Billet de blog 23 avr. 2011

Les invités de Mediapart
Dans cet espace, retrouvez les tribunes collectives sélectionnées par la rédaction du Club de Mediapart.
Abonné·e de Mediapart

Tchernobyl: la controverse des chiffres et le syndrome japonais

Enseignant-chercheur à l'École des hautes études en sciences sociales, Alfredo Pena-Vega critique l'attitude des technocrates qui veulent faire de la catastrophe de Tchernobyl un «non-événement»: il dénonce «l'absence de pensée réflexive» qui entoure encore, 25 ans après, la question des risques engendrés par la production de l'énergie nucléaire.

Les invités de Mediapart
Dans cet espace, retrouvez les tribunes collectives sélectionnées par la rédaction du Club de Mediapart.
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Enseignant-chercheur à l'École des hautes études en sciences sociales, Alfredo Pena-Vega critique l'attitude des technocrates qui veulent faire de la catastrophe de Tchernobyl un «non-événement»: il dénonce «l'absence de pensée réflexive» qui entoure encore, 25 ans après, la question des risques engendrés par la production de l'énergie nucléaire.

----------------

On ne pourra passer cette fois-ci sous silence la commémoration des vingt-cinq années de l'accident de Tchernobyl! La crise multidimensionnelle qui vient de frapper Fukushima montre que Tchernobyl est plus que jamais présent. Un quart de siècle plus tard, la controverse autour des chiffres des victimes de Tchernobyl ne s'est pas éteinte. Les «tcherno-révisionnistes» réclament encore des preuves de l'augmentation des leucémies d'enfants suite aux irradiations de Tchernobyl. Les pro-nucléaires de tout poil vont-ils réclamer des chiffres du nombre de contaminés à Fukushima? Vont-ils poursuivre le jeu dangereux, le déni, la dissimulation les mensonges qui jalonnent l'histoire depuis la découverte de la radioactivité et de son impact?

Quel est le nombre exact de décès, de personnes contaminées par l'accident de Tchernobyl? La controverse continue à faire rage(1). Les organismes «compétents» évoquent quelques centaines de décès; les médias annoncent quelques milliers. Certains ont même avancé le chiffre de quarante-six décès consécutifs à l'accident. Certains scientifiques avancent des commentaires hasardeux, sans avoir mis les pieds sur les lieux de la catastrophe. James Lovelock n'a-t-il pas déclaré «beaucoup pensent que des dizaines de milliers, voire des millions de personnes sont mortes à cause de l'accident [de Tchernobyl]. Or nous verrons qu'il y en a eu soixante-quinze jusqu'aujourd'hui(2)». Ces propos sont emblématiques de la vision de certains bureaucrates scientifiques ou politiques, dont la vision peut être qualifiée de «fondamentaliste», sans recul, guidée par une «croyance» du non-événement que serait l'accident de Tchernobyl.

Pour les tenants de ce postulat, toute allusion à une réalité autre qu'un diagnostic minimaliste semble appartenir au domaine de l'irrationnel. Moins caricatural, mais toujours dans le même esprit, le rapport des Nations Unies donne une réponse quasi définitive: «Quelque 4 000 cas de cancer de la thyroïde, essentiellement chez des enfants et des adolescents au moment de l'accident sont imputables à la contamination, et au moins neuf enfants en sont morts ; à en juger par l'expérience du Belarus, le taux de survie parmi les patients atteint de ce type de cancer atteint presque 99 % (3)». Dans un rapport datant de 2005, l'AOM et l'AIE faisaient état d'un nombre de 50 liquidateurs décès et 9000 décès «potentiels, au total» attribuables à la contamination radioactive.

À l'opposé, il y a ceux qui divergent radicalement du discours officiel. «Sur les milliers de pompiers intervenus le premier jour, 31 sont morts dans les semaines qui suivirent. Sur les 600 000 liquidateurs, les personnes ayant participé de près ou de loin à la gestion immédiate du sinistre, 10 % auraient reçu des doses de plus de 250 millisievert et un nombre élevé de leucémies aurait été observé. Soixante-sept pour cent de ces liquidateurs auraient en outre présenté des maladies diverses. Nombre d'entre eux seraient morts», c'est ce qu'a déclaré la vice-présidente de la Santé en Ukraine [...] «Plus exactement à Kiev, le ministre de la Santé a fait d'état de 15 000 morts et de 500 000 enfants souffrant de troubles divers (4)

En 2010, un ouvrage scientifique a été publié sur la nature et l'étendue des dommages subis par les humains et par l'environnement(5). Selon Alison Katz, cet ouvrage «met à la disposition de tous une grande quantité d'études collectées dans les pays les plus touchés: le Belarus, la Russie et l'Ukraine». Les auteurs estiment que: les émissions radioactives du réacteur en feu ont atteint dix milliards de curie, soit deux cent fois les retombés des bombes atomiques lancées sur Hiroshima et Nagasaki; que les décès dans le monde attribuables aux retombés de l'accident, entre 1986 et 2004, est de 985 000; que 112 000 à 125 000 des 830 000 liquidateurs intervenus sur le site, sont morts

L'absence de pensée réflexive

La catastrophe de Tchernobyl n'a pas donné lieu aux recherches pluridisciplinaires, qui étaient pourtant nécessaires, et aucune leçon n'a été tirée. Elle appelle des développements nouveaux. Par exemple, le principe d'incertitude doit être intégré dans les réflexions sur le nucléaire civil et dans notre compréhension de la nature du monde -la nature même de la vie. Le Strontium 90 libéré dans l'atmosphère par les désastres atomiques de Tchernobyl et de Fukushima revient sur la Terre avec les pluies ou sous la forme de poussières, pénètrent dans le sol, dans les végétaux comestibles, puis dans le corps humain, où il se loge dans les os. Définitivement. C'est ce processus inexorable que des milliers de Japonais sont en train de subir, comme naguère les habitants du Belarus, de Russie et d'Ukraine.

Les controverses sur l'impact de la catastrophe de Tchernobyl sont liées au climat scientifique imposé par l'industrie de l'atome et fondé sur le dogme du tout-nucléaire. Elles sont alimentées par les affrontements entre les critiques d'une rationalité technologique unique et les défenseurs d'une pensée unidimensionnelle. Le silence doit être brisé, afin que le monde sache les douleurs et les combats de milliers des femmes et d'hommes qui se battent pour la santé de leurs enfants. Afin aussi qu'un tel cauchemar ne se reproduise jamais.

Enfin et surtout, il faut lancer des initiatives européennes et des forums sur le futur du nucléaire dans la société pour connaître les chiffres exacts des conséquences des retombées atomiques, pour identifier à qui profite l'opacité, pour discuter de l'avenir des installations existantes et du futur du système énergétique mondial.

------------------

1) Quel a été l’impact de l’accident de Tchernobyl sur la santé? www.greenfact.org. 2) James Lovelock, La revanche de Gaia, page 171. 3) Voir rapport de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique, 2005, Vienne, Autriche.4) Voir, Dominique Belpomme (en collaboration avec Bernard Pascuito), Ces maladies crées par l’homme. Comment la dégradation de l’environnement met en péril notre santé. Albin Michel, page 55, 2004. 5) Yablokov Alexey, Nesterenko Vassili, Nesterenko Alexey, 2010. Chernobyl: consequences of the catastrophe for people and the environment. Annals of the New York academy of sciences, vol 1181, Wiley-Blackwell, april 2010, 300 p.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bienvenue dans Le Club de Mediapart

Tout·e abonné·e à Mediapart dispose d’un blog et peut exercer sa liberté d’expression dans le respect de notre charte de participation.

Les textes ne sont ni validés, ni modérés en amont de leur publication.

Voir notre charte