Monsieur l’inspecteur, mesdames et messieurs les conseillers pédagogiques, madame la Directrice, très chers collègues,
Maintenant, on ne compte plus les jours de confinement mais on compte les jours qui nous séparent du déconfinement. Je suis comme beaucoup d’entre vous, heureuse de laisser derrière moi cet épisode anxiogène et mortifère mais dubitative quant aux modalités de sortie de crise. Ne disposant d’aucune compétence dans les domaines éco-géo-humano-sanitairo-écolo-politiques, mon avis vaut ce qu’il vaut mais comme le disait si bien Devos, « Vous voudriez que je fasse comme ceux qui n'ont rien à dire et qui le gardent pour eux ? Et bien, non ! Mesdames et messieurs. Moi quand je n'ai rien à dire, je veux qu'on le sache ! »… à l’instar parfois de celles et ceux qui nous gouvernent.
Après avoir appris la fermeture des écoles, nous avons fermé les écoles. Les enfants étant visiblement autant à craindre que le virus.
Après nous avoir demandé d’organiser l’école à distance, nous avons organisé l’école à distance. Avec du matériel personnel, des enfants dans les pattes (eh oui, les enseignants se reproduisent…et sans photocopie) et des compagnons qui demandent le silence parce qu’ils télétravaillent…EUX !
Après avoir écouté les blagues de Sibeth Ndiaye, nous avons ri…jusqu’à ce qu’on me dise que ça n’était pas des blagues.
Après avoir demandé des volontaires pour accueillir les enfants de soignants, nous avons accueilli les enfants de soignants (ce qui m’a permis de tester la notion toute relative de distanciation chez les 4 à 10 ans).
Après avoir reçu les nombreuses vidéos de notre ministre, nous avons regardé les nombreuses vidéos de notre ministre. La chorégraphie de sa gestuelle mécanique m’a hypnotisée. Pourvu que son conseiller en communication ne lui fasse pas réaliser des tutos éducatifs au risque de voir le nombre de nos élèves décrocheurs augmenter de façon exponentielle.
Après avoir écouté notre président annoncer que les écoles ouvriraient le 11 mai, on ouvrira les écoles le 11 mai, rassurés de savoir que les enfants ne sont plus vecteurs de transmission.
Nos missions seront donc sanitaires et sociales. Moi qui pensais être « vecteur de transmission de savoirs ».
Mais depuis quand se préoccupe-t-on du côté sanitaire des établissements scolaires qui collectionnent les toilettes vétustes, les savons invisibles, les essuie-mains collectifs en éponge ?
Depuis quand se préoccupe-t-on du social alors qu’on a noyé les élèves et leurs familles avec une école à distance et du travail à réaliser en laissant sur le bas-côté du chemin de l’instruction les enfants des familles qui ne maîtrisent pas les codes, qui n’ont pas d’équipement informatique, qui souffrent financièrement et psychologiquement du confinement, qui travaillent pour nous soigner, nous accompagner, nous nourrir, ramasser nos ordures…
A partir du 11, nous accueillerons les décrocheurs, ces enfants fragiles avec nos masques et notre bonne volonté. Mais d’après les premiers retours, se sont plutôt les premiers de cordée qui s’empressent de nous prévenir qu’ils laisseront leurs enfants à l’alaé, à la cantine et à l’école. Les autres hésitent encore à nous confier leur progéniture, celle-là même qu’on a laissée sur le bord du chemin, souvent sans solution tangible. Comment demander à ces familles de nous faire confiance ?
En accueillant les enfants de volontaires, n’allons-nous pas creuser encore davantage les inégalités, comme on sait si souvent bien le faire ?
Je ne suis qu’une petite, toute petite enseignante d’élémentaire avec une classe à double-niveau et 28 têtes toutes pleines de rêves, d’énergie, de colère et d’espoirs. Je vais retourner à l’école parce que je suis habituée à faire ce qu’on me dit de faire mais je me sens terriblement complice. Je vais retourner à l’école non pas pour enseigner, mais pour assurer la reprise économique du pays dans des conditions sanitaires, humaines et professionnelles qui posent encore question. Je vais retourner à l’école parce que nous sommes « en guerre » et je vais porter les masques gentiment bricolés par des parents. Quel carnaval ! Je vais retourner à l’école malgré les avis d’experts et du sénat qui s’étonnent d’une ouverture précipitée de l’école.
Je ne suis qu’une simple exécutante et je ne peux m’empêcher de penser à ces soldats qui ne voulaient pas faire la guerre et que l’on a exécutés pour l’exemple avant de les réhabiliter quelques dizaines d’années plus tard…
Mes questions n’ont rien à voir avec un quelconque refus de sortir du confinement. Et j’entends déjà la colère de celles et ceux qui pensent qu’on passe notre temps à nous opposer pour toujours plus de confort, de vacances et d’évitement du travail.
Notre ministre nous ayant demandé de faire preuve d’inventivité et de créativité, je profite de cette opportunité pour avancer quelques réflexions :
- Prévoir sereinement la rentrée scolaire en septembre.
- Profiter de ce temps pour réfléchir à une nouvelle école, plus coopérative, plus respectueuse de l’humain et de l’environnement.
- Réfléchir à l’éducation de futurs citoyens sensibilisés à l’écologie, la solidarité, le travail en équipe.
- Equiper nos élèves pour qu’ils puissent réfléchir, analyser, faire des choix éclairés, argumenter et être libres.
- Imaginer un programme plus sobre et des compétences conformes aux préoccupations de demain.
- Travailler avec tous les partenaires éducatifs (enseignants, parents, assistants, associations, mairie….).
- Construire une école de partenariat parents/enfants et communiquer pour briser la glace souvent trop visible lors des conseils d’école.
- Inclure davantage les compétences des animateurs et des associations pour une éducation populaire plus riche et plus juste.
- Former les enseignants à l’enseignement à distance et à la réalisation de vidéos ou supports numériques plus appétents pour les élèves
- Imaginer l’école « hors des murs » avec des sorties plus nombreuses, des ouvertures sur le monde artistique plus fréquentes.
- Créer des sessions de « rattrapage » pour l’an prochain en décloisonnant dans l’école et au collège.
- Proposer un premier trimestre mixte école/collège pour une rentrée en douceur des élèves les plus fragiles…
Au risque de choquer notre ministre, l’obéissance n’est pas la seule qualité des fonctionnaires. Ils leur arrivent aussi de réfléchir et d’être en mesure de proposer.
Ensemble, misons sur l’intelligence collective et œuvrons pour une école plus résiliente, inclusive, ouverte et bienveillante.