LE CONTEXTE AVANT LE PROBLEME
Mon métier est (était) d'accueillir, accompagner et évaluer des enfants adolescents jeunes adultes en situation de handicap au cours d'un projet scolaire élaboré pour eux en équipe pluridisciplinaire dans le cadre de la législation sociale et en respect du cahier des charges de l'association qui gère l'accueil de ces personnes du lundi au vendredi soir, ainsi que leurs familles, grâce aux budgets accordés par la sécurité sociale et les partenariats avec la région. Mon salaire est assuré par l'académie qui me rémunère au titre d'un contrat privé passé avec l’association.
J'ai exercé ce métier dans une association qui a étendu sa prise en charge auprès d'adultes ESAT, FAM, MAS, (en internat et en externat).
J'ai occupé le même poste sur des sections éducatives différentes, mais la plus grande partie auprès de la section jeunes adultes, c'est-à-dire avant la sortie de l'IME, institut médico éducatif (de 3 à 20 ans et plus) : le projet scolaire s'articulait logiquement autour des besoins psychosociaux des jeunes et leur programme scolaire était élaboré en fonction des besoins plus ou moins envisagés pour leur vie après l'IME.
J'ai écrit un projet pédagogique validé et noté très positivement par mon inspection académique ; du côté de l'association, il fallait répondre avant tout aux besoins des jeunes et aux exigences plus ou moins légitimes des besoins éducatifs : exemple : la classe de l'après-midi devenait un temps de remplacement de l'éducateur en temps libéré gratuitement par l'association une fois par semaine. Qu'importe, ce temps était consacré à un groupe scolaire hétérogène, mais un groupe éducatif homogène ; à moi d'articuler des projets autour de ces variables. La place de l'enseignant était déjà plus ou moins bien reconnue (pourtant gratuit, mais la culture "anti public" est très très bien ancrée chez les éducateurs). Bilan : j'ai fait ma place dans ce bric à brac, et j'ai aimé mon métier, vraiment, construisant des outils comme de nombreux confrères, toujours en recherche; l'amélioration de la qualité est venue requalifier ce qui existait déjà et n'a rien changé : un mauvais professionnel demeure un mauvais professionnel, un bon professionnel l'est, point. J'ai pu travailler en accord avec mon projet, riche d'un point de vue scolaire et éducatif, car il était écrit, et ravaillé.
Cependant, cat il faut bien préparer ce qui va suivre, et parce que j'ai fait un long travail sur moi-même, j'ai été avertie, sans me l'avouer : je ne trouvai jamais l'écoute de la part de l'équipe médicale et paramédicale sur des sujets qu'abordaient régulièrement les jeunes notamment ceux qui portaient sur la sexualité ; en effet, je me vis interdire voire contrôler mes cours concernant la connaissance du corps, de l'anatomie et des organes sexuels, sous prétexte que mes élèves pouvaient être perturbés. Mieux, il advint un décalage de plus en plus grand lorsque je rapportais des éléments de maltraitance évoqués par mes élèves, et je me voyais systématiquement refuser la prise en compte orale et surtout écrite des ces données. Sauf que certaines confidences évoquaient des actes graves ; je les consignais toujours par écrit sur mes rapports de synthèses, eux-mêmes transformés et synthétisés par le psychiatre, donc sans mes notes. J'interpellai l'inspection au cours de séminaires généralistes, je me renseignai personnellement sur mes obligations en cas d'allégations d'abus sexuels. Il est important que je précise que j'étais repérée par tous les enfants et jeunes de l'IME comme la prof de la grande classe, celle à qui on pouvait parler, en qui on pouvait avoir confiance.
2001 : ALLEGATION D'ABUS SEXUEL
Vint le jour où l'une de mes élèves d'un groupe éducatif de l'après-midi (trait commun : troubles de la déficience intellectuelle sévère et troubles de la personnalité associés) me déclarare que "Papa me fait ça". Ce groupe a besoin de calme, d'activités très explicites, et prend plaisir à apprendre de nouvelles choses, y compris l'utilisation de logiciels informatiques adaptés à leurs niveaux cognitifs ; l'ambiance scolaire est sereine et sécure. Lorsqu'un jeune a le sentiment d'un mal être, il demande à me parler, je l'écoute quelques minutes pendant que le reste du groupe est occupé à ses activités ; il existe un consensus de respect du groupe, et il arrivait qu'un autre jeune donne son avis : c'est un contrat didactique pasé entre moi et mes élèves, et ça marche, quelque soit le "niveau" des élèves, quelles que soient ses performances, son niveau de pensée ou de langage.
Ce jour-là et alors que j'avais accompagné une jeune fille à la salle de bains car elle n'était pas autonome, la stagiaire qui était présente sur ce groupe me dit devoir entendre J. qui avait quelque chose de spécial à me dire : J. me dit avec ses mots et ses gestes que « papa » lui fait ça. Je la rassure et fais ma première erreur tactique, ( j'emploie volontairement ce terme car il s'agira ensuite d'une véritable guerre menée à mon encontre pour me faire taire ); je convoque ma hiérarchie comme c'est la coutume en travail social – lieu de culture du travail en équipe – ainsi que la psychologue, et dépose un premier écrit dans le carnet de liaison. Mon analyse et mon inscription en master 1ère année en sciences de l'éducation que j'ai préparé et qui portait sur la pratique professionnelle de signalement en éducation, c'est-à-dire 11 ans après les faits ; ce travail n'est pas terminé : certains responsables de laboratoire de recherche me démotivèrent, le sujet étant très très intéressant, mais trop, trop « brûlant » ; ma principale analyse est que ma hiérarchie m'avait montré qu'elle était incompétente en cette matière, et cela, je crois qu'inconsciemment cela n'était pas possible à envisager d'un point de vue éthique. Et donc leur communiquer les faits était leur donner le bâton pour me faire battre : sauf que dans les prescriptions des professeurs des écoles des collèges des lycées et dans celle des éducateurs, il est mentionné clairement, à travers tous les guides : ne jamais rester seul dans ce cas précis, communique!
1er PROBLEME : LA HIERARCHIE M'ORDONNE DE NE PAS FAIRE DE SIGNALEMENT !
Ma déclaration est prise en compte, sauf que la réaction de la direction est de convoquer la mère, qui gagna au cours d'un échange sympathique toute la confiance de la direction (la direction fait un délit en ne signalant pas à son tour une déclaration d'inceste signalée par un employé); devant mon incompréhension et pendant que de son côté mon inspecteur d'académie envoyait le formulaire à remplir par moi, mais et qui fut lu par la direction, et pendant que la jeune fille montrait de plus en plus de signes de malaise avéré se comportant de manière de plus en plus obscène, mimant les actes sexuels insupportables, s'adressant à qui voulait l'entendre,même à des passants, par logorrhées et des gestes, je me vis soudain convoquée à une réunion informelle, n'apparaissant donc pas sur les comptes rendus écrits obligatoires des réunions.
L'objet devint : vous, F, êtes en train de détruire la bonne entente qui règne au sein de l' équipe pluridisciplinaire parce que vous insistez sur des rumeurs ; je tentais alors une explication professionnelle et me vis contrainte au silence, injonction faite de me tenir tranquille ; étaient présents les éducateurs, la psychologue, le chef de service, la directrice. Puis une deuxième réunion du même acabit fut à nouveau organisée, avec cette fois-ci la présence du médecin psychiatre et de l'assistante de service social : ordonnance me fut faite de ne pas effectuer le signalement car je serais moi la cause d'un acharnement auprès de cette famille ; je fus insultée, humiliée et traitée d incompétente et d'inhumaine, la décision de ne plus m'adresser la parole me fut prononcée dès lors que je répondis que je demandais une ordonnance écrite et que les événements se retournant contre moi, j'étais en droit d'aller chercher réparation.
Je fis le signalement, complété par une déclaration de pressions subies par ma hiérarchie dans le but de m'empêcher de signaler cette déclaration d'inceste, adressai copie au conseil général et à l'inspection académique en février 2001.
Sauf que la famille fut prévenue par le médecin psychiatre, qu'une expertise gynécologique fut exécutée sur mon élève et qu'un classement sans suite fut déclaré puis évoqué en réunion, ajoutant à mon encontre une expression franche et collective de sarcasme.
Ensuite, je fus victime de harcèlement moral au quotidien : disqualification générale de mes évaluations scolaires, difficultés répétitives à obtenir les outils de travail auquel j'avais droit comme tout personnel de l'institution, surcharge de travail, et effectivement l'on ne me dit plus bonjour.
J'optais pour la stratégie d’irréprochabilité de mon travail, fis intervenir mon inspecteur d'académie, qui me soutint, mais là encore je fus disqualifiée et jugée paranoïaque par mon employeur qui niait en bloc.
2ème PROBLEME : burn out : je m'accroche ...naïvement
Puis je tombe gravement malade : cancer du sein, six mois après les faits, longue maladie, reprise et nouvelle stratégie : chercher du travail ailleurs, (jamais trouvé) valider mon diplôme d'éducatrice spécialisée (validation entière), faire des démarches pour prouver le harcèlement moral dont je suis victime, sans succès, aucun éducateur ni paramédical n'a voulu attester.
En 2006 j'évolue toujours dans une ambiance professionnelle difficile, et ma directrice insiste pour me recevoir dans son bureau, c'est urgent : convocation à la brigade des mineurs ! Ma directrice qui ne se soucie en rien du problème me dit avoir déjà oublié, ne comprends pas que je n'en fasse pas autant...
J'apprends que la sœur aînée de ma victime a saisi le tribunal pour plainte de viols perpétrés pendant de longues années sur elle ; ma déposition adressée en 2001 directement au procureur figurait dans le dossier du juge : je confirùe alors les faits tels que précédemment écrits, le commissaire prend des informations auprès de ma direction pour ce qui concerne mon élève, elle est décrite comme psychotique donc affabulatrice...Je commence sérieusement à avoir envie de vomir; je cherche par tous les moyens à quitter l'institution; par manque de moyens, à cause d'un rétrécissement sévère de mon réseau, je ne peux partir.
Je prends rendez-vous auprès du directeur général qui retourne à son tour la situation contre moi, alors que j'évoque vouloir rompre mon contrat pour incompatibilité d'humeur et demande une lettre référencée pour mes compétences prouvées jusqu'à ce jour, afin d'accélérer mon départ. Il refuse en bloc.
Récidive de cancer, qui a pour conséquences une ablation du sein, de nouveau longue maladie, toutes les portes se ferment sur moi, le délégué du personnel ne fait pas la passation de mon histoire aux autres délégués du personnel, je ne vérifie pas, je commence à lâcher prise, je deviens de moins en moins rigolote, de plus en plus stressée, je suis peu à peu exclue de tous, famille, amis compris, le mécanisme de la manipulation a fonctionné...je perds ma crédibilité.
Je prolonge ma maladie jusqu'en 2011, avec des reprises et des interruptions consécutives : mon local-classe n'est plus qu'une remise, je gêne tout le monde, et moi, je me démotive totalement, j'envisage une rupture conventionnelle au titre de mon statut privé, qu m'est refusée pendant une année, pour des raisons de droit : pour l'institution je dépends du public : comme s'ils ne connaissaient pas mes droits ....ça devient très suspect !
En 2011, je suis inscrite en master 1, dans le but d'intellectualiser cette problématique, avec grand mal car je fais en même temps une dépression qui ne me permet pas d'être au mieux de ma forme intellectuelle...J'échoue cette première année, mais je trouve sur internet l'adresse mail du frère de mon élève : au bout de quelques échanges pénibles et difficiles, j'obtiens enfin la vérité : J.a été reconnue victime, a obtenu réparation pour les viols subis à son encontre ainsi que sur lui-même et son autre sœur, à l'origine de la plainte ; ils ont tous les trois obtenu réparation, le beau-père est incarcéré pour 12 ans !!!
Choquée de nouveau de n'avoir pas servi à empêcher cette horreur, d'avoir été sacrifiée, de plus, victime à mon tour d'une contre violence institutionnelle, je fais alors une lettre anonyme de chantage à mon directeur général et obtiens ma rupture conventionnelle en quinze jours.
EPILOGUE
Pendant toute cette période, et encore aujourd'hui, je n'ai rencontré qu'une majorité de professionnels (enseignants, éducateurs, responsables éducatifs) qui sont soumis à cette loi du silence, loi du silence sur une pédophilie légitimée en France car impunie, certains tribunaux dont celui de la ville où je réside, étant corrompus et connus pour cela. Seuls sont choqués, traumatisés et malades les victimes d'abus sexuels; les personnes lambda ? Elles pensent qu’il n'est pas possible que ce genre de chose arrive, surtout venant de la part de professionnels.
Une jeune maman me confiait récemment qu'en 2011, sa fille, alors âgée de 2 ans, confiée à une gardienne, avait été violée par l'ami de la gardienne, médecin de F, ville du Var, viol constaté, expertisé, affiché sur le carnet de santé de l'enfant ; les parents ont bien-sûr porté plainte : l'affaire a été classée sans suite, et le père abandonnait alors de peur de devenir dingue. J'ai bien-sûr orienté cette jeune femme chez un psychologue spécialisé dans ce genre d'affaire afin de rouvrir le dossier, l'encourageant à ne pas abandonner.
REFLEXION : pourquoi l'aspect criminel de la pédophilie a autant de mal en France à être admis ?
J'ai lu, relu, étudié, discuté, échangé : rares sont les professionnels de la maltraitance sexuelle sur enfant qui ne font pas un déni, et les témoignages de victimes devenues adultes manquent cruellement ; les grandes associations font marche arrière, le nouveau dispositif a mis entre les mains d'une seule personne, le président du conseil général, l'évalaution, l'affaire d'Outreau est devenu l'argument rempart au déni, et bien-sûr, la formation des experts est encore malmenée par de mauvaises lectures de Freud, lui-même très changeant dans ses écrits, l'évaluation est fondée sur la fantasmatique sexualité infantile, et la séduction précoce ! Ben voyons ...
Ce que j'ai pris pour un canular est un drame sociétal, qui le dira pour moi qui n'ai plus aucun courage ?