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Billet de blog 27 octobre 2016

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Le livre de la «Jungle»: ou quand l’Etat veut bâillonner les avocats

Comme tous les avocats de France, je viens de recevoir le communiqué du président du Conseil national des barreaux (CNB) qui nous informe du recours hiérarchique qu’il vient de former auprès du ministre de l’intérieur contre un arrêté interdisant, de fait, aux avocats d’exercer leurs missions au sein de la Jungle de Calais à l'occasion de son démantèlement.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le communiqué est rédigé en ces termes :

« Le président du Conseil national des barreaux introduit un recours auprès du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve pour exiger que les avocats présents sur le site du bidonville de Calais soient immédiatement autorisés à y pénétrer pour porter assistance et conseil aux migrants.

En vertu d’un arrêté qui utilise les dispositions prévues dans le cadre de l’état d’urgence, la préfecture a créé une zone dite « de protection » autour du bidonville de Calais.

Seules les personnes inscrites sur une liste établie par la Préfète du Pas-de-Calais peuvent y pénétrer pendant le démantèlement et, pour certaines, à condition d’être munies également d’une accréditation.

Les avocats sont écartés de ce dispositif au risque d’être assimilés à des «activistes violents susceptibles de troubler l’ordre public» et «d’influencer les migrants afin d’empêcher leur départ».

Le CNB rappelle que même en situation irrégulière les migrants et exilés sont des personnes libres et que les avocats sont fondés à les accompagner et les conseiller pour faire respecter leurs droits et libertés fondamentales.

En conséquence, le président du Conseil national des barreaux introduit, ce jour, un recours hiérarchique auprès du ministre de l’Intérieur pour demander que cet arrêté soit rectifié sans délai.

Le CNB exige que tous les avocats présents à Calais puissent pénétrer de droit à l’intérieur du bidonville avant la fin du démantèlement pour exercer leurs missions de conseil et d’assistance auprès des migrants. »

A supposer que le ministre de l’intérieur fasse droit à ce recours il sera bien évidemment trop tard pour que mes confrères puissent exercer leurs missions au sein de la "Jungle."

La réactivité du CNB doit être ici saluée. Elle est à la hauteur du caractère totalement inacceptable de la suspicion ainsi jetée sur l'ensemble du barreau de France. 

J’ai pris le temps, avant de rédiger ce billet, de lire, sur les différents sites d’information relayant cette information, les commentaires, toujours acerbes et anonymes, de ceux qui crient au scandale en invoquant, ici, les droits démesurés consentis à des migrants en situation irrégulière, là, des charognards venant exercer des missions sur des fonds publics.

Certes ces commentateurs pêchent par ignorance. Le bénévolat existe même pour les avocats et contrairement aux idées reçues notre profession est bien loin d’être mue par l’argent. Il suffit à tous ces aigris d’aller assister à des audiences de comparution immédiate pour voir cette défense pénale d’urgence s’exercer avec honneur et sans qu’il soit ici nécessaire de rappeler qu’elle le fait dans un désintéressement total compte tenu de l’indemnisation indigne allouée par l’aide juridictionnelle.

J’assistais hier soir à une réunion du conseil de l’ordre de mon barreau au sein duquel nous commençons à rencontrer des difficultés pour organiser les permanences pénales. Il faut plus de deux heures pour traverser notre département de part en part ce que Rachida Dati a toujours refusé d’admettre lorsqu’elle a cru devoir modifier la carte judiciaire. Malgré ces difficultés nous tentons, localement, de faire en sorte que n’importe quel justiciable placé en garde à vue puisse être assisté tout au long de celle-ci par un avocat.

Je ne pensais tout de même pas que mes confrères et moi-même pourrions un jour être assimilés à des "activistes."

Les magistrats de la Cour européenne des droits de l’Homme devraient en tousser sinon s'étrangler.

Mais à quoi bon rappeler tout cela puisque ceci reste bien secondaire pour nos concitoyens. Ce n’est que le jour où ils se trouvent confrontés à notre système pénal démuni de tous moyens qu’ils comprennent.

C'est alors ils sont capables d’entendre cette évidence : une démocratie commence à perdre son âme en commençant à suspecter ses avocats ou ses journalistes.

Nous y sommes. Notre pays a donc muté. La gestion des affaires publiques relève exclusivement de la communication. L’on ne gouverne plus. Au sommet de l'Etat un président aux abois nous a récemment livré sa pensée consternante. L’exécutif gère ses électeurs comme une grande marque va gérer ses consommateurs. Les difficultés économiques qu’un Etat a été incapable d’enrayer entraînent inéluctablement, mécaniquement, un repli sur soi.

Au final notre République perd petit à petit son âme. Celle des Lumières.      

Imaginerait-on aujourd’hui un Bartholdi construire une Statue de la Liberté au pied de laquelle l’on pourrait lire ce poème d’Emma Lazarus :

"Give me your tired, your poor,

Your huddled masses yearning to breathe free,

The wretched refuse of your teeming shore,

Send these, the homeless, tempest-tost to me,

I lift my lamp beside the golden door !"

"Envoyez-moi vos fatigués, vos pauvres,

Envoyez-moi vos cohortes qui aspirent à vivre libres,

Les rebuts de vos rivages surpeuplés,

Envoyez-les moi, les déshérités, que la tempête m'apporte,

De ma lumière, j'éclaire la porte d'or !"

La réponse est définitivement négative. Que ce soit en France ou aux Etats-Unis d’ailleurs.

Alors relisons nos philosophes. Ceux des Lumières bien entendu. C’est encore le trésor le plus précieux qui nous reste.

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