Charlie manipulé
Le sociologue Emmanuel Todd, dont l’excellent ouvrage « Qui est Charlie ? » (ed. du Seuil) a fait polémique parce qu’il montre la diversité des motifs des participants aux grandes manifestations du 11 janvier 2015 contre les attentats djihadistes qui ont endeuillé la France. Comme s’il était saugrenu de poser la question! Selon son étude, la plus forte proportion des manifestants était composée de membres de la classe moyenne, de vieille éducation catholique, et âgée de plus de trente ans, la présence des jeunes et des habitants des banlieues populaires étant quasi nulle. Pour Pierre-Yves Baudot, (La vie des idées, 15 septembre 2015) écrivait que : « Pour se tenir et pour tenir, le consensus doit réussir à préserver le plus grand flou sur ses raisons d’être, en recourant à des formules extrêmement larges, indéfinies et indéfinissables… Pour se déployer, le consensus fonctionne sur l’évitement : ne surtout pas spécifier ce pourquoi marchaient exactement les participants aux défilés du 11 janvier ». Selon un sondage d'Harris Interactive, lui aussi sacrilège, le motif le plus partagé pour participer aux manifestations des 10 et 11 janvier 2015 était de vouloir « défendre les valeurs fondamentales de la République [non précisées dans la question], notamment le respect de la liberté d'expression », 81% étant tout à fait d’accord avec cette proposition. Et les 20% restant ?.. L'historien Pierre Nora compare cette « marche » à d'autres « événements fusionnels, conjuratoires, et porteurs de contradictions dont la France est spécialiste » (Libération, 20 janvier 2015). Pourtant, dérogeant aux habitudes, il n’a été nulle part souligné, et commenté, que Marine Le Pen manifestait à Beaucaire, dans le Gard, dont le maire est FN, et qu’elle profitait de cette magnifique « occasion » pour dégurgiter sa propagande xénophobe et revendiquer, suivant le vieil adage barbare : « œil pour œil… », le rétablissement de la peine de mort. Ses motifs, à elle, étaient sans doute trop explicites.
Paradoxes et contradictions : le flou devait être, délibérément, entretenu, laissant entrevoir une équivalence entre « participer » et « adhérer », l'incertain étant interprété à leur guise par les acteurs de la vie politique, de tous bords, comme si tous voulaient, une nouvelle fois, nous convaincre que les notions de Droite et de Gauche étaient, décidément, obsolètes.
GR.