
« Si c’était moi qui toujours devais rester jeune, et si cette peinture pouvait vieillir !... Pour cela, pour cela je donnerais tout !... Il n’est rien dans le monde que je ne donnerais... Mon âme, même ! ».
Ces mots sont ceux de Dorian Gray, le personnage du roman d'Oscar Wilde. Un jeune homme incapable de maitriser ses pulsions mortifères et dissimulant sa décadence compulsive derrière un physique éblouissant de beauté.
Les années passent et ses traits préservent une beauté adolescente qui semble éternelle. Mais dans une pièce secrète, Dorian dissimule la peinture de son portrait qui se charge, au fil des ans, des traits de sa cruauté et de son avilissement intérieur.
Devenu paranoïaque, il finira, dans un geste désespéré, par éventrer le portrait afin de se libérer du miroir infâme de son âme.
La police découvrira son corps vieux et hideux sans vie, allongé devant un portrait...d'une étincelante beauté.
"Le Portrait de Dorian Gray", allégorie de la civilisation capitaliste néolibérale?
Une civilisation dont la nature pestilentielle intrinsèque (destruction inextinguible des écosystèmes, inflation chronique de la violence sociale, dissolution systématique des équilibres démocratiques...) se dissimule derrière le consumérisme, le marketing, le design, le packaging, l'entertainment compulsif... C'est sous ce visage avenant et séducteur que se (re)présente cette civilisation, tout en dissimulant le tableau de son portrait hideux bariolé d'exploitation et d'asservissement des masses.
Mais la pandémie est venu lacérer la toile de ce tableau -de plus en plus mal- dissimulé. Ses marques les plus infâmes et détestables resurgissent en pleine lumière sur le visage exposé de la civilisation capitaliste néolibérale : oppression des peuples, cadenassage des libertés, et sans aucun doute captation imminente des comptes bancaires et annihilation violente de toute tentative de révolte populaire...
Nous y voilà donc. La Grande Bifurcation possible, attendue et souhaitée par beaucoup depuis si longtemps. On peut lire ici et là ou encore ici ou encore là des tribunes orientées dans ce sens : de nouvelles directions doivent être prises, de nouveaux paradigmes doivent être adoptés, on y lit qu'"il faut...". Et en effet, oui, il faut...
Mais ces préconisations n'ont de sens que si elles assument pleinement d'annoncer la couleur : les chemins qui mènent à leur réalisation, ce sont de longues tranchées boueuses infestées de rats qui seront continuellement pilonnées d'obus par l'argyrocratie. Quiconque les empruntera sera donc systématiquement découragé, maltraité, blessé, violenté...
La répression des mouvements sociaux des derniers mois n'aura été que l'amer avant goût de ce qui attend ceux et celles qui auront l'affront de s'attaquer à l'hydre capitaliste.
Face à cet ennemi entrainé, armé, chargé d'impunité et de détermination, quel stratégie adopter? Quelle forme notre résistance doit-elle prendre?
Les entraides relocalisées rendront notre quotidien supportable dans les semaines et mois à venir. Mais la survie n'étant pas une option désirable, elles doivent aussi servir de base arrière à l'élaboration de stratégies politiques plus offensives.
Car une chose apparait de plus en plus clairement dorénavant : la guerre évoquée par E.Macron n'est pas celle que l'on croit. Tout simplement parce que le "nous" employé n'était pas inclusif.
Ils sont en guerre, donc. Et ils la livrent au corps social.