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Billet de blog 3 juillet 2022

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Entretien avec Jean-Yves Camus

Cet article reproduit un entretien réalisé par Emmanuel Alcaraz avec Jean-Yves Camus, politologue, directeur de l’observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean Jaurès et chercheur associé à l’IRIS(Institut de relations internationales et stratégiques)pour le journal hebdomadaire Golias.

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L'entretien dresse un panorama des franges radicales dans le paysage français, à la lumière de l’entrée en force à l’assemblée nationale de 89 députés du RN. Il a été publié dans le numéro 726 du journal hebdomadaire Golias(semaine du 23 au 29 juin 2022). 

Emmanuel Alcaraz : Comme vous le savez, notre publication est engagée dans les débats au sein de l’Eglise. Or, autant a pu exister au sein de l’Eglise des voix pour condamner le Front national de Jean-Marie Le Pen, autant elle se montre plus discrète à l’égard du Rassemblement national de Marine Le Pen Comment expliquez-vous cette tendance ?

Jean-Yves Camus : Il existe  une évolution du vote catholique qui doit inciter la conférence des évêques à la prudence. Une enquête de l’IFOP pour La Croix montre qu’au premier tour, Marine Le Pen (RN), Éric Zemmour (Reconquête) et Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France) totalisent ainsi 40% du vote des catholiques. Le vote catholique de gauche subsiste (21%) et Jean-Luc Mélenchon effectue une percée remarquable (19%) chez les pratiquants réguliers. Au second tour, si 55% des catholiques ont voté pour le président sortant, 45% des non pratiquants ont choisi Marine Le Pen (contre 39% pour les pratiquants réguliers). Cette lente percée du RN chez les catholiques était déjà amorcée en 2012 : le Père Simon d’Artigue remarquait déjà que les jeunes pratiquants « ne perçoivent pas le Front national avec les grilles de lecture de leurs aînés » et qu’ils étaient « sensibles aux “points non négociables” mentionnés par Benoît XVI dans la note doctrinale de 2002 de la Congrégation pour la doctrine de la foi : la protection de la vie, la famille et l’éducation ».  Les outrances de Jean-Marie Le Pen sont oubliées or c’est elles qui motivaient largement les prises de position des évêques contre le FN, dans la mesure où le racisme comme l’antisémitisme contredisent l’enseignement de l’Eglise. Les catholiques qui avaient suivi feu Mgr. Lefebvre dans la dissidence sont en outre devenus marginaux au RN, ce qui désamorce un autre problème que la hiérarchie catholique pouvait avoir avec le parti. Hypothèse, enfin : l’Eglise conserve l’espoir (ténu, à mon avis) d’une réconciliation avec la Fraternité Saint-Pie X, et sait que la majeure partie du monde traditionaliste a été très heurtée par la Lettre apostolique Traditionis custodes. D’où la volonté de ne pas ouvrir un nouveau front à droite, même si le monde « tradi » se retrouve davantage dans Reconquête que dans le RN.

Emmanuel Alcaraz : Qu’est-ce qu’il reste d’extrême-droite dans le Rassemblement national après la stratégie de dédiabolisation de Marine Le Pen, question qui me pousse aussi à vous demander comment vous définiriez l’extrême-droite en France aujourd’hui ? Extrême-droite est synonyme de droite radicale ?

Jean-Yves Camus :

Avec Nicolas Lebourg, nous avons défini l’extrême-droite comme une  vision du monde dont le centre  est l’organicisme, c’est-à-dire l’idée que la société fonctionne comme un être vivant et que la communauté nationale doit ne comprendre que des individus semblables par les valeurs qu’ils partagent, sous peine que le « corps national » se mettre à dysfonctionner, comme le corps physique dans lequel on injecterait une substance toxique qui rend malade.  Cet organicisme implique le rejet de l’universalisme issu de la philosophie des Lumières au bénéfice de l’autophilie (la valorisation du « nous ») et de l’altérophobie. Une extrême-droite radicale existe qui, à la droite du RN, va plus loin en considérant que la nationalité française doit avoir un socle ethnico-racial. L’extrême-droite en général a peur de la décadence, voire de la disparition, de la nation. Considérant les élites comme des traîtres à leur propre peuple et l’État incapable de garantir le bien public, elles s’investissent d’une mission qu’elles considèrent comme salvatrice : redonner le pouvoir au peuple par l’usage généralisé du référendum, dans le cadre d’une sorte de populisme plébiscitaire. L’extrême-droite radicale, elle, rejette la démocratie représentative, ses institutions et ses valeurs (libéralisme politique et humanisme égalitaire. Le RN est au milieu du gué. Ses racines historiques sont celles du FN fondé en 1972, clairement d’extrême-droite et, pour nombre de ses cadres d’alors, d’extrême-droite radicale. Mais un parti peut changer. Le RN s’inscrit dans le cadre démocratique, il ne répudie pas les Lumières, s’en réclame même lorsque cela recoupe son agenda sur la laïcité et sa vision de la nation n’est ni ethnique, ni raciale. Par contre, il demeure attaché à l’autophilie : c’est tout le concept de priorité nationale, comme celui, antérieur, de préférence nationale. Nicolas Lebourg et moi insistons beaucoup sur cette constante de l’extrême-droite qui est de refuser l’ordre géopolitique dominant et d’opposer une enclosure à la globalisation, ce que fait le RN. Ce qui ne signifie pas, évidemment, que toute critique de l’ordre géopolitique actuel soit d’extrême-droite. De ce point de vue, le RN est souverainiste : il considère que n’existe aucune instance décisionnelle légitime qui dépasse le cadre national français. Il accorde également une place fondamentale à la notion de frontière, qui renvoie à la fois à celle de « protection » contre l’autre et à une forme de patriotisme qui n’est pas d’extrême-droite : la Révolution française levait en masse pour défendre nos frontières.

la suite sur https://www.golias-editions.fr/produit/726-golias-hebdo-n-726/

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