C'est une petite musique à laquelle les Catalans sont habitués. De manière récurrente et avec une régularité jamais démentie, leur langue, sa pratique, son enseignement et leurs médias reviennent au centre de l'actualité politique et médiatique espagnole. A la manoeuvre comme toujours, la droite et l'extrême droite, championnes d'un nationalisme espagnol qui, fidèle à ses vieilles habitudes, ne sait pas exister sans s'inventer un ennemi intérieur. Ainsi, comme c'est le cas à l'approche de chaque élection et à grand renfort de manipulations et même de fake news, le PP, Ciudadanos et Vox se livrent à leur traditionnelle surenchère mensongère au sujet de la langue catalane. C'est d'abord Pablo Casado, leader du PP qui prétend qu'en Catalogne des élèves auraient été empêchés d'aller aux toilettes parce qu'ils parlaient en castillan, sans jamais dire où et quand ces faits se seraient déroulés. C'est ensuite la présidente de Ciudadanos et pasionaria du nationalisme espagnol Ines Arrimadas qui affirme que la chaine catalane TV3 est une « machine de propagande » et enfin ce sont ces deux leaders qui unissent leurs voix à celle de leur allié et président du parti d'extrême-droite Vox pour dénoncer un soi-disant «apartheid linguistique» en Catalogne.
Comme souvent de ce côté-ci des Pyrénées, ces polémiques autour des langues minoritaires en Espagne sont mal comprises puisque envisagées à travers le prisme de leur réalité en France. Les problématiques autour du catalan ou du basque sont ainsi par exemple souvent comparées à celle du breton chez nous bien qu'évidemment rien ne soit plus faux et pour mieux comprendre l'ampleur de cette erreur, il suffit de répondre à une question simple « Au fait, c'est quoi le catalan ? »
Le catalan avec ses 10 millions de locuteurs est la 13eme langue européenne devant le bulgare, le danois, le croate ou le slovaque mais il n'est pas reconnu comme langue officielle de l'UE.
Le catalan est donc la langue co-officielle de la Catalogne avec le castillan, mais aussi selon l'Union Européenne celle des Iles Baléares et du Pays Valencien. En tout, elle compte plus de 10 millions de parlants, ce qui la place au 13eme rang des langues européennes sans toutefois que celle-ci ne soit reconnue comme une langue officielle de l'UE. En terme de locuteurs le catalan est par exemple plus parlé que le bulgare, le danois, le croate ou le slovaque et il existe en tout en Europe 11 langues reconnues officielles bien que moins parlées. En comparaison, le breton, que les commentateurs peu informés se plaisent à invoquer, ne compte plus aujourd'hui que 250 000 locuteurs. A ce stade, il convient de faire une pause pour revenir sur le nombre de catalano-parlants qui est un premier révélateur de la position de Madrid et de la droite espagnole en particulier vis-à-vis d'une langue dont ils nient la réalité. Ainsi, si pour les linguistes de l'UE il ne fait pas de doute que la langue du Pays Valencien est une simple variante du catalan, ce que chaque personne parlant le catalan peut vérifier dès le premier mot échangé avec un Valencien, Madrid quant à lui maintient qu'il s'agit de deux langues différentes. Un peu comme si en France Paris affirmait que l'occitan de Toulouse et celui de Montpellier étaient deux langues différentes. Une assertion qui serait ridicule mais qui en Espagne a des conséquences importantes puisque sous la pression de la droite espagnole la chaine de télévision catalane TV3 n'est plus diffusée dans la Communauté Valencienne depuis plus de 10 ans. Car le nationalisme espagnol ne s'y trompe pas, pour détruire une langue, puisque c'est bien de ça qu'il s'agit, il faut attaquer ses deux principaux véhicules, à savoir les médias et l'éducation.
Le nationalisme espagnol ne s'y trompe pas, pour détruire une langue, il faut attaquer ses deux principaux véhicules à savoir les médias et l'éducation.
En ce qui concerne les médias, à l'initiative du PP, les émetteurs qui permettaient la diffusion jusqu'à Valence de la chaine catalane ont été démantelés mais c'est loin d'être l'attaque la plus grave subie par le média catalan ces dernières années. En Catalogne, le CCMA (Corporació Catalana de Mitjans Audiovisuals) qui regroupe les médias en Catalan ( TV3 et Radio Catalunya entre autres) est en partie financé par la Generalitat de Catalunya. Dans le cadre de ce financement, la chaîne de télé était exonérée du paiement de la TVA et c'est précisément par ce biais que le Ministère des Finances espagnol dirigé par le ministre PP Cristobal Montoro a décidé d'attaquer. En exigeant le remboursement rétroactif de ces TVA non perçues, le pouvoir central a asséché les finances de la chaîne catalane et de toute la production audiovisuelle en catalan. Aujourd'hui TV3 reste la chaîne la plus regardée de Catalogne mais elle est exsangue financièrement. Elle a par exemple perdu les droits de retransmission de certains matchs du Barça et ne peut donc plus assurer leurs commentaires en catalan. Par contre, en proposant une lecture de l'actualité nationale depuis la Catalogne et en catalan, elle continue quasi quotidiennement d'être accusée d'endoctriner ses téléspectateurs. Une accusation particulièrement ironique quand on se souvient des affaires qui ont agité les chaines d'état espagnoles dont les journalistes se plaignaient de l'interventionnisme du pouvoir à travers le hashtag «asi se manipula».

Mais bien qu'outrancières, les attaques dont sont victimes les médias officiels de Catalogne sont surpassées par celles formulées contre le système éducatif public catalan. Un système qui obsède littéralement la droite espagnole qui, lorsqu'elle était au pouvoir a déclaré par la voix de son ministre de l'éducation de l'époque Ignacio Wert qu'il fallait « espagnoliser » les élèves catalans. Ce modèle d'enseignement, c'est depuis 1983 celui de l'immersion linguistique inventé au Quebec et dans lequel la majorité des cours sont en catalan tout en garantissant qu'à l'issue de leur scolarité les élèves soient bilingues et parlent aussi bien le catalan que le castillan. Un résultat qui est largement atteint puisque, si on en croit les évaluations réalisées par le Ministère de l'Education Nationale espagnol, le niveau en castillan des élèves de Catalogne est dans la moyenne nationale et même supérieur à celui des élèves d'Andalousie. Mais cela ne suffit pas à la droite et à ses alliés d'extrême droite. Ainsi, si les élèves catalans ont de bons résultats c'est que les tests sont plus faciles à Barcelone qu'à Séville pour le leader de Ciudadanos en Catalogne Carlos Carrizosas, dont le parti avait participé au lynchage médiatique des professeurs accusés par des parents d'avoir humilié les enfants de Guardia Civil à la suite des violences policières qui ont marqué le référendum du 11 octobre 2017. Deux ans après, le juge en charge de cette plainte a été obligé de reconnaitre qu'aucune charge ne pouvait être retenue contre des enseignants qui n'avaient fait que débriefer un épisode traumatisant pour leurs élèves. Mais pour C's, toujours à la recherche du buzz, le but recherché avait été atteint puisque cette affaire fabriquée de toutes pièces a été reprise par l'ensemble des médias nationaux espagnols. Les enseignants, dont les noms et photos ont été publiés sur ses réseaux sociaux par Albert Rivera, alors président du parti, ont été jetés en pâture aux médias et à la vindicte des militants nationalistes espagnols qui ont couvert de tags d'insultes les murs de leur école. Dans le même esprit et toujours contre l'école publique catalane, un nouveau pallier dans l'outrance a été franchi récemment par le PP, un parti qui bien qu'héritier assumé du franquisme et ayant plusieurs pactes en cours avec le parti d'extrême-droite raciste et xénophobe Vox, n'a pas hésité à comparer, dans un retournement délirant, la situation de ceux qui demandent le démantèlement du modèle éducatif catalan à celle des juifs sous le régime nazi! Si la droite se déchaine autant contre l'enseignement catalan ces derniers jours c'est parce qu'une famille de parents d'élève castillano-parlants a demandé et obtenu du Tribunal Suprême que 25% de l'enseignement de l'école où est scolarisé leur fils soit en castillan. Une première brèche qui pour les Catalans en annonce d'autres contre le modèle d'immersion linguistique. Même si pour l'heure la Generalitat a demandé aux professeurs Catalans de ne pas tenir compte de cette décision et a saisi la cour de cassation, Ciudadanos toujours aussi à l'aise quand il s'agit d'alimenter les polémiques et fidèle a sa stratégie de faire passer les agresseurs pour les victimes, instrumentalise déjà d'autres familles pour imposer la règle des 25% dans toutes les écoles de Catalogne.

Symbole d'une obsession délirante contre le modèle d'éducation catalan de la part du nationalisme espagnol, des enseignants sont traités de nazis pour avoir évoqué à la demande de leurs élèves les violences policières du 11 octobre 2017. Deux ans plus tard aucune charge n'a été retenue contre eux...Photo/Publico
Comme il est désormais de coutume, cette attaque suit le modus operandi déjà observé par le passé quand il s'agit de démocratie en Catalogne. La droite espagnole qui, tous partis confondus, n'occupe que 20 sièges sur 135 au parlement catalan (14%) et ne dirige que 2 mairies sur les 947 que compte la région utilise l'appareil d'état et un système judiciaire qu'elle sait en grande partie pencher de son côté pour contrer les décisions démocratiquement votées par la majorité des Catalans et de leur parlement. On l'a déjà vu lors de l'annulation par le Tribunal Constitutionnel du résultat du vote légal sur le statut de la Catalogne en 2010, on l'a vu aussi au sujet du dossier de la TVA de TV3, on l'a vu encore avec la parodie de procès contre les leaders politiques et associatifs catalans et on le voit enfin aujourd'hui avec cette décision contre l'immersion linguistique qui fait pourtant consensus au sein de la société catalane. Et si, vues de l'extérieur, la systématisation et la grossièreté de ces attaques contre le catalan de la part du nationalisme espagnol peuvent faire sourire, c'est bien au final de l'avenir de la 14eme langue la plus parlée d'Europe qu'il s'agit. Une Europe qui comme souvent reste molle et complaisante quand il s'agit de l'Espagne et de la problématique catalane. La commission européenne se contentant de demander en avril 2021 l'application de mesures législatives immédiates favorisant l'utilisation du catalan. Des recommandations qui, à l'image d'autres par le passé, resteront lettre mortes comme le souligne un rapport de l'ONG catalane Plataforma per la Llengua.
Il ne faut pas plus de 3 générations à un état mû par une volonté politique d'hégémonie culturelle pour venir à bout d'une langue minoritaire.
Pourtant l'UE dispose depuis 1998 d'une Charte de défense des langues régionales minoritaires et elle vient de reconnaitre le gaélique irlandais et ses 200 000 locuteurs comme langue officielle quand le catalan avec 10 millions de parlants ne l'est pas. Autre preuve flagrante qu'il n'existe aucune volonté à Madrid de protéger la langue catalane. Une langue qui, loin de s'imposer de façon autoritaire comme l'affirme la droite espagnole, recule lentement surtout chez les jeunes et dans les zones urbaines, Barcelone en tête. Comme beaucoup de Catalans, Jordi Cuixart le président d'Omnium Cultural se dit préoccupé pour l'avenir de la langue et a qualifié la nouvelle loi audiovisuelle approuvée par le gouvernement espagnol en novembre dernier d'estocade finale pour le catalan. Une inquiétude pour la langue catalane qui va dans le sens des conclusions de Guillaume Jacques chercheur au CNRS qui prévoit la disparition de 50% des 7000 langues existantes sur la planète d'ici à la fin du siècle. Ce même chercheur démontre avec l'exemple du breton qui trouve cette fois une résonance avec la situation du catalan qu'il ne faut pas plus de 3 générations à un état mû par une volonté politique d'hégémonie culturelle pour venir à bout d'une langue minoritaire.
Les Catalans du sud le savent et voient le destin qui a été celui de leur langue en France tout comme l'état de cette dernière aujourd'hui en Catalogne nord. Ces même Catalans constatent jour après jour qu'en Catalogne la loi n'est pas appliquée et que dans les services de santé,de justice...etc...Le bilinguisme pourtant officiel n'est pas respecté. Ils ont aussi conscience que, dans un monde où elles occupent une place de plus en plus importante dans la vie des gens, l'absence de volonté de la part des plateformes de réseaux sociaux et de streaming à proposer des contenus en catalan est un recul pour leur langue puisque le castillan est imposé de fait à tous les usagers Catalans. Un recul dont témoignent déjà les statistiques et qu'ils peuvent mesurer en temps réel quand au quotidien on leur répond de plus en plus souvent en castillan alors qu'ils s'adressent à leur interlocuteur dans leur langue natale. On comprend mieux alors leur désir d'indépendance qui, au-delà des considérations politiques et économiques, est celui pour les Catalans de sanctuariser une langue sous le feu constant du pays censé la protéger et qu'ils ne se résigneront jamais à voir disparaître.