Les cousines du lièvre. (Le genre… encore !)
Le génétique, l'inné, contre le social et l'acquis : vieille ligne de partage entre l'individu responsable de tout et la société de rien, qui caractérise la droiteet la gauche pour laquelle, se sont des gens de droite, ricanant, finement croient-ils, quile colportent : l’individu qui ne serait responsable de rien, et la société de tout. Le « tout génétique » est pourtant une impasse tout aussi évidente que le « tout social », bien que ce dernier autorise, au moins, à se pencher sur les conditions matérielles permettant de remédier à une éventuelle « fragilité » de l’individu. La société, en effet, n’est pas une juxtaposition d’individus génétiquement prédéterminés, et la vie de chacun ne s’inclut pas dans un casting gravé dans le marbre comme semblent le croire les marcheurs de la manif pour tous.
Ils sont tous allés à l’école mais ils ont oublié Montesquieu, proposant, dans De l'esprit des lois, d'appliquer une méthode inductive et comparative à l'analyse des systèmes politiques, afin d'en dégager les lois ? Qui ignore, en tous les cas, qu’il y déclarait : « J'ai regardé les choses, et j'ai vu qu'elles n'étaient pas mues par leur simple fantaisie. J'ai posé les principes, et j'ai vu les cas particuliers s'y plier comme d'eux-mêmes. » ? La culture, c’est ce qui reste dans l’esprit quand on a tout oublié » affirmait, dit-on, Edouard Herriot. Oubliés, donc, Saint Simon, Tocqueville, Auguste Comte, Lévy-Bruhl, Durkheim, Max Weber. Enterrés Lévi-Strauss, Foucault, Bourdieu, Beauvoir, avec son deuxième sexe, Elisabeth Badinter pour qui l'amour maternel n'aurait rien de naturel ni d'instinctif (L'Amour en plus. Histoire de l'amour maternel XVIIe-XVIIIe siècle, 1980), et tous les autres !..
Le concept de « genre » est aujourd’hui l’objet de nombreuses études qui le définissent, non pas comme un attribut des personnes, mais comme une modalité des relations, choisie par la société. La première, sans doute, à se passionner sur ce sujet, dans les années 1930, est une ethnologue, Margaret Mead, qui étudie les rôles assignés aux individus selon les sexes. Dans son ouvrage Mœurs et sexualité en Océanie, elle montre que les relations entre les hommes et les femmes sont tellement variables, d'une société à une autre, qu'elles ne peuvent qu'être déterminées par des facteurs culturels et non naturels. Dans cette œuvre méthodique, Margaret Mead nous fait partager le quotidien de ces tendres Arapesh, des féroces Mundugumor, des calmes Samoans et de ces Chambuli chez qui hommes et femmes ont échangé leurs traits caractériels. Elle témoigne ainsi que certaines cultures inversent le rapport des valeurs masculines et féminines qui prévaut dans la civilisation occidentale (douceur/agressivité, activité/passivité, sensibilité/rationalité...), et démontre que le masculin et le féminin ne sont pas une distinction universelle, que la principale vertu de l'ethnologie est de faire prendre conscience de la relativité des mœurs humaines.
Freud, lui-même, s’engage sur le terrain de l’anthropologie. De Totem et Tabou qui date de 1912, à Moïse et le monothéisme écrit en 1939, il témoigne, quoi que certains en disent, de la possibilité de fonder les disciplines psychologiques sur une conception de l’homme qui s’articule sur une appréhension scientifique de l’Histoire. Il affirme, au surplus, que la civilisation offre la possibilité d’obtenir de chaque nouvelle génération une nouvelle transformation des « penchants », condition d’une civilisation meilleure.
C’est ainsi que le concept de gender ("genre") apparaît aux Etats-Unis, dans les années 1950, dans les milieux psychiatriques et médicaux. En 1955, le psychologue américain John Money parle, pour la première fois, des "gender roles". En 1968, le psychiatre et psychanalyste Robert Stoller utilise quant à lui la notion de "gender identity" pour étudier les transsexuels, qui ne se reconnaissent pas dans leur identité sexuelle de naissance. De leurs recherches, ils concluent, comme les sociologues, ethnologues, anthropologues, qui se penchent sur le sujet, qu'il n'existe pas une réelle correspondance entre le genre (masculin/féminin) et le sexe (homme/femme). Quant-au philosophe français, Michel Foucault, articule le genre au pouvoir, au droit de la famille, des successions, lié à l'analyse de la sexualité et, donc, de ses normes sociales. La différence sexuelle n’est pas en cause, mais son expression sociale dans différentes cultures.
La génétique, elle-même, si elle n’en est encore qu’à ses premiers balbutiements, prête également main forte à la sociologie. Pourtant, l’idée fausse que le génome serait fixe dès l’embryon et ne se modifierait plus tout au long de la vie est largement partagée par l’ensemble de la population et particulièrement par les manifestants « pour tous ». Les spécialistes savent ainsi que, sous l’influence de facteurs externes, le programme génétique se transforme au cours du temps ! Ce caractère est particulièrement remarquable dans la diversification des gènes des immunoglobulines ou anticorps. Les cellules de notre système immunitaire sont en effet capables de produire des anticorps contre des molécules synthétiques fabriquées en laboratoire, et qui n’existent pas dans la nature. Cette adaptabilité ne peut pas s’expliquer par la présence d’un nombre infini de gènes codant un nombre infini d’immunoglobulines. Elle est due à un réarrangement entre les gènes qui codent les parties variables des immunoglobulines et ceux qui codent les parties constantes. On a pu ainsi calculer que le nombre possible d’immunoglobulines diverses élaborées est d’environ 1012… Or ce chiffre est bien supérieur au nombre d’anticorps différents que l’on peut trouver chez un homme à un moment donné, qui est de l’ordre de quelques millions « seulement ».
Le génome n’est donc pas aussi statique qu’on a pu le penser. Il marque au contraire l’instabilité de l’héritage parental dans la vie d’un individu ! Il ne s’agit pas du tout de mutations mais d’adaptabilité, de mobilité, et tout simplement : de vie. La formule chromosomique de Monsieur Coppé est sans doute bien XY. Hélas ! Dans l’état actuel des recherches, la plupart des homosexuels des deux genres ne présentent aucune anomalie génétique. Ainsi, précise le médecin biologiste Jean-Claude Ameisen, président du comité d'éthique de l'Inserm et membre du Comité consultatif national d'éthique : « Tous les progrès actuels dans la connaissance des relations entre l'inné et l'acquis, la nature et la culture, montrent qu'il y a des interactions réciproques et continues entre les gènes et l'environnement, et que ce sont ces interactions qui participent à la construction progressive d'un enfant et d'une personne. Et le premier environnement dans les collectivités humaines, ce sont les autres ! » C’est dire que l’identité et les comportements futurs d’une personne ne peuvent être inscrits dans ses gènes dès la conception, ni lisibles dès la naissance. Pas plus pour la pédophilie que pour la tendance au suicide. Dans tous ces cas : « Le préjugé répandu d’une causalité réductrice et unidimensionnelle n’est justifié par aucune donnée scientifique », insiste M. Ameisen. Axel Kahn, ex-directeur de l’Institut Cochin, renchérit : « Je ne connais personne qui ait jamais prétendu qu’on était pédophile de père en fils. Cela ne veut pas dire que la constitution et les gènes n’interviennent pas, peut-être, d’une manière que l’on ignore encore. Mais certainement pas sous la forme d’un déterminisme créant des familles de pédophiles. » Autrement dit : en aucun cas on ne peut « naître » pédophile.
Ainsi, compte tenu de ce que l’on sait du rôle du milieu extérieur sur le développement de l’intelligence, particulièrement des perturbations d’ordre affectif remontant à la prime enfance, ou de la pauvreté du milieu socioculturel, l’importance de l’hérédité se réduit comme une peau de chagrin et l’on ne peut présenter une éventuelle fragilité de terrain comme le seul élément à prendre en compte. La communauté scientifique s’accorde désormais à penser que la génétique, pour agir sur l’être humain et plus encore sur ses comportements, n’intervient que de façon très complexe, et en étroit rapport avec l’environnement.
Alors que les domaines de la sociologie sont ceux de tous les phénomènes sociaux, l’installation durable d’une pensée unique, d’une culture unique, étendue à toute la planète, menace l’existence même des sciences humaines. Déjà le gouvernement de M. Sarkozy a réduit l’enseignement de l’histoire, dans les lycées, à une mémoire de dates : 732 ? 1515 ? Tu seras un singe savant mon fils ! Quant à l’autonomie des Universités de Mme Pécresse, avec l’entrée dans leurs conseils d’administration de personnalités civiles, responsables économiques, il est probable qu’elles orienteront leurs efforts dans le sens utilitaire indiqué par ces derniers, et moyennant, inévitablement, un parrainage sonnant et trébuchant. Pour la Droite et l’Extrême Droite, l’Etat n’existe que pour faire appliquer les Lois de la nature, c’est-à-dire des « forts », de quelques dynasties d’industriels et de financiers à l’ADN si particulier ! M. Alain Minc nous avait d’ailleurs prévenus, il y a quelques années : La démocratie n’est pas l’état naturel de la société, le marché, oui… Voilà bien pourquoi MM. Copé, Guaino et consorts, marchent, eux aussi, « pour tous » : rien ne vaut une une conception religieuse de la politique alliée à une conception politique de la religion : l’intégrisme !
Il apparaît ainsi au descendant du pithécanthrope que je suis, et en ces temps de pseudo disette intellectuelle, que la « Nature » redevient très à la mode et parraine la pensée unique, mystique inespérée qui résulterait de la fin des idéologies et de l’Histoire elle-même, issue, comme magiquement, des gravats poussiéreux du mur de Berlin. En effet, si trois périodes se succèdent bien dans l’histoire du développement des sociétés : l’état théologique qui correspond à une ère où l’esprit angoissé, qui a besoin de réponses, ne serait-ce que face aux événements météorologiques, est dominé par la croyance religieuse et la superstition ; l’état métaphysique où l’esprit explique tous les phénomènes à l’aide de représentations et de notions abstraites ; et l’état positif où la notion de « loi » remplace les explications abstraites de la métaphysique… la "modernité" semble aujourd’hui vouloir nous reléguer aux deux premiers stades. Nous voici donc fixés sur la nature de cette Nature qui tente de nous étreindre de ses ailes diaphanes… pour, en fin de compte… nous étouffer. En prétendant refaire de la nature le fondement de nos comportements humains, le biologisme chrétien renoue avec une métaphysique dogmatique moyenâgeuse. Selon la genèse, en effet, Eve fut chassée du paradis originel par un Dieu furibond : « J’aggraverai tes labeurs et ta grossesse et tu accoucheras dans la douleur… La passion t’attirera vers ton époux, et lui te dominera. » Saint Augustin, lui-même, définit « la » femme comme « …une bête qui n’est pas ferme, ni stable, haineuse… la source de toutes les querelles et injustices. » Telle est la vraie motivation des manifestantes « pour tous » : réaffirmer qu’elles tiennent à demeurer, ad vitam aeternam, au même titre que le cousin du lièvre pour les marins, le symbole du mal !
Mais voilà : l’égalité entre hommes et femmes figure au plus haut niveau juridique du traité constitutionnel européen, dans son article I-2, qui définit les valeurs de l’Union, de même que dans son article I-3, qui précise les objectifs. L’article II-83 de la charte des droits fondamentaux, intégrée dans la deuxième partie de la constitution, stipule également : L’égalité entre les femmes et les hommes doit être assurée dans tous les domaines… Faut-il, alors, mettre en place la parité de façon autoritaire, quitte à sembler sous-entendre que l’incompétence des femmes est aujourd’hui réelle, et l’usurpation, dans ce cas, de leurs fonctions ? Ou bien ne vaut-il pas mieux, en amont, expliquer aux bambins l’égalité des facultés entre les petites filles et les petits garçons ? Sans doute les deux, mon général !
Avecla connaissance apparaissent toujoursles réticences, les obstacles, les bobards, la calomnie, le tumulte. Mais aussi des forces jusqu'alors discrètes et, avec elles, le mouvement, qui est celui de l'histoire. Ainsi en a-t-il été de l’école laïque, de la mixité à l’école, de l’interruption volontaire de grossesse, par exemple. Il dépendra aussi de ces forces que les contradictions se résolvent et que soient récusés l’immobilisme et l’obscurantisme. Mais la caravane passera ! Une vie est un remaniement constant, biologique, affectif, social et culturel, un mouvement, une conquête, permanents, jamais fixés d’avance. Ni nos gènes ni notre milieu d’origine, ni Dieu, même, ne nous interdisent d’évoluer…
Bachelard, à qui l’on demandait à quoi servait la philosophie, répondait : « Elle sert à penser – un silence puis, visiblement gêné – si vous n’avez pas besoin… GR.