Un monde parallèle s'est construit au travers du lien qui unie le football et le petit écran. Ce monde est celui dans lequel une chaîne, Téléfoot, diffuse gratuitement des matchs précédemment négociés auprès d'une instance gourmande et aveuglée, la Ligue de Football Professionnel (LFP). Le paradoxe est total lorsque l'on sait que nombre de supporters assouvissent leur soif de jeu via le streaming illégal. Le supporter se retrouve donc à regarder « gratuitement » les matchs d'une chaîne qui diffuse, techniquement, lesdits matchs tout aussi gratuitement. L'ironie d'une telle situation en est presque ridicule, si ce n'est pathétique.
En effet, après n'avoir pas honoré son contrat, le groupe Mediapro, par l'intermédiaire de sa chaîne française Téléfoot, a continué la diffusion des matchs de Ligue 1. Tel sera encore le cas ce week-end, pour la 23ème journée du championnat de première division française. Comment ne pas souligner une telle dichotomie ? Ce football français, aux abois financièrement, se retrouve à laisser libre cours à une telle situation, pour, semble-t-il, ne pas aussi mourir visuellement.
Le journaliste Stéphane Guy, récemment licencié par le groupe Canal + dans une affaire qui en dit long sur l'état du ballon rond et de la liberté d'expression (1), se plaisait souvent à évoquer sa formule fétiche du « football circus » en début de chaque rencontre dont il était le commentateur. Aujourd'hui, et même si l'on moquait le langage de l'ancien de Canal, nous ne pouvons que constater que le football français est effectivement un véritable cirque, dans le fond et la forme.
Un cirque qui se doit de commercialiser au mieux le spectacle qu'il est, pour mieux se vendre et alimenter ses achats. Entendez ici le recrutement des meilleurs joueurs et entraîneurs, afin de rivaliser sportivement avec ses concurrents et obtenir le graal suprême : une qualification européenne. Cette dernière est d'ailleurs perçue comme une énième manne financière. Surtout, les droits télé et la situation ubuesque dans laquelle s'est enfermée la LFP - dépendante des bonnes volontés de Canal + et du futur appel d'offres - démontre l'aliénation complète que subit ce sport, pas seulement en France, via la relation qu'il entretient avec l'écran.

L'écran se révèle tel un ennemi existentiel, un fossoyeur divertissant comme j'aime le dire, qui, par sa mainmise de plus en plus importante sur le football et ses décideurs, s'oppose symboliquement au passionné et à ses pratiques supportéristes. Là est le pêché originel.
Dans les années 1990, la marchandisation effrénée de la diffusion des matchs fit entrer le football dans la logique capitaliste, l'éloignant donc peu à peu de sa dimension sociale, tout en tuant l'ancrage territorial de ses clubs. Dès 1992, le journaliste Christian de Brie dénonçait la « soumission du ballon rond aux logiques du marché et à l'idéologie ultralibérale . C'est dans cette décennie, maudite pour certains, que le football devenait l'un « des principaux produits du marché des images. Bien sûr, si le football professionnel devient un produit du marché capitaliste, il en subit l'implacable logique » (2). La bulle footballistique qui menaçait d'éclater, telle celle de la Crise de 2008, démontre les errances d'un football qui s'est éloigné du supporter pour satisfaire impératifs économiques, médiatiques et télévisuels.
Ce soir, se joue la finale du Trophée des champions. Une rencontre opposant le champion de France au vainqueur de la Coupe de France. Domination parisienne oblige - le PSG a remporté le championnat et la Coupe - l'affiche est complétée par le dauphin du précédent exercice prématurément stoppé, l'Olympique de Marseille. Le dénouement de ce trophée, qui n'en a que le nom, adviendra sur la pelouse du stade Bollaert, l'antre nordiste du Racing Club de Lens.
Cela faisait dix années que cette « supercoupe » ne s'était pas disputée sur le sol français. En effet, la LFP, voulant promouvoir son football par ce biais, s'amusa à délocaliser le trophée à travers le monde, à Pékin, Tanger ou encore Montréal. Ironiquement, la pandémie, en plus de révéler les failles d'un système à l'agonie, empêche parfois aussi les turpitudes commerciales et promotionnelles dudit système. Encore une fois, de telles pratiques, qui sont celles parmi d'autres très nombreuses, faisaient fi de toute considération pour le premier concerné : le supporter. Dans la course à la mondialisation et aux droits télévisuels, le football s'est perdu, s'éloignant de sa teneur sociale. C'est ce que décrit le journaliste italien Pierluigi Spagnol par ces mots : « Le football s'est transformé. Il a renoncé à sa fonction de rite collectif, il a cessé de représenter une passion populaire » (3).
Les mésaventures financières du football français sont les conséquences directes de conceptions mercantilistes et sociales anciennes. En délaissant le supporter et ses intérêts, les clubs, avec l'aide des instances, se coupent progressivement de leur ancrage. Cet abandon motive une vanité certaine. Celle-là même qui provoqua directement le crash économique à la sauce footballistique advenu en 2020. L'élève français n'est pas le seul concerné, cependant, ses déboires chroniques montrent, une fois de plus, la perdition totale de ce « match géant ».
La crise actuelle est à comprendre sur le temps long et dans la conception élitiste, consumériste et mondialisée que se font de ce sport les instances dirigeantes qui en ont la charge. Le supporter, déjà éloigné des stades, paie des décisions passées qui influencent ses pratiques présentes.
(1) : Nicolas Kssis-Martov, « Oui, le départ de Stéphane Guy est mauvais signe pour le foot », SoFoot, 27 décembre 2020
(2) : Christian de Brie, « Le football français sous la coupe des marchands », Le Monde diplomatique, juin 1994
(3) : Pierluigi Spagnolo, Contro il Calcio moderno, Odoya, 2020