SOS Méditerranée - Aquarius - journal de bord - 28 janvier 2018
COMMUNIQUÉ
Journée doublement tragique pour l’Aquarius en Méditerranée :
SOS MEDITERRANEE
témoin d’une nouvelle interception par les garde-côtes libyens
et mobilisée d’urgence sur un naufrage mortel
L’Aquarius, affrété par SOS MEDITERRANEE et opéré en partenariat avec Médecins Sans Frontières (MSF), a été confronté samedi 27 janvier à l’une des pires journées depuis le début de sa mission , en Méditerranée Centrale en février 2016. Après avoir été témoin direct et impuissant de l’interception d’un canot pneumatique en détresse par les garde-côtes libyens dans les eaux internationales à l’aube, l’Aquarius a été mobilisé pour le sauvetage d’un autre bateau pneumatique qui était en train de couler dans les eaux internationales au large de la Libye. Bilan : 98 personnes sauvées, 2 femmes décédées, de nombreux disparus ; parmi les rescapés, 15 patients évacués d’urgence en hélicoptère dont 6 enfants avec de l’eau dans les poumons. Après cette journée doublement tragique, l’Aquarius continue néanmoins de patrouiller dans la zone de sauvetage à la recherche d’éventuelles autres embarcations en difficulté.
Sept femmes et enfants inconscients, deux femmes décédées et plusieurs disparus
« Nous avons été confrontés à un sauvetage très critique. Lorsque nos zodiacs se sont approchés du bateau pneumatique, il était déjà dégonflé sur un des côtés et des personnes étaient déjà dans l’eau sans gilet de sauvetage. Tous les équipements d’urgence ont été immédiatement déployés, mais beaucoup de personnes avaient déjà perdu connaissance quand elles ont été repêchées et ont dû être réanimées. Malgré tous les efforts des sauveteurs et de l’équipe médicale, pour deux femmes, c’était malheureusement déjà trop tard » a déclaré Klaus Merkle, coordinateur des opérations SAR (Search and Rescue) de SOS MEDITERRANEE.
« C’était une scène terrible, avec de nombreux cas médicaux urgents qui ne cessaient d’arriver à bord de l’Aquarius. Ils ne cessaient d’arriver, l’un après l’autres, inconscients, ne respirant plus », a raconté Aoife Ni Mhurchu, l’infirmière de Médecins Sans Frontières.
Des survivants en état de choc
Sept personnes inconscientes à leur arrivée à bord (une femme, trois bébés et trois jeunes enfants) ont été réanimées avec succès. En revanche les efforts de l’équipe médicale ont été vains pour deux autres femmes qui n’ont pas survécu, laissant deux enfants orphelins, dont un bébé de quelques mois qui se trouve à bord de l’Aquarius et un enfant de quatre ans, qui a été évacué par un hélicoptère de la marine Italienne vers Sfax en Tunisie avec 9 autres patients (trois adultes et six enfants, plus leurs six accompagnateurs adultes).
Les autres rescapés de ce naufrage sont arrivés à bord en état de choc, désorientés par les inhalations de fioul, certains en hypothermie, d’autres présentant des brûlures dues aux fuites de carburant.
Les récits des survivants sont glaçants : « Les gens ont commencé à paniquer. J’étais sur le bateau mais à un moment, quelqu’un a commencé à me tirer vers l’arrière et m’a fait tomber dans l’eau », a raconté un rescapé camerounais à un volontaire de SOS MEDITERRANEE. « J’étais tombée dans l’eau et quelqu’un s’est accroché à moi alors que j’essayais de m’accrocher au bateau, j’allais couler alors je l’ai mordu » a ajouté l’épouse de ce rescapé. Selon les témoignages des rescapés, des personnes étaient déjà tombées à l’eau avant l’arrivée des sauveteurs de SOS MEDITERRANEE. De nombreuses personnes sont portées disparues, dont des enfants et un bébé d’un mois et demi.
Journée doublement tragique :
« les garde-côtes libyens nous ont ordonné brutalement de quitter la zone »
Avant d’être mobilisé par le MRCC Rome (Centre de coordination des secours maritimes) pour le sauvetage de ce canot pneumatique en détresse, l’Aquarius a été le témoin impuissant d’une nouvelle interception par les garde-côtes libyens dans la même zone géographique, dans les eaux internationales.
Aux alentours de 2h du matin dans la nuit de vendredi à samedi, l’Aquarius a reçu du MRCC de Rome l’instruction de rechercher une embarcation en détresse dans les eaux internationales à l’Ouest de Tripoli. Le canot a été repéré quatre heures plus tard à environ 15 milles marins des côtes libyennes et intercepté par les garde-côtes libyens, qui ont ordonné à l’Aquarius de s’éloigner et refusé fermement toute offre d’assistance.
« Nous venions de repérer le canot avec une centaine de personnes à bord. Le phare de l’Aquarius a été allumé et pointé vers l’embarcation. Nous pouvions voir les visages apeurés des personnes et nous les entendions hurler et appeler à l’aide, nos équipes étaient prêtes à intervenir pour sauver ces hommes, femmes et enfants en détresse, mais les garde-côtes libyens nous ont ordonné brutalement de quitter la zone et ont refusé catégoriquement toute offre d’assistance de notre bateau humanitaire » raconte Klaus Merkle, le coordinateur des secours de SOS MEDITERRANEE.
Informé par le MRCC de Rome que les garde-côtes libyens assumaient le commandement sur place (« on scene commandment ») de cette opération, l’Aquarius a aussi été prié de se conformer à leurs instructions. Après avoir été sommé de quitter la scène, l’Aquarius a été informé via radio par le bateau des garde-côtes libyens que ces derniers avaient intercepté deux bateaux pneumatiques, ils se sont toutefois abstenus de préciser où seraient conduites les personnes qui se trouvaient à bord des canots en détresse.
SOS MEDITERRANEE exhorte l’Europe à tout faire pour prévenir ces morts évitables
« Le droit maritime international prévoit que les personnes secourues dans les eaux internationales soient accompagnées dans un port sûr. Or ce lieu sûr ne peut pas être la Libye, en proie au chaos et privée de structures étatiques dignes de ce nom, où les droits fondamentaux des personnes sont quotidiennement bafoués, et particulièrement ceux des migrants et réfugiés, qui y sont victimes des pires atrocités » précise Sophie Beau, vice-présidente de SOS MEDITERRANEE international.
« Nous exhortons de nouveau les Etats européens à tout mettre en œuvre pour éviter de telles tragédies, pour mettre fin à ces morts évitables. Il est urgent que l’Europe entende ces hurlements de détresse à bord des canots interceptés par les garde-côtes libyens et à bord de ces canots qui coulent sous nos yeux – les hurlements de ces enfants, de ces femmes, de ces hommes, noyés dans l’indifférence ! » a déclaré Francis Vallat, président de SOS MEDITERRANEE France.