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Billet de blog 31 déc. 2018

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Migrants: sur fond de rumeurs, les traversées en bateau s’accélèrent encore à Calais

Presque chaque nuit, des tentatives illégales de départ en bateau ont lieu le long de la côte d’Opale. Des migrants tentent de rejoindre l’Angleterre sur des embarcations de type zodiac. Pourquoi ces traversées, qui ne sont pas nouvelles, se sont-elles intensifiées ?

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La Pointe aux oies, près de Wimereux, en septembre 2018. Cette année, plusieurs départs ont eu lieu au pied de ces falaises qui font face à l'Angleterre. © Elisa Perrigueur

En 2018, près de 500 exilés ont réussi ou tenté de traverser le détroit du Pas-de-Calais en bateau jusqu'à l'Angleterre, selon les chiffres officiels de la préfecture maritime de la Manche et de la mer du nord et des autorités britanniques. Ce sont des migrants qui embarquent à 5, 10 ou 15 avant de mettre le cap sur le Kent sur ce bras de mer. D'une quarantaine de kilomètres, il est dangereux, en raison du trafic intense des navires marchands et des forts courants marins. Le procédé de passage n'est pas nouveau, mais cette année, le nombre de traversées est inédit. 

Des exilés majoritairement iraniens

Dans ces traversées, les chiffres et les données sont toujours des estimations, car elles se déroulent dans l'ombre. Les autorités françaises et britanniques constatent néanmoins que la majorité des personnes qui tentent les traversées sont Iraniennes. Depuis août dernier, les ONG constatent une arrivée importante d'Iraniens à Calais. D'après un rapport du recensement effectué en novembre par l'Auberge des migrants, Refugee infos bus, Utopia 56 et Help refugees, 38,8% des migrants interrogés à Calais sont venus de ce pays. Les raisons avancées sont floues. Cela pourrait avoir un lien avec des visas tourisme distribués pour les ressortissants iraniens en 2017 en Serbie, qui ont permis de créer une nouvelle entrée en Europe. Davod, réfugié à Londres après une traversée en mer depuis Calais, fait partie des ressortissants qui ont voulu fuir leur pays il y a 4 ans. Converti au christianisme, il explique avoir été été victime de tortures sous la république islamique et montre ses blessures sur le dos. 

D'autres personnes de diverses nationalités tentent désormais aussi leur chance en bateau, semble t-il dans une moindre mesure, voyant que la traversée peut être une réussite.

Lire aussi : Rapport du recensement de novembre 2018 à Calais

Lire aussi : Des migrants iraniens prennent la mer par «désespoir» dans le nord de la France

 Des traversées organisées depuis plusieurs années contre 6000 euros

Si la principale stratégie reste de se cacher dans les camions qui transitent par le port ou l'Eurotunnel, la traversée en bateau n'est pas nouvelle. Depuis plusieurs années, des groupes utilisaient ce moyen, parfois de jour, sur des bateaux de pêche, en recrutant des capitaines expérimentés qui traversent le "Channel". Par exemple, en septembre, un ancien capitaine de la marine anglaise de 70 ans avait été condamné pour avoir effectué des trajets contre 9 000 euros. Ces dernières années, d'autres passeurs ont été condamnés côté anglais et français pour l'organisation de traversées, par exemple, des groupes venus d'Albanie (les ressortissants venus de ce pays étant nombreux à vouloir rejoindre l'Angleterre). Ils demandaient des sommes importantes, plus de 6000 euros, en moyenne pour un passage. 

Aujourd'hui, le passage semble être organisé par d'autres groupes mais aussi, affirmait le parquet de Boulogne-sur-mer en novembre, par des exilés qui disent agir seuls. Les vols de bateau dans les ports se sont multipliés, d'après les autorités, et certains peuvent aussi se cotiser pour acheter un zodiac d'occasion. 

Le poids des rumeurs sur les frontières

Là encore, les raisons avancées restent des hypothèses en raison de l'obscurité de ces trafics. La réussite de plusieurs traversées, qui paraissaient jusqu'alors dangereuses et impossibles à pu pousser d'autres à prendre la mer. La météo était aussi très clémente en novembre sur le littoral. Mais le Brexit pourrait jouer un rôle plus important. Sur les frontières, les changements politiques peuvent entraîner des rumeurs concernant une ouverture ou une fermeture, cela a été le cas à plusieurs reprises dans les Balkans à la frontière gréco-macédonienne par exemple en 2016, mais aussi à Calais.

Lire aussi : En Grèce, des médias au secours des réfugiés contre la rumeur 

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La Pointe aux oies, près de Wimereux, en décembre 2018. Cette année, plusieurs départs de bateaux de migrants ont eu lieu au pied de ces falaises. © Elisa Perrigueur

Les exilés, souvent sans accès à l'information fiable, et tenus par l'espoir, peuvent davantage croire aux rumeurs. Par exemple, le 25 décembre 2015, des centaines d'exilés avaient rejoint le site d'Eurotunnel, pour se retrouver bloqués devant les grilles. Un train, disait-t-on, avait été exceptionnellement mis "à disposition" pour passer la Manche. Une information fausse qui avait provoqué une forte désillusion. Cette année, le Brexit semble créer des fantasmes, notamment celui de la fermeture de cette frontière (déjà extrêmement difficile à franchir illégalement). Car le franchissement de la Manche et la mer du Nord pourra changer en cas de "Brexit dur" (sans accord entre l'UE et Londres). Les blocages des poids-lourds (en raison des douanes) pourraient entraîner des bouchons sur les autoroutes, et favoriser les "montées" dans les véhicules. Mais ces mêmes camions pourraient aussi rester bloqués plus longtemps à l'intérieur de l'enceinte du port, derrière les barbelés, où les contrôles (scanners, chiens renifleurs, douanes...) sont multiples. un blocage prolongé qui peut éventuellement favoriser les découvertes de personnes cachées dans les marchandises. Personne n'est réellement en mesure d'avancer que le passage sera plus ou moins complexe en mars prochain. Mais les passeurs eux peuvent utiliser l'argument l'argument de la difficulté pour "vendre" des traversées plus facilement. 

Lire aussi : Une journée à Calais, entre tensions, rumeurs et ratonnades

Il semble que l'augmentation ne concerne pas seulement les traversées en bateau, plus spectaculaires et visibles. Toutes les tentatives sont importantes dans le nord de la France. Elles n'ont jamais cessé depuis la fin de la "jungle", en octobre 2016, et témoignent de la détresse de ces personnes qui veulent à tout prix rejoindre le Royaume-Uni, malgré les dangers. 

Elisa Perrigueur

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