Le Printemps des Arabes signé Jean-Pierre Filiu et Cyrille Pomès allie les qualités d’un essai à vocation historiographique et celles d’un roman graphique soigné. Évoquant au long de seize chapitres le monde arabe et les dernières révolutions, Le Printemps des Arabes invite à remettre en perspective faits et chiffres, les dictateurs déchus comme la place des hommes dans l’histoire récente. Les deux premiers chapitres sont à découvrir en accès libre sur Mediapart.

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Entretien & critique. Paru le 6 juin dernier chez Futuropolis, Le Printemps des Arabes est un album intelligent et soigné, avec un dessin réaliste et des incises flirtant avec le dessin de presse qui viennent souligner le propos du livre : rendre compte des événements qui ne sont déjà plus de l’actualité mais n’appartiennent pas tout à fait au passé, à l’Histoire ; alors que les « printemps arabes » — Jean-Pierre Filiu préfère le terme de « révolutions » — et leurs conséquences occupent encore les colonnes des journaux ou les écrans de télévision. Pour l’Egypte, la Lybie et la Tunisie, le futur reste à écrire.
Jean-Pierre Filiu, écrivain, universitaire, scénariste, et Cyrille Pomès ont composé à quatre mains cette incursion dans le passé immédiat. Pour le dessinateur, l’expérience est inédite. Jusque-là, il avait travaillé seul à la réalisation de ses albums (Chemins de fer, Sorties de route…) : « cet album a été à la fois l'occasion de collaborer pour la première fois avec quelqu'un, de me rapprocher d'un sujet d'actualité auquel j'étais sensible et de m'engager un peu plus dans le réel. Enfin, c’était pour moi l'opportunité d'apprendre auprès de Jean-Pierre Filiu ».
Le Printemps des Arabes présente les acteurs des révolutions, des personnes, des familles… des citoyens. Le livre conte des destins, des lieux dont on n’a parlé dans les JT que de manière lapidaire pour énoncer des faits de manière froide et détachée. Les auteurs se sont attachés aux personnes, aux personnalités, incarnant des événements jusqu'ici trop souvent réduits à des infos laconiques. On le voit aujourd’hui avec la Syrie : le nombre quotidien de victimes, les bombardements, la guerre civile ne sont qu'infos brutes qui ne rendent rien de l’horreur vécue sur place.
Jean-Pierre Filiu insiste sur sa volonté de transmettre, de travailler sur la transversalité des médias : utiliser la bande dessinée pour sortir des carcans didactiques. Il a mis l’accent sur les visages, sur ces figures (parfois peu connues) des printemps arabes pour mieux regarder les révolutions sous un autre angle, avec d'autres yeux que ceux des médias « officiels ». Le Printemps des Arabes dresse donc une galerie de portraits qui individualisent et humanisent des événements collectifs.
Il en ressort un album qui fait œuvre de mémoire, expliquant les comportements, les motivations, montrant par un prisme sensible ce qui a conduit des peuples à se révolter. Il permet de comprendre géopolitique et enjeux. Notamment en ce qui concerne le « club des dictateurs » que Jean-Pierre Filiu évoque en interview. Tout en remettant au centre, au cœur du récit, ces petites histoires qui font l’Histoire.
- Le Printemps des Arabes, de Jean-Pierre Filiu et Cyrille Pomès, 112 pages couleur, 18 €