Fritz était un homme ouvert à la modernité. Une des premières gazinières fonctionnant au butane, première sonnette électrique, première pendule à coucou et premiers ouaters à l'intérieur de la maison, dans le placard à balais que Fritz a invités à déménager. Ces progrès spectaculaires sont entrés chez lui par l'entremise de sa fille qui avait épousé un citadin et était de ce fait partie vivre à la ville. La ville était, en ces temps, synonyme de modernité et de progrès.
Fini le lever à cinq heures du matin pour ranimer les braises du fourneau à bois afin de chauffer de l'eau pour la toilette et le café. Fini les allées et venues de la cuisine à la pièce à vivre, comme on l'appelait encore, pour consulter la Comtoise dont le mouvement du balancier rythmait la journée, fini de guetter les angélus qui pointaient l'aube, la mi-journée et le crépuscule. La pendule à coucou était dans la cuisine au-dessus de la table et son oiseau en bois jaillissait comme un diable de son chalet en bois verni à chaque heure pleine, en faisant...Cou-cou. Trois fois à trois heures du matin et à quinze heures, cinq fois à cinq heures du matin et à dix-sept heures et douze fois à midi et à minuit.
La pendule à coucou encore appelée le Coucou suisse n'avait d'helvète que son nom. La fille de Fritz l'avait ramenée de son berceau en Forêt-Noire où quelques paysans oisifs en hiver avaient trouvé un moyen utile pour s'offrir quelques revenus supplémentaires. Plus récemment, Gérard Oury n'a pas pu résister au plaisir de mettre un coucou avec salut nazi dans un de ses films. Ainsi dans L'as des as, Jean-Paul Belmondo en a la mâchoire sur les genoux à l'heure pleine.
Les gamins que nous étions se rassemblaient comme par enchantement devant la porte d'entrée de la maison de Fritz, de préférence peu avant midi pour ne pas rater l'heure à laquelle le coucou chantait le plus longtemps. Pour que Fritz ne nous oublie pas, l'un d'entre nous appuyait sur le bouton de la sonnette électrique en laissant le bouton bien enfoncé jusqu'à que la porte nous soit ouverte. Fritz avait beau nous expliquer qu'une pression légère était largement suffisante et qu'il l'entendrait, nous ne nous lassions pas du cri strident de sa sonnette. De toutes les façons, si le préposé à la sonnerie retirait son doigt prématurément, il y avait une véritable bousculade pour qu'un autre le relaie. D'ailleurs, très vite le chant du coucou de la pendule perdit de son attrait et la sonnette électrique devint notre véritable centre d'intérêt.
Nous envoyions l'un d'entre nous à la sonnette pendant que les autres s'embusquaient derrière un muret pour rire de la colère de la victime et jouir de ce qu'il faut bien qualifier de harcèlement. A ce petit jeu, nous ne nous lassions jamais jusqu'à ce que notre ami Fritz décide de débrancher la sonnette électrique pour en revenir au bon vieux marteau de porte. L'âge bête, me direz-vous, peut-être simplement un besoin jamais assouvi de nous trouver de nouvelles distractions, mais surtout notre ingratitude envers l'Ami Fritz qui nous avait si amicalement accueilli au pied de sa pendule.
Fritz avait également fait installer des waters-closed, autrement dit un lieu d'aisance pour faire la grande et la petite commission bien au chaud et confortablement assis sur ce que certains appelleront plus tard le trône. Du carrelage au sol et jusqu'à mi-hauteur des murs, une cuvette en céramique d'un blanc immaculé. A ses côtés, un broc à eau servait de chasse d'eau manuel. Plus tard, un réservoir d'eau alimenté par une conduite d'eau en cuivre remplacera ce premier dispositif d'évacuation. La vidange très bruyante sera actionnée par une chaînette se terminant par une poignée en bois verni. Quant à la destination finale de ce que la chasse-d'eau évacuait, rien n'avait changé. Un conduit partiellement enfoui reliait la cuvette à une excavation qui tenait plus du puisard que de la fosse septique. Nous étions encore loin du tout-à-l'égout et les évacuations d'eaux usées ou des eaux pluviales relevaient de toutes les improvisations.
La cuvette des ouaters de Fritz avait une particularité dont je ne pris conscience que des décennies plus tard. La crotte ne tombait pas dans l'eau en faisant « clouc » mais restait posée sur une plateforme. C'est le propre des cuvettes en usage en Allemagne et en Alsace alors qu'en France la crotte tombe, coule et se noie. C'est sans doute qu'en Alsace et en Allemagne on aime admirer ce qu'on fait alors que le Français a peut-être l'étron honteux ou beaucoup plus simplement que le concepteur de l'ustensile voulait que l' auteur de la crotte ait ainsi la possibilité de l'examiner à loisir, même à la spatuler, s'il pensait avoir découvert quelque chose de suspect.
Les W-C de Fritz étaient devenus non seulement un sujet de conversation mais avait également fait l'objet de visites guidées du voisinage comme l'avait été sa pendule à coucou pour les enfants un peu plus tôt. Aucune démonstration, ni utilisation n'étaient cependant prévues pendant les visites, chacun retournant en cas de besoin pressant dans le cabanon surmontant des toilettes sèches au fond de son propre jardin.
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Planche pédagogique que les Editions Rossignol ont consacré à ce qui était devenu une avancée considérable sur le plan de l'hygiène et de la prévention sanitaire dans les villes où la satisfaction des besoins dits naturels se faisaient en pleine rue et où les "vases de nuit" déversés, au petit matin dans le caniveau, restait un usage répandu. Cette planche était probablement très utilisée dans les écoles ménagères que fréquentaient les jeunes filles après la scolarité obligatoire et dans les Cours post-scolaires auxquels étaient assujettis les garçons du même âge, en soirée, après le Certificat d'Etudes primaires.
Présentation d'un dispositif nouveau, explication de son fonctionnement pour en faire la promotion et en assurer la diffusion étaient les buts recherchés. Les énormes quantités d'eau que requéraient ces toilettes d'un genre nouveau n'étaient pas encore dans les préoccupations, la seule préoccupation était le confort et me dernier chic, accessoirement l'hygiène. Les toilettes dites sèches en vigueur jusque là dans les campagnes devaient disparaître peu à peu pour retrouver un regain d'intérêts plus récemment à fins d'économiser l'eau.