« Le temps n'est pas à l'enfouissement local, il est à la bagarre nationale sur une ligne catégorique de rupture avec les politiques gouvernementales. En période de crise politique, c'est celui qui est clair et déterminé qui entraîne. Cela a été la force de la campagne de Jean-Luc Mélenchon pour la présidentielle. C'est la perte de cette ligne claire qui fragilise le Front de Gauche aujourd'hui. »
Telle est la conclusion d'un éditorial de Martine Billard, co-présidente du Parti de Gauche, en date du 9 octobre. (C’est moi qui souligne.)
Dans le même état d'esprit, je vous invite à méditer ces trois commentaires que je trouve judicieux (les mises en gras sont de moi), placés sous le dernier billet de Jean-Luc Mélenchon, Brignoles : les nuls :
« Où est la "force" de quelque parti que ce soit, lorsque nous parlons d'un taux d'abstention à 75% ? ! Le PS est "maudit" par nos compatriotes, tous ceux qui s'allieront avec lui seront éclaboussé-e-s de ces imprécations et de cette douleur d'un peuple qui se sent trahi et floué depuis trop longtemps, et surtout depuis 2005 (le "NON" massif au projet bidon de constitution européenne !). Les gens de gauche avaient prévenu, moi, en tous cas, je les avais bien entendus : la prochaine fois qu'on sent "qu'il y a un loup" dans des "alliances électorales", on votera blanc, nul ou abstention ! Donc les électeurs de gauche, déçus une fois de plus, une fois de trop, se sont abstenu. Ça n'est pas le FN qui a tant gagné, en voix, non : c'est (encore !) l'abstention, une abstention DE Gauche : le découragement, la démobilisation, le manque de perspectives, d'espoir, d'avenir à gauche, de CONFIANCE dans les élu-e-s de "gauche" ! Dans le même panier les élus PS, EELV, et FdG ! Leur avons-nous, jusqu'à présent, donné de véritables gages que nous ne nous rallierions pas à cette soit-disant "sociale"-, en réalité libérale, - "soit-disant - "démocratie" ?! Non, nous leur avons laissé penser, au contraire, que nous ne serions qu'un réceptacle récupérateur de voix pour le PS au 2d tour ! A cause de l'appel au vote F Hollande sans réserve au 2d tour de la Présidentielle et des atermoiements depuis ! Nous avions suivi, sans illusion ("joie plate"), sur le vote Hollande, mais nous nous sommes promis, au cours de l'année qui s'en est suivie, et au fil de toutes ces lois cruelles et de casse sociale, que PLUS JAMAIS le vote PS : et cette fois, les gens ont tenu parole et vont continuer à se défier du FdG à cause de cette "menace" PS dont ils/elles ne veulent plus ! Car, nous, électrices/électeurs de gauche, de vraie gauche, on n'en peut plus du poids des menaces et chantages électoraux perpétuels du PS qui nous traite en ennemis ! »
« Résumons la situation :
Le parti solférinien veut casser le Front de gauche
Manuel Valls cajole l'électorat populaire du FN
La direction du PCF vole au secours du parti solférinien au bord de la déconfiture électorale
Les militants du PCF dans leur grande majorité s'opposent à cette dérive
La firme directoriale d'EELV restera au gouvernement et dans l'alliance solférinienne jusqu'aux élections
Le Front National se renforce du discours de la "gauche du travail" (Soral)
Jean-Luc Mélenchon maintient le cap de la révolution citoyenne anti-libérale
Les électeurs s'abstiennent en masse...
Conclusion : la désintégration menace de toutes part. Un parti de type nouveau à gauche doit surgir de cette crise »
« Quant à mes camarades communistes, militants DE BASE, beaucoup sont pour l'autonomie, et regrettent les tractations des élus en place. L'une d'elles me disait hier "il vaut mieux perdre quelques places, et se démarquer", en effet, c'est l'occasion de faire connaître nos idées, d'engager un vrai débat, de montrer notre opposition à la politique du gouvernement, j'en ai marre que l'on me dise sur les marchés "Vous avez voulu Hollande, vous l'avez", je ne veux plus de cet amalgame qui nous plombe ! »
Nous sommes inaudibles. À cause de l’omertà de la presse. Mais surtout faute de nous séparer clairement de la meute des européistes libéraux des deux partis “de gouvernement”. (Meute à laquelle appartient le FN. Ce qui ne l’empêche pas de prétendre le contraire. L’absence permanente du FN dans les luttes syndicales et sociales parle avec éloquence pour son libéralisme économique. Mais passons : je ne vais pas énumérer les incohérences de son programme, largement tributaire de la pensée Philippot, l’homme venu de la gauche “scro-gneu-gneu” – Chevènement – avec, dans son bagage, tous les “copié-collé” de bribes de programmes de gauche...)
Notre position sur l’UE et l’euro – la position du Parti de Gauche – est totalement inaudible.
Ne laissons pas accroire aux Français que la firme Le Pen est le seul parti à prôner la sortie de l’UE et de l’Euro (oui, il y a aussi Dupont-Aignan, mais il penche de plus en plus gravement vers l’extrême-droite ; il y a Asselineau, lui aussi plutôt de droite, selon moi, mais qui le connaît ?).
“Une ligne claire”, préconise Martine Billard. Alors, où en sommes-nous de cette question cruciale de l’UE et de l’euro ? De l’eau a coulé sous les ponts depuis Nous on peut de Jacques Généreux (qui reste cependant beaucoup plus ouvert dans ses scenarii que la pensée prête-à-porter qu’on nous assène d’en haut dans ce parti qui se voulait neuf mais qui est rongé par le hiérarchisme et l’arrivisme)... Le rôle de la BCE a été basculé à 180°. Pour mieux renflouer les banques à nos frais ! Qui peut imaginer une seconde que les marionnettes de la finance qui grouillent à la commission européenne, à la BCE même, au FMI, les trois Parques de la merveilleuse Troïka bien connue des Grecs, sont prêtes à s’asseoir à nouveau sur les traités, mais au profit des peuples d’Europe ? Non, les coups de canif aux traités, c’est pour, et seulement pour le bénéfice du 1% !
Mais notre logiciel n’a pas été mis à jour. C’est la confusion qui règne. Juste un exemple, tiré de la littérature interne au PG, dont la source importe peu, puisque ce sont des idées largement diffusées dans notre parti :
« On va donc vers une crise politique en Europe, la question est de défaire cette Europe (mais non d’en sortir, ni de sortir de l’euro), de désobéir en s’appuyant sur la souveraineté populaire: se préparer à des échéances de révolution citoyenne, de rupture, porter clairement cette alternative à gauche qui redonne espoir. »
« Défaire cette Europe, mais non en sortir, ni sortir de l’Euro »... Qui peut entendre, comprendre une telle posture !? Qui peut croire qu’une quelconque souveraineté populaire soit encore possible entre le marteau de la bureaucratie non-élue européenne et l’enclume des institutions monarchiques de la Ve République ?
Sur l’euro, je rappelle cette analyse de Frédéric Lordon (Le Monde diplomatique, août 2013) :
« Beaucoup, notamment à gauche, continuent de croire qu’on va changer l’euro. Qu’on va passer de l’euro austéritaire présent à un euro enfin rénové, progressiste et social. Cela n’arrivera pas. Il suffirait d’évoquer l’absence de tout levier politique en l’état d’incrustation institutionnelle de l’actuelle union monétaire européenne pour s’en faire une première idée. Mais cette impossibilité tient surtout à un argument beaucoup plus fort, qui s’exprime à la manière d’un syllogisme.
Majeure : l’euro actuel procède d’une construction qui a eu pour effet, et même pour intention, de donner toute satisfaction aux marchés de capitaux et d’organiser leur emprise sur les politiques économiques européennes. Mineure : tout projet de transformation significative de l’euro est ipso facto un projet de démantèlement du pouvoir des marchés financiers et d’expulsion des investisseurs internationaux du champ de la construction des politiques publiques. Ergo, conclusions : 1. Jamais les marchés ne laisseront s’élaborer tranquillement, sous leurs yeux, un projet qui a pour évidente finalité de leur retirer leur pouvoir disciplinaire ; 2. Sitôt qu’un tel projet commencerait d’acquérir un tant soit peu de consistance politique et de chances d’être mis en œuvre, il se heurterait à un déchaînement de spéculation et à une crise de marché aiguë. »
Or, autant il serait impossible, en admettant que les blocages institutionnels soient levés, d’orienter l’euro monnaie unique vers le service des peuples sans qu’il soit immédiatement attaqué par la spéculation, autant sortir de l’euro, repasser à une monnaie nationale, peut se concevoir comme une manœuvre secrète, réalisable en un week-end, suivie évidemment d’une dévaluation moins catastrophique que ce que nous représentent les européistes intégristes. Sur ce point, je renvoie au blog de Jacques Sapir.
Va-t-on longtemps continuer à croire – et à espérer faire croire – que faire des moulinets avec un sabre en bois contre des gens qui travaillent à la fois dans la dentelle (permanente propagande médiatique du TINA, manipulation d’un personnel politique acheté) et à l’arme lourde (lobbyisme intensif, et promulgation de lois constamment favorables aux oligarques, sous couvert de l’intérêt public) peut nous rallier des suffrages et nous conduire à la victoire ?
Quant à la souveraineté populaire, devons-nous avoir honte d’afficher nos idées de gauche, au prétexte qu’elles auraient été souillées par l’emprunt – le vol ! – forcé du Front national ? Il faut les repenser, les reformuler, leur redonner substance et vie, aux antipodes d’éléments de langage qui se constituent presque instantanément en langue de bois, répétés qu’ils sont comme des mantras (je vise là, en particulier, les “radicalités concrètes” dont on nous rebat les oreilles au PG, jusqu’à ce que, sucés et resucés ad nauseam, ces mots ne veuillent plus rien dire...). Mais là encore, Frédéric Lordon a déjà tout formulé (Ce que l'extrême droite ne nous prendra pas) mieux que je ne saurais faire, en particulier cette piste : « il pourrait être utile de commencer par montrer en quoi un souverainisme de gauche se distingue aisément d’un souverainisme de droite, ce dernier se concevant généralement comme souveraineté “de la nation”, quand le premier revendique de faire droit à la souveraineté “du peuple”. »
« On fait grand bruit d’un Front national à 25 %, mais sans jamais vouloir se demander si ce niveau – en effet alarmant ! – n’aurait pas quelque chose à voir, et même d’assez près, avec la destruction de la souveraineté, non comme exaltation mystique de la nation, mais comme capacité des peuples à maîtriser leur destin. » (Lordon, Monde diplo, août 2013)
Alors ? que faisons-nous, maintenant, à gauche ?