F Picard

Abonné·e de Mediapart

20 Billets

0 Édition

Billet de blog 18 octobre 2019

F Picard

Abonné·e de Mediapart

Les curieuses vérités de madame Vanoyeke (5)

« Rien de trop » (maxime delphique)

F Picard

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le 27 juin 2001, l’hebdomadaire belge Télémoustique publie une interview de Violaine Vanoyeke. Quand on lui demande si cela lui plairait d’être momifiée, elle répond par la négative, mais ajoute : « si je pouvais choisir, je crois que j’aimerais avoir une pyramide mais située à Thèbes ouest, dans la vallée des rois ». C’est bien normal pour une pharaonne, mais ceci, on l’espère en tout cas, reste dans le registre de l’humour. Pourtant, derrière la plaisanterie, transparaît peut-être une aspiration légitime, chez une personnalité d’exception, à laisser une trace tangible de son passage ici-bas. Que des « magazines américains » vous classent dans les dix femmes qui ont marqué le XXe siècle ou vous propulsent au rang de plus belle femme du monde, ça vous fait évidemment plaisir, mais ils ne sont après tout faits que de papier. On imagine alors sans peine la fierté de madame Vanoyeke quand elle peut nous annoncer, l’air de rien, au détour d’une présentation biographique, qu’elle a bénéficié de marques de reconnaissance bien plus substantielles[1] :

Illustration 1

Ami lecteur, je crains que cette extraordinaire nouvelle ne te laisse de marbre. Je t’avais prévenu : à force de s’attendre à tout, on finit par ne plus s’étonner de rien. Et pourtant, tu te rends compte ? Des statues, des médailles, des musées ! Il ne manque plus que la pyramide, mais c’est évidemment pour plus tard…

Dans une vidéo sobrement intitulée « Violaine VANOYEKE : son oeuvre et sa vie », mise en ligne sur YouTube le 5 octobre dernier, elle précise : « Une statue, un monument et trois musées ont été créés en son honneur pour retracer sa vie et son œuvre[2]. » Hélas, inutile de chercher à visiter ces musées ou contempler cette statue (ces statues ?) : elle a oublié de nous en indiquer la localisation…

Mais peut-être pourras-tu te consoler en admirant une autre récompense, tangible elle aussi, et elle aussi à forte valeur symbolique.

Si l’on en croit le site Tendance parfums , « la parfumerie est un milieu particulièrement concurrentiel. Par conséquent, tous les moyens sont bons pour se démarquer des autres marques, et faire parler de sa dernière création. Les enseignes de luxe n'hésitent donc pas à faire appel à des égéries de prestige pour incarner l’image de leur nouvelle essence (…). Rejoindre le club très sélect des enseignes de certaines parfumeries s'avère être tout aussi flatteur pour les plus grandes stars de la planète. Mannequins, actrices, sportives… Les célébrités les plus populaires se bousculent pour devenir les icônes de la parfumerie de demain[3]. »

Madame Vanoyeke, « célébrité populaire », ne pouvait déroger à la règle.

Dans la ville de Grasse se déroule chaque année, au mois de mai, une manifestation consacrée aux roses, Expo Rose. En 2011, les organisateurs avaient choisi comme thème les « Jardins du Nil ». Et tout naturellement, ils avaient invité la grande spécialiste à venir donner une conférence intitulée « Mes découvertes en Égypte »[4]. A cette occasion, nous dit VV, « Le célèbre parfumeur MOLINARD crée à Grasse le parfum "POUR VIOLAINE" dont l'égérie et l'inspiratrice est Violaine VANOYEKE Ce parfum est réalisé à partir des senteurs qui ont jalonné et marqué la vie de la célèbre écrivaine. Ce parfum, dans son magnifique flacon rappelant l'Egypte antique, spécialement créé pour le parfum de Violaine VANOYEKE, est présenté à la presse et au public au Palais des Congrès de Grasse en mai 2011 lors de EXPOROSE. » La vidéo qu’accompagne ce texte nous permet d’admirer le « magnifique flacon » en question[5].

Nouvelle déception : il n’a pas grand-chose à voir (heureusement !) avec les véritables créations du  parfumeur, et le « POUR VIOLAINE » est désespérément absent des références de la marque. L’explication la plus probable se trouve dans le programme d’Expo Rose 2011 : la maison Molinard organise toute l’année, dans ses locaux de Grasse, Nice ou Paris, des ateliers de création dans lequel chacun peut composer un parfum de son choix[6]. Lors de la manifestation, elle animait un de ces ateliers sur le cours Honoré Cresp à Grasse. Quant au récipient, il a sans doute été acheté dans une des boutiques du marché temporaire installé près des lieux d’exposition, qu’on peut apercevoir dans un petit film consacrée à l’événement[7]. Une étiquette basique, et semble-t-il collée légèrement de travers, et le tour est joué ! Ami lecteur, tu ne seras pas surpris d’apprendre par ailleurs que lors de cette même manifestation, « une rose au nom de Violaine VANOYEKE est également créée par le plus grand rosiériste du monde, gagnant du concours de roses à Grasse. » Le plus grand du monde, c’est la moindre des choses pour madame Vanoyeke. Quant à la rose ici évoquée, tu peux toujours t’amuser à la chercher…

On l’a compris, la fiabilité des informations fournies par Violaine Vanoyeke sur elle-même est proche de zéro. On peut le remarquer jusque dans les plus infimes détails ; je n’en mentionnerai qu’un : son premier livre, un recueil poétique d’une quarantaine de pages intitulé L’Art aux yeux pers, paraît en 1980 aux éditions Saint-Germain-des-Prés, une petite maison qui se consacre essentiellement à la poésie[8]. Ce n’est sans doute pas assez prestigieux, et en 1985, elle déclare qu’il a été édité chez Armand Colin[9]. Mais c’est alors un peu gros, les productions de cet éditeur spécialisé dans les ouvrages à vocation universitaire ne comportant pas de littérature générale. Très vite, en tout cas à partir de 1990, elle va indiquer dans ses bibliographies que le livre a été publié au Cherche-Midi, un éditeur généraliste plus important que Saint-Germain-des-Prés.

Parfois capable de faire preuve d'une certaine prudence (par exemple, on l’a vu, quand elle répond à la question de Paul Wermus sur l’agrégation en évitant soigneusement de dire « je »), VV est cependant une experte en matière de bourdes élevées au rang d’œuvres d’art. C’est ainsi qu’en postant sur le site Babelio un commentaire positif pour un de ses propres livres, elle ne se rend pas compte qu’elle le publie sous sa véritable identité, alors qu’elle le signe « FANDE LECTURE »[10] :

Illustration 2

On se souvient que sur le site de la Fnac elle insérait à la même époque des éloges hyperboliques de ses propres ouvrages à partir de l’identifiant « FANDE » :

Illustration 3

« Quel style ! » Parlons-en un peu justement. Certains lecteurs de VV ne sont pas tendres à ce sujet. Petit florilège de commentaires glanés ici et là :

Sur le site Babelio : « Le texte est pauvre, on dirait presque qu’il s’agit d’une rédaction d’un lycéen[11]. » « Je crois que ce qui me dérange le plus dans les fictions de Violaine Vanoyeke c’est son style, son écriture. Prenons les dialogues par exemple. Je les trouve trop artificiels. Peu crédibles. »  « L’auteure n'est pas écrivaine. Son écriture est sans relief[12]. » « J'ai trouvé l’écriture de l’auteure un peu brouillonne, on ne s’y retrouve pas toujours[13]. »

Chez Amazon : « Style lourd, répétitif et indigeste[14]. » « Qualité du roman : médiocre (histoire et personnages faibles, erreurs de syntaxe)[15]. » « Style plat et terne[16] ».

A la Fnac : « Manque de logique entre les phrases et les paragraphes[17] » « NUL !!! Pas d'intrigue, des personnages sans épaisseur. Quant au style, n'en parlons pas. Les éditions du Rocher rétribuent-elles vraiment des lecteurs pour faire un tri dans les manuscrits qu’on leur propose ? Si oui, alors, c’est de l'argent jeté !!![18] »

Certes, des goûts et des couleurs…  Cependant la première des exigences, pour un écrivain, serait de respecter la langue qu’il utilise. Madame Vanoyeke se targue d’appartenir au club des valeureux défenseurs du français. Selon son site internet, elle est membre de l’association des Ecrivains de langue française, et « membre de soutien de la Revue de la langue française »[19].  Elle appartient également (ou a appartenu) au Comité d’honneur de l'ASSELEF (Association pour la sauvegarde et l'expansion de la langue française)[20].

Je passe sur les dérapages orthographiques et les approximations syntaxiques dont elle est coutumière pour me limiter à l’une de ses spécialités, l’impropriété lexicale. Elle en arrive parfois à concurrencer madame de Perleminouze, le personnage principal d’une pièce de Jean Tardieu au titre explicite : Un mot pour un autre[21].

Elle écrit par exemple « adverbe » et « problème » au lieu de « proverbe » à quelques pages d’intervalle dans le même ouvrage[22]. Dans sa suite romanesque sur les origines du piano, elle évoque les sons « égrillards et faux » du clavecin ; elle voulait sans doute dire « aigrelets »[23]. Elle nous apprend qu’au cours d’une bataille, Alexandre le Grand est blessé « d’une flèche en pleine poitrine ; à la consternation générale, il est toujours en vie »[24]. On ne savait pas que « consternation » et « stupéfaction » étaient d’exacts synonymes. Elle confond « esthétique et esthétisme », et ose écrire : « seule l’esthétisme peut l’attirer »[25], sans que son éditeur ait jugé utile de lui faire corriger ce solécisme.

Ce n’est pas mieux à l’oral. Invitée sur France Culture, dans « Le Cabinet de curiosités », elle disserte d’un ton assuré sur les Jeux Olympiques dans l’Antiquité[26]. Son interlocuteur évoque la trêve respectée lors des jeux, suggérant que la lutte sportive pouvait avoir alors remplacé le combat guerrier. « Il est possible, confirme-t-elle, que ces combats aient été un supplétif des combats qui avaient lieu entre cités ». « Un supplétif »? En termes militaires, des supplétifs sont des combattants qui viennent aider et renforcer les troupes régulières, et non les remplacer. Le mot « substitut » n’eût-il pas mieux convenu ?

Le journal télévisé de France 3 la reçoit, en 2001 semble-t-il, pour la promotion de son autobiographie[27]. Au cours de l’entretien, Laura Massis lui demande quelle est la meilleure période de l’année pour visiter l’Égypte. Réponse :

 [problème avec le fichier son ; consulter https://www.youtube.com/watch?v=yBww64SOqIo à 6 m 5s]

En novembre, on peut donc aller « galvauder » dans le désert égyptien ; « galvauder » signifie parfois « perdre son temps en traînant sans rien faire », mais aussi plus fréquemment « avilir », « compromettre ». Dans les deux cas, le mot n’évoque rien de bien positif.

Je suggère qu’à titre de réparation, madame Vanoyeke verse 10% de ses confortables droits d’auteur aux associations susnommées.

Le 3 juillet 2013, le site le choix des libraires publie ses réponses à un court questionnaire[28].

Sa manière de se présenter n’est pas vraiment une surprise :

« 1) Qui êtes-vous ? !
Violaine Vanoyeke (cf.www.violainevanoyeke.net) écrivain, professeur de civilisations et littératures anciennes, latiniste, helléniste, linguiste, égyptologue. Auteur de 8O livres traduits dans une cinquantaine de pays. Pianiste virtuose qui a joué dans les plus grandes salles et avec les plus grands orchestres.
 »

Mais voici la perle :

Illustration 4

A force de pratiquer l’égyptien ancien, l’helléniste Vanoyeke a oublié ses quelques notions de grec : la formule est en réalité « Gnôthi seauton ». Elle est généralement interprétée comme assignant à l’homme « le devoir de prendre conscience de sa propre mesure sans tenter de rivaliser avec les dieux »[29]. Ami lecteur, toi qui cernes maintenant un peu mieux le personnage, tu savoures assurément la référence à cette judicieuse sentence, que madame Vanoyeke se répète souvent, mais sans doute pas assez.

                                                                        (à suivre)

[1] Présentation, maintes fois reprise par la suite, d’une vidéo mise en ligne le 21 septembre 2017 : https://www.youtube.com/watch?v=PKeb9PHmZCE.

[2] https://www.youtube.com/watch?v=SUmUvqcs95o; voir à 4 min 39 s.

[3] https://www.tendance-parfums.com/parfum-femme/choisir-un-parfum/egerie.html

[4] Le titre est instructif : le sujet est moins l’Egypte que les exploits (imaginaires) de VV sur le terrain. Mais à part elle, qui peut parler de l’Egypte ? Chacun sait qu’il y a pénurie d’égyptologues compétents en France.

[5] Mise en ligne le 29 décembre 2017 : https://www.youtube.com/watch?v=1u4m23Tu3RQ

[6] https://www.molinard.com/atelier-creation-parfum

[7] https://www.youtube.com/watch?v=MgEieB1oXVc. La boutique est visible à 2 min 16 s.

[8] Cf. la notice de la BNF : https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34713877v

[9] Le Pays Briard, 14 juin 1985.

[10] https://www.babelio.com/livres/Vanoyeke-La-Pharaonne-tome-3--Le-voyage-deternite/88944. Je parie, ami lecteur, que même sans lire le nom de la source, tu aurais deviné l’auteur de cette prose reconnaissable entre toutes…

[11] https://www.babelio.com/livres/Vanoyeke-Les-mysteres-du-prince/205551#critiques

[12] https://www.babelio.com/livres/Vanoyeke-Meurtre-aux-Jeux-Olympiques/536705 (ce commentaire et le précédent portent sur le même livre)

[13] https://www.babelio.com/livres/Vanoyeke-Les-Histoires-damour-des-pharaons-tome-2/264419#critiques

[14] https://www.amazon.fr/product-reviews/2749900131

[15] https://www.amazon.fr/product-reviews/2753805857

[16] https://www.amazon.fr/product-reviews/2251338128

[17] https://www.fnac.com/Les-grandes-enigmes-de-l-Egypte/a2050417/avis

[18] https://www.fnac.com/Le-pilleur-de-tombes/a2882266/avis

[19] Il existe bien une revue intitulée Langue française, mais je n’ai pas trouvé trace d’un comité de soutien.

[20] http://www.asselaf.fr/a_honneur.html

[21] Jean Tardieu, Un mot pour un autre, Gallimard, 1951

[22] La prostitution… pages 15 et 29 de l’édition de 1990. Aucune des nombreuses fautes de ce livre n’est corrigée dans la réédition de 2018-2019.

[23] Le serment des 4 rivières, p. 151.

[24] Les grandes heures de la Grèce, p. 180

[25] Clair de symphonie, Jean Picollec, 1987, « première partie - le passé - 1978 » (consulté dans une édition numérique non paginée). Même confusion entre les deux mots dans le roman Les Schuller, p. 329.

[26] Date indéterminée ; vidéo mise en ligne le 6 mai 2019 : https://www.youtube.com/watch?v=gi-ScyUrLMM. écouter à 31 secondes.

[27] https://www.youtube.com/watch?v=yBww64SOqIo. Date non précisée ; vidéo mise en ligne le 27 mars 2017.

[28] http://www.lechoixdeslibraires.com/livre-131751-taousert-reine-degypte.htm#413562.

[29] https://fr.wikipedia.org/wiki/Gnothi_seauton

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.