Il y a quelques bonnes années j'ai suivi un bout d'émission réalisée au salon du livre. Parmi les organisateurs (quelques héritiers de l'intelligentsia parisienne) et les invités (écrivains, commentateurs de fortune, etc.), il y avait le premier ministre de l'époque, Jean-Pierre Raffarin. Lequel a eu le don de me surprendre. J'étais habituée au profil de spin doctor, du communicant habile et quelque peu rusé. L'homme qui comprenait la mécanique sociale et savait jouer le jeu médiatique afin de mieux lubrifier les rouages du gouvernement. Je l'ai écouté avec attention et j'ai découvert un lecteur. Un qui lisait Raymond Aron et Pierre Bourdieu et s'avérait capable d'argumenter pourquoi il préférait le premier au second. Avec un brave gars comme celui-là, qui lit, qui confronte, qui se ronge les méninges, qui a une philosophie, qui cherche un équilibre intellectuel on ne risque pas de dérive majeure je me suis alors chuchotée à l'oreille.
Presqu'à la même époque un autre personnage s'agitait de plus en plus sur la scène publique. Nicolas Sarkozy. Au-delà du vide philosophique évident – il avait appuyé la mode d'une politique pragmatique, opposée de manière binaire aux idéologies – il y avait les amitiés avec les milliardaires. Assez de raisons pour faire de moi une jeune électrice inquiète. La suite a établi largement mes intuitions. Un gars qui était capable de diviser un pays sur le fond d'émotions primaires comme la peur (sa politique sécuritaire et sa prestance en tant que ministre de l'intérieur) et lire plutôt sa montre qu'un bon livre a pu remporter les élections présidentielles.
Que fait donc Manuel Valls, homme de gauche, de noir vêtu, brave ministre de l'intérieur dans un tel contexte? Je vous laisse deviner.