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Billet de blog 13 janvier 2019

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Historien de formation et collaborateur de RetroNews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France.

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Footballeur : un statut ingrat

Les footballeurs professionnels, icônes du XXIème siècle, ont un double poids injuste sur les épaules : ils doivent partager les doutes qui habitent nos sociétés mais semblent devoir, parfois, en porter seuls les complexes. L'ancien international Franck Ribéry et sa viande « en or » faisant le tour des médias français en est la parfaite incarnation. Le footballeur est à la fois méprisé et adoré.

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Le 13 juin 2010, Roselyne Bachelot, (alors Ministre de la Santé et des Sports) interrogé par le Journal du Dimanche déclarait la chose suivante à propos de La Marseillaise : « Bien sûr, les joueurs français doivent la chanter! ». Neuf années plus tard, la journaliste Audrey Pulvar apostrophait Franck Ribéry à propos de sa virée culinaire à Dubaï : « Monsieur Franck Ribéry, si vous ne savez pas quoi faire de votre argent, il reste plein de causes à financer et soutenir, dans le monde entier ». Si les sujets et les situations n'ont rien à voir, les attitudes sont les mêmes : un paternalisme moral vis-à-vis du comportement de joueurs professionnels de football.

Ce comportement à l'égard des joueurs concernés peut paraître injuste et illégitime. Celui-ci remet en perspective la condition véritable des joueurs de football et leur statut dans la société. Il est important de retracer quelques aspects méconnus de ce métier. La célébrité, la richesse et la gloire sont loin d'êtres les seules choses auxquelles sont confrontés les joueurs de football.

Un chemin difficile vers la gloire

Si dans le passé le parcours pour devenir joueur professionnel ne possédait aucun schéma classique, aujourd'hui le centre de formation est la porte d'entrée majeure des jeunes joueurs dans le monde professionnel. Durant les années 1970, en France, une obligation s'impose aux clubs professionnels : la mise en place de centres de formation. On peut désormais compter 32 centres de formation agréés en France. Ces centres de formation proposent un encadrement total de leurs jeunes pupilles.

En effet, en plus de la formation sportive, ils sont responsables de la formation scolaire de leurs pensionnaires. Pour beaucoup, le football est un des moteurs de l'ascension sociale, en témoignent les chiffres suivants : en moyenne, entre 50 et 60% des pensionnaires de centres de formation sont fils d'ouvriers (1). Cependant il faut rappeler le revers de la médaille de ce monde.

Illustration 1
Centre de formation du Stade Rennais, l'un des plus performants de France | © S.Plaine

La formation est une prise en charge précoce, intensive et exigeante. Précoce, car la plupart des jeunes arrivent aux alentours de 13 ans et parfois, dans des clubs éloignés de leur ville d'origine et donc, de leurs proches. Intensive, car le fait de gérer leur scolarité donne un rôle de monopole éducatif au centre de formation. Plus les années passent et plus les entraînements se multiplient, ceux-ci obligent parfois le joueur à privilégier ses performances sportives à ses performances scolaires. L'investissement personnel (et familial) motive cette préférence pour l'aspect sportif. Et enfin, exigeante, car c'est un monde ou la concurrence est rude. La situation du jeune est « précaire » dans le sens ou celui-ci joue sa place de titulaire chaque week-end et un éventuel contrat professionnel au bout de sa formation. Tout ceci développe, forcément, l'individualisme.

Et pour quel résultat ? En 2015, la Fédération Française de Football avait établi que les clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 (les deux divisons professionnelles en France) n'avaient « absorber » que 75 des 250 jeunes arrivant à la fin de leur formation (2). Pour les autres, c'est un sacrifice vain de leur jeunesse et de leur parcours scolaire pour au final ne jamais devenir professionnel.

Un travailleur comme les autres ?

Le footballeur professionnel est aussi touché par les maladies « modernes ». Le 10 octobre 2016, la FIFPro (Fédération internationale des associations de footballeurs professionnels), un syndicat mondial regroupant 42 associations nationales de footballeurs professionnels publiait pour la journée mondiale de de la santé mentale une enquête sur les troubles mentaux des joueurs de football professionnels. Sur un panel de 262 joueurs, il fut établi que 37% d'entre eux ont rapportés des symptômes d'anxiété et de dépression. De plus, 65% déclarent que ces troubles ont eu une influence sur leur carrière. Une carrière que les joueurs ne contrôlent pas totalement. Le joueur de football est un actif financier pour le club qui le possède. Le déroulé de sa carrière ne se base, donc, pas seulement sur ses performances sportives. Un cas significatif fait d'ailleurs l'actualité en France : Adrien Rabiot.

Le joueur du Paris Saint-Germain et international français (6 sélections) fut écarté du groupe professionnel pour avoir refusé de prolonger son contrat (Le joueur sera libre cet été, il peut donc négocier avec un autre club dés cet hiver et partira gratuitement dans six mois). C'est Antero Henrique, directeur sportif du PSG qui entérina la chose : « Le joueur m’a informé qu’il ne signerait pas de contrat et qu’il souhaitait quitter le club en étant libre à la fin de la saison, soit à l’expiration de son contrat (...) il restera sur le banc pour une durée indéterminée ». L'UNFP (Union Nationale des Footballeurs Professionnels), l'un des syndicats français de joueurs a depuis apporté son soutien au milieu de terrain parisien.

Le cas d'Adrien Rabiot n'est pas exceptionnel, ces situations sont monnaie courante dans le football professionnel. Le cas d'un joueur moins célèbre le confirme, celui d'Anatole Ngamukol. Le joueur portait les couleurs du Stade de Reims, il participa à la remontée en Ligue 1 de ce club historique. Cependant le club ne compte plus sur lui pour la nouvelle saison (2018-2019) et veut le vendre, ce que le joueur n'entend pas de cette oreille. Il va alors arriver, ce qui arrive fréquemment dans les clubs professionnels ces dernières années : le joueur est écarté du groupe et n'est plus le bienvenue aux entraînements des joueurs professionnels. On appelle ces joueurs dans le milieu du football, les « lofteurs ». Le joueur a depuis porté plainte et fut également soutenu par l'UNFP qui déclara à Mediapart que le « football est un no man’s land juridique : ça ne peut plus durer » (3).

Le joueur de football, dont la carrière est relativement courte - entre 10 à 15 ans, lorsque tout se passe bien - est soumis à un traitement particulier, car considéré comme un actif financier. Celui-ci s'expose aussi aux risques du métier comme les blessures qui peuvent arrêter ou ternir une carrière. Cette courte carrière motive alors les joueurs à préparer au plus vite leur reconversion, bien souvent dans le même domaine. Ceux qui souhaitent être entraîneurs doivent par exemple passer de nombreux diplômes et donc réapprendre un métier.

Cependant, tout ne se passe pas bien pour tous. Selon l'association XPro - une association soutenant des joueurs professionnels irlandais et anglais -, trois joueurs sur cinq se retrouvent en faillite, dans les cinq ans suivant leur retraite. Les raisons sont multiples : mauvais investissements durant la carrière, escroqueries, divorce coûteux, etc. Le haut salaire, parfois choquant de certains joueurs, ne doit pas faire oublier tous ces aspects, mais aussi que la plupart des joueurs professionnels de la planète ne gagnent que quelques milliers d'euros par mois - voire moins. Tout ceci pour une très courte durée et avec des contraintes parfois propres à ce milieu du football professionnel.

Bouc-émissaire parfait

La joueur de football doit appliquer une attitude neutre dans l'exercice de son métier. Il ne doit en aucun cas afficher des opinions religieuses ou politiques comme le rappelle le code d'éthique de la FIFA (Fédération Internationale de Football Association, qui est la fédération mère du football international) : « les associations et les groupements, les personnes auxquelles s’applique le présent code doivent non seulement observer les règles de conduite générales (...) mais aussi rester politiquement neutres ». Pourtant, il est utilisé politiquement et doit parfois respecter des règles morales officieuses. 

L'une de ces règles tacites en France - et ailleurs - est sans doute le fait de chanter - ou non - La Marseillaise. Cette obligation non-officielle au chant est une injonction récente. Des joueurs historiques de l'Equipe de France comme Michel Platini ou Zinédine Zidane ne la chantaient pas. Aujourd'hui, l'attitude des joueurs au moment des hymnes est souvent commentée. Ce fut aussi récemment le cas chez nos voisins allemands. Certains politiques de l'AFD (Alternative pour l'Allemagne, Extrême-Droite) pointèrent du doigt Mesut Özil, joueur allemand d'origine turque, ne chantant pas l'hymne allemand lors des rencontres internationales.

Les footballeurs ne doivent pas afficher de couleurs ou d'opinions politiques mais sont pourtant devenus malgré eux, les garants de valeurs nationales et donc politiques. Leur comportement et leur statut sont soumis à la critique et souvent à la moquerie. Une moquerie souvent motivée par un mépris de classe. Les exemples les plus frappants sont les articles établissant la liste des diplômes des joueurs français avant chaque grande compétition internationale. Bien souvent ces articles n'établissent aucun contexte pour des joueurs qui bien souvent n'ont pas plus que le baccalauréat en poche. Un niveau scolaire facilement explicable au vu des éléments précédemment détaillés. Ne pas oublier l'attitude de certains hommes politiques, se permettant de donner leur avis sur le comportement de tel ou tel joueur.

Récemment, les « Football Leaks » et les commentaires qui en découlèrent touchèrent parfois directement les joueurs. Il y avait les bons et les mauvais élèves fiscaux. Même si certains joueurs sont fautifs, il restent les produits du football mondial actuel et sous l'influence des mauvais aspects de celui-ci. La société fait parfois porter trop de responsabilités à eux qui sont de simples humains - et travailleurs - avant d'être des footballeurs. Des joueurs de football a qui l'on accorde, au final, beaucoup de devoirs et très peu de droits. Ces joueurs sont « des millionnaires courant derrière un ballon », comme dirait Anne-Sophie Lapix, lorsque tout va mal et de fiers représentants de la nation et des exemples pour les plus jeunes lorsque tout va bien. Leur situation est l'incarnation visible d'un système.


(1) : Julien Bertrand, « La formation au football professionnel : une voie alternative d'ascension sociale ? », Informations sociales, 2015/1 N°187

(2) : Julien Bertrand, « La formation au football professionnel : une voie alternative d'ascension sociale ? », Informations sociales, 2015/1 N°187

(3) : Michaël Hajdenberg, « Ngamukol, un footballeur banni qui fait valoir ses droits », Mediapart, 26 Décembre 2018

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