targuer officiellement qu'aucun prisonnier ne sera employé. Alcatel et la Redoute se sont délocalisés au Maroc, où la main d'œuvre est moins avantageuse qu'en prison, parce que la chose s'était sue. Pourtant, qui aurait l'idée stupide de croire qu'elles exploitent le pauvre monde? Alors que l'apaisé détenu s'échine, pour une misère, à la confection d'échantillons de moquette, de produits de maquillage ou au tri des oignons. Les plus chanceux numérisent des films pour le ministère de la culture. En revanche, pas question de travailler sur l'alcool ou le métal coupant. On veille sur eux.
Lorsque leur salaire dépasse 200 euros par mois, il est amputé de 20% pour indemniser leurs victimes et 20% en vue d'un pécule à leur libération. S'il leur reste 3 centimes, ils peuvent acheter papier WC, dentifrice, café, louer une TV. On taxe tout en prison. Notre Guide l'avait dit avec tact: l'homme n'est pas une marchandise comme une autre.