Pierre Moscovici était l’invité de la matinale de France inter le 20 août dernier. Le Commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, à la fiscalité et à l’union douanière a pu ainsi nous apprendre que la Grèce, après presque de dix années de crise, était sortie d’affaire, ou était du moins en passe de l’être. N’hésitant pas à clamer que c’était « un jour historique pour la Grèce », que celle-ci pouvait désormais « marcher seule sur ses deux pieds » grâce à l’assistance financière fournie par ses partenaires européens, « fruit d’une solidarité » certes difficile mais réelle, il nous a en fait fourni les preuves qu’il vivait bien dans un monde parallèle.
Suite à l’«aide » fournie par ses « partenaires », la situation de la Grèce est pourtant loin de faire rêver. Tandis que l’objectif avoué était de désendetter la Grèce, 90% des sommes prêtées lors des deux premiers « plans de sauvetage » – en 2010 et en 2012, qui représentent au total 240 milliards d’euros – vont servir à rembourser ses principaux créanciers privés – principalement des banques allemandes et françaises – afin de leur permettre de s’extraire d’une situation délicate dont ils sont pourtant en partie responsables. Car, contrairement au discours abondamment relayé par la désormais célèbre Troïka – Commission européenne, BCE et FMI –, la dette grecque n’est pas le fruit de dépenses publiques trop élevées puisque celles-ci sont en effet inférieures à celles des autres pays membres de la zone euro, à l’exception des dépenses dans le domaine de la défense – la Grèce y consacre 3% de son PIB contre 1,4% en moyenne pour les pays de la zone euro[1]. Elle est plutôt le résultat des taux d’intérêt élevés qui lui ont été appliqués, d’un manque à gagner fiscal dû à la fuite illicite des capitaux ou encore de la recapitalisation par l’État des banques privées touchées par la crise.
Après trois « plans de sauvetage » qui ont condamné la Grèce à l’austérité perpétuelle, le bilan est sans appel. Le PIB de la Grèce a baissé de 25 % depuis 2008 tandis que les salaires et les pensions de retraite ont diminué de 40 %, tout comme les dépenses de santé et d’éducation. Le système de santé public a ainsi vu ses effectifs amputés de 60 % tandis que la moitié des établissements scolaires fermaient leurs portes[2]. Le taux de chômage reste au-dessus des 20% même s’il a légèrement diminué depuis 2014. Près de 40 % de la population vit à la limite de la pauvreté ou de l’exclusion sociale[3]. Le taux de suicide a cru de plus de 40% entre 2009 et 2016. Quant à la dette publique, que les politiques imposées par la Troïka étaient supposées réduire, elle est passée de 110 % du PIB en 2008 à… 180 % aujourd’hui.
Il est dès lors difficile de partager l’optimisme de Pierre Moscovici, a fortiori quand, dans un pays de 10 millions d’habitants, 500 000 jeunes de 20 à 30 ans l’ont quitté depuis 2008… Mais rien n’arrête l’indécence de notre Commissaire européen, qui fustige « l’inconséquence et la démagogie de [Yannis] Varoufakis » – l’éphémère ministre des finances grec en 2015 qui osa s’élever contre l’inanité et l’inefficacité des politiques d’austérité – et les « mesures irresponsables » qu’il proposait alors, qui se résumaient à sortir de la logique mortifère de l’austérité. A moins qu’il ne règle ses comptes avec celui qui l’avait dépeint comme faible et opportuniste[4]…
Mais Pierre Moscovici a un grand cœur et, s’il salue la « mission réussie » de l’Union européenne, il milite pour que des mesures sociales soient prises. Petit bémol, celles-ci devront être prises dans le cadre (le carcan ?) de la « surveillance renforcée » que l’Union européenne et le FMI vont exercer afin de voir si la Grèce respecte bien ses engagements à poursuivre l’application de mesures qui ont montré toute leur inefficacité, ce que notre Commissaire européen, jamais à cours d’euphémisme, qualifie de « solidarité bienveillante ».
La Grèce ne va malheureusement pas « marcher seule sur ses deux pieds » mais plutôt sur ses deux moignons.
[1] Voir le Rapport de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque, La vérité sur la dette grecque, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2015, p. 41-42. Partisans de la baisse des dépenses publiques, les « partenaires » de la Grèce ont pourtant conditionné le premier « plan de sauvetage » de 2010 à la confirmation de commandes en suspens de matériels militaires…
[2] Voir Marie-Laure Coulmin Koutsaftis (Sous la direction de), Les Grecs contre l’austérité. Il était une fois la crise de la dette, Montreuil, Le Temps des Cerises, 2015, p. 72-76.
[3] Voir Yannis Varoufakis, Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2017, p. 136.
[4] Voir Yannis Varoufakis, Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2017, p. 264-265.