Emmanuel Alcaraz, agrégé d’histoire et de géographie, docteur en histoire (Mesopolhis, Sciences Po Aix, UMR 7064), enseignant à Sorbonne Université.
Cet article a été publié dans le numéro 725 de Golias(semaine du 16 au 22 juin 2022)
Si Marine Le Pen a perdu au second tour des élections présidentielles, ses résultats élevés au second tour, 41, 45% des suffrages, montrent la force de l’extrême-droite dans le paysage politique français. Son parti le Rassemblement national est-il devenu un simple parti souverainiste à la firme sociale affirmée en faveur des classes populaires victimes de la mondialisation néo-libérale ? Nous avons interrogé le politologue Jean-Yves Camus à ce sujet. Mais, pas besoin d’être docteur en science politique pour émettre l’hypothèse qu’il s’agit toujours d’un parti de la droite extrême même s’il semble reconnaître aujourd’hui l’héritage républicain. Le Rassemblement national, épigone du Front national, est un symptôme des blessures de l’histoire française, du boulangisme à l’affaire Dreyfus en passant par l’occupation allemande et les guerres de décolonisation. Le premier mouvement d’extrême droite de première importance est la Ligue des patriotes de Paul Déroulède, fondée pour soutenir le général Boulanger (1837-1891) qui a fini par se suicider sur la tombe de sa maîtresse. Sous la IIIe République, celui-ci a incarné des espoirs vite déçus d’une revanche contre l’Allemagne qui occupait l’Alsace et la Lorraine.
L’importance de la droite extrême en France est-elle une exception française ? Au Royaume uni, l’extrême-droite n’est pas aussi forte. Les Britanniques n’ont pas connu l’occupation allemande et la droite britannique ne s’est pas divisée sur la question de la colonisation. Contrairement à de Gaulle, Churchill n’est pas une figure de la décolonisation. Le premier ministre britannique conservateur incarnait un nationalisme impérial qui s’est opposé à l’abandon de l’Empire britannique. Les moments de montée de l’extrême-droite porteurs de discours xénophobes contre les immigrés au Royaume Uni ont été brefs et n’ont pas permis de donner naissance à une force politique conséquente. Au sein du parti conservateur britannique, lorsque Enoch Powell (1912-1998) fait en avril 1968 le discours dit des « fleuves de sang » (Rivers of blood) contre l’immigration, il est tout de suite marginalisé au sein de son parti. Il n’a pas pu être un Jean-Marie Le Pen britannique. Au Royaume Uni, l’extrême-droite n’a pas réussi à s’implanter durablement parce que ce pays n’a pas connu tous les traumatismes mémoriels de l’histoire française, à commencer par l’occupation allemande, qui n’a pas permis à un Oswald Mosley (1896-1980), le chef de la British Union of fascists, de collaborer avec l’occupant. La France n’est pour autant pas un cas exceptionnel. Il existe aussi d’autres pays européens où les blessures de l’histoire ont produit une extrême-droite forte. En Europe de l’Est, cela a contribué à l’arrivée au pouvoir de Viktor Orban en Hongrie et à l’instauration de plusieurs démocraties illibérales. En Italie, l’Alliance nationale, héritier du MSI (Mouvement social italien) néo fasciste italien de Giorgio Almirante (1914-1988), est arrivée également au pouvoir au sein de coalition électorales. Son leader Gianfranco Fini s’est allié à Berlusconi et a mené une stratégie de dédiabolisation de son mouvement politique.
Pourquoi ces blessures de l’histoire ont-elles été un terreau qui a permis à l’extrême-droite de croitre ?
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