Le froid, la pluie, la lassitude, l'approche des fêtes de fin d'année, les menaces du gouvernement, la violence de l’État, la crainte d'être associés aux pillards ainsi que la distribution d'argent à une partie d'entre eux auront sans doute raison de la ténacité des gilets jaunes. Le mouvement va donc probablement s'étioler dans les jours à venir.
Monsieur Macron et ses partisans devraient pourtant s'abstenir de sabler le champagne pour fêter l'apparente victoire qu'ils remportent de fait sur le mouvement social. Parce qu'ils n'ont remporté qu'une victoire à la Pyrrhus qui a démontré que la force d'un mouvement populaire et peut-être même hélas de ses débordements les plus violents peut faire reculer les ultra-libéraux au pouvoir. Parce que le gouvernement n'ayant aucunement renoncé à sa politique, l'épisode de cette fin d'année 2018 se reproduira très vraisemblablement aussitôt que les intéressés constateront que le pouvoir s'est (une fois de plus) moqué d'eux.
Les gilets jaunes exprimaient, me semble-il, plusieurs exigences dont fort peu seront satisfaites :
Au delà d'un accroissement de leur pouvoir d'achat, ils demandaient une inversion de la politique conduite depuis des années et qui accroît les inégalités. Les plus chanceux d'entre eux auront obtenu 100 euros par mois que ne paieront pas les entreprises, quel que soit le montant des dividendes reversés aux actionnaires, et que ne paieront pas non plus ni les très riches qui restent largement exonérés d'impôts, ni ceux qui s'exilent pour raisons fiscales et que le Sénat a encore favorisés la veille de l'acte V, ni les sociétés internationales qui utilisent les failles de la législation fiscale que nos ultra-libéraux n'entendent pas changer, ni les particuliers ou entreprises qui trichent et que poursuit de moins en moins le ministère des finances dont les moyens humains en la matière sont régulièrement réduits. Les gilets jaunes constateront dans deux ou trois ans que le gel des prix de l'énergie est une mesure illégale et donc une escroquerie déjà mise en œuvre en son temps par Madame Royal et qui nous contraint aujourd'hui à payer le solde des factures soi-disant gelées en 2014. Les autres mesures gouvernementales ne sont que des renoncements à des hausses de prélèvements (taxes sur les carburants, augmentation de la CSG sur les plus faibles retraites). La politique mise en œuvre par Monsieur Macron au profit de ceux qui l'ont mis en orbite se poursuivra inflexiblement et les inégalités croîtront encore tandis que le détricotage de l’État social se poursuivra qui remettra les gilets jaunes dans la rue. Il n'est d'ailleurs pas exclu que se joignent aux protestataires de demain ceux qui vont payer la facture d'aujourd'hui, c'est à dire les classes moyennes « supérieures mais non possédantes ».
Les gilets jaunes demandaient aussi une réduction de la fracture entre les métropoles et les territoires, entre « Paris » et « la province » pour reprendre une expression qu'affectionnent certains médias, entre ceux qui concentrent tous les pouvoirs et bénéficient de tous les services et ceux qui ont de moins en moins accès à la santé, à la justice, à la police, à l'administration en général mais aussi à l'éducation et à la culture et enfin à l'emploi. Même le suivi médiatique du mouvement des gilets jaunes par les médias s'est essentiellement intéressé au événements qui ont affecté... Paris... Il n'est pourtant que d'observer la distribution de la population et des services en Allemagne pour conclure que l’hyper centralisation au profit d'une capitale surdimensionnée et de quelques métropoles régionales vassalisées est une imbécillité sans être pour autant une fatalité. Il faudrait par exemple conduire un vrai mouvement de décentralisation initié par l’État avec le transfert de centaine de milliers d'emplois de fonctionnaires des métropoles vers les villes secondaires pour ré-irriguer un État harmonieusement homogène. C'est possible avec les technologies de communication actuelles. Il n'en sera évidemment pas question.
Le mouvement social a par ailleurs bien compris la nécessité de réformes politiques majeures mettant fin au système représentatif actuel qui donne tous les cinq ans aux électeurs le choix entre des organisations partisanes professionnalisées, largement corrompues et bien décidées à ne tenir que le plus petit nombre possible des engagements qu'elles prennent lors des campagnes électorales. Reconnaître la corruption très étendue du système politique français ne relève aucunement d'un populisme malsain et il suffit là encore de comparer notre pays avec ceux du Nord de l'Europe pour constater que si le mal est profond en France, il n'est pas incurable. Les gilets jaunes voulaient une réforme d'un système qui conduit finalement à donner l'essentiel du pouvoir à un seul homme. Ils n'ont rien obtenu sur ce plan et ils n'obtiendront rien de significatif à court terme. Aucun des partis politiques (rappelons nous le cri du cœur de Mélanchon : l’État c'est moi !) ni aucun des syndicats ou autres corps intermédiaires ne tient à rendre au citoyen ne serait-ce qu'une partie du mince pouvoir qu'ils ont capté. Le grand débat national avec les citoyens sent déjà la tartufferie macronienne et ne débouchera sur rien de concret.
Les gilets jaunes souhaitaient enfin accéder au statut d'être humain respectable et ne plus être méprisés comme ils le sont aujourd'hui par les petits marquis républicains aussi arrogants qu’incompétents et qui se partagent le pouvoir depuis des générations. Emmanuel Macron, fils de bonne famille biberonné par un milliardaire, énarque et banquier, est la caricature de ces prétentieux aussi avides de pouvoir qu'incapables de diriger le pays sans le mettre au service des plus riches qui les ont faits roi. Sarkozy était détesté, Hollande méprisé, Macron est aujourd'hui l'objet d'une haine froide mais puissante qui durera sans doute. Il a franchi tant de fois la ligne rouge de l'insulte pour parler des Français qu'il est bien improbable que cette haine s'apaise. Il restera au pouvoir mais il ne changera malheureusement pas et la haine qu'ils suscite ne fera que s'accroître.
N'ayant effectivement obtenu que quelques demi-mesures que le pouvoir actuel s'empressera de compenser par de nouvelles attaques contre l’État social, les gilets jaunes n'auront d'autres recours que de redescendre dans la rue. L'arrogance du chef de l’État et la très vraisemblable poursuite de sa politique antisociale augmenteront le nombre des protestataires qui seront non seulement plus nombreux dans les rues la prochaine fois mais aussi sans doute plus violents.
L'épisode de cette fin d'année 2018 apparaîtra alors comme une occasion manquée de réconcilier le pouvoir politique avec les citoyens qu'il prétend représenter.
Bonne année quand même