Stocks stratégiques pétroliers de la France : 1) Manosque, à proximité d'un site classé Seveso ?

Dans le courant du mois d'octobre dernier, au plus fort de la "pénurie" de carburants à la pompe, les médias ont évoqué les "réserves stratégiques pétrolières" de la France*, notamment pour indiquer qu'une partie de ces stocks allait être utilisée pour palier les conséquences des grèves dans les raffineries, des bloquages dans les terminaux pétroliers, comme à Marseille, où vinrent s'entasser dans la rade des dizaines de tankers remplis d'hydrocarbures divers et variés...

C'est à cette occasion que j'entendis parler de réserves stratégiques stockées à Manosque, petite ville des Alpes de Haute-Provence ; de très

importantes réserves qui plus est : un tiers des réserves stratégiques d’hydrocarbures en France y serait conservé, soit environ 6 milliards de litres ; à titre de comparaison, la marée noire dans le golfe du Mexique a été évaluée à 780 millions de litres.

Pour moi, penser à Manosque, c'est me "propulser" dans ce "pays" que j'aime, la Haute Provence, région des plantes aromatiques et médicinales qui envahissent de leurs odeurs l'air chaud de l'été, sous un ciel couleur lavande ; "pays" où Jean Giono est né et a choisi de vivre, et d'en écrire, tout au long de son oeuvre, la rude et difficile beauté, naturelle et humaine, et d'y mourir.

Passé l'effet de surprise (quoi ?! des millions de litres de produits pétroliers à Manosque ?! où ça ?! comment ?!), j'ai eu envie d'en savoir plus...

... inutile de chercher des installations en surface, comme ces immenses réservoirs que l'on peut voir près des raffineries et autres centres de stokages d'hydrocarbures, il s'avère que le stockage est souterrain !

A l'est du Parc naturel régional du Lubéron , à cheval sur les trois communes de Manosque, Dauphin et Saint-Martin-les-Eaux, un complexe de stockage souterrain abrite les plus importantes réserves stratégiques de pétrole du pays, à plusieurs centaines de mètres dans le sous-sol, là où se trouve une couche géologique de sel gemme. Ces stockages sont constitués d’un ensemble de cavités creusées dans les épaisses et profondes couches de sel.

Imperméables et non poreuses, elles sont réputées pour leur remarquable étanchéïté, recherchées et exploitées dans le monde entier. (cliquer ici pour en savoir plus)

Les cavités sont obtenues en injectant de l’eau qui dissout une partie du sel extrait sous forme de saumure, technique simple à mettre en oeuvre, et relativement peu onéreuse. La place est alors libre pour stocker les hydrocarbures.

"Le 7 juin 1967, la société Shell est autorisée à procéder à la recherche de cavités souterraines destinées au stockage d’hydrocarbures. Le périmètre de l’autorisation a été ensuite étendu, après enquête et instruction des dossiers par les préfets, au fur et à mesure de la reconnaissance de poches de sel de plusieurs centaines de mètres d’épaisseur, situées entre 338 et 1 549 m de profondeur par dissolution à l’eau douce.
Ainsi, les sociétés Shell, BP, Elf disposent-elles de 36 cavités sur le territoire des communes de Manosque et Saint-Martin les-Eaux pour un volume total de 9 577 000 m3. Le volume utile du site de Géosel se situe parmi les plus importants au monde."

Info dans son contexte en cliquant ici.

La capacité unitaire des cavités est de 100.000 à 500.000 mètres cubes, la hauteur lessivée de 300 mètres (Tour Eiffel : 321 mètres), le diamètre de 60 à 80 mètres, la profondeur de 350 à 1000 mètres.

Voir en cliquant ici la documentation de Géosel.

Le complexe est exploité depuis 1969 par la société Géosel-Manosque, huit cavités ont été "rétrocédées" pour stocker du gaz naturel, au GIE Géométhane, qui procède lui aussi au forage de nouvelles cavités pour ses propres besoins.

Le site dispose également d'un réseau de trois pipelines qui alimentent le site en eau douce et en hydrocarbures depuis la zone Fos-Berre-Lavéra.

Le dernier a été mis en service récemment (2007), il a été conçu pour supporter un débit important, permettant un déstokage plus rapide que les deux autres pipelines, conçus et mis en service dès l'origine (1969). (voir ici le film sur la construction de ce pipeline).

.

En raison de l'extrême dangerosité des produits stockés, le site est soumis à la Directive "Seveso II" :

"Faisant suite à la première directive « SEVESO » de 1982, la directive « SEVESO II » vise à prévenir les accidents majeurs impliquant des substances dangereuses et à limiter leurs conséquences pour l'homme et pour l'environnement, afin d'assurer dans toute la Communauté des niveaux de protection élevés." - cliquer ici et ici pour plus d'infos.

On peut remarquer que les pipelines sont exclus du champ de cette directive, pourtant ils représentent un maillon faible et ce sont souvent des avaries de canalisations qui sont à l'origine de pollutions accidentelles très préjudiciables à la nature et aux êtres humains habitant à proximité.

Ainsi, au mois de mai 2010, une fuite de 200 mètres cubes d'un produit très nocif, le naphta - un dérivé du pétrole, destiné à la chimie, qui, en grande concentration, présente des risques d'explosion -, s'est produite sur le site, entraînant l'évacuation d'une centaine de personnes habitant près du site.

Pour en savoir plus :

- "Fuite de naphta près de Manosque sur un site classé Seveso, pas de victime" - "sciencesetavenir.fr" - 04/05/2010 - cliquer ici

- voir ici un reportage de France 3

- "Incident à Géosel : des traces de corrosion sur les canalisations" - "laprovence.com" - 21/07/2010 - cliquer ici

- "Géosel: la sécurisation des installations attendra encore" - "laprovence.com" - 21/09/2010- cliquer ici

La fuite du pipeline dans la réserve naturelle de Coussouls de Crau, l'année dernière, a amené le gouvernement à faire évoluer la loi et à élaborer un plan d'actions destiné à améliorer la sécurité des oléoducs :

"Un plan d'actions visant à maîtriser les risques liés au vieillissement des équipements industriels a été lancé en janvier dernier. Il comporte 38 mesures, dont l'augmentation de la fréquence des contrôles, qui auront lieu désormais tous les six ans au lieu de 10 ans auparavant. Toutes les canalisations présentant un effet de toit, défaut présenté par l'oléoduc qui s'est rompu, devront avoir réalisé un contrôle d'ici 2012. Un rapport d'experts avait mis en cause le manque d'entretien de l'oléoduc à l'origine de la pollution de la Crau. ''Tous les oléoducs qui avaient le défaut qu'on a observé sur le pipeline seront contrôlés d'ici 2012 et les sanctions ont été augmentées en cas de faute et de négligence'', a expliqué la secrétaire d'Etat (Chantal Jouanno).
''Le gouvernement a également révisé l'encadrement législatif des canalisations avec une ordonnance du 27 avril 2010. Outre la clarification des obligations, l'ordonnance apporte des avancées en termes de garanties de consultation du public. Les zones naturelles sensibles sont également dorénavant explicitement prises en compte''. Extrait dans son contexte en cliquant ici.

* Mais comment le site de Géosel-Manosque s'insère-t-il dans le dispositif global des réserves stratégiques pétrolières de la France, comment ces stocks sont-ils gérés ? Ce sera l'objet d'un prochain article.

NB : la plupart des images peuvent être agrandies.

~ ~