La Ministre du Travail semble bien à la peine ces temps ci. Son projet de loi modifiant le Code du Travail fait l'objet d'un feu roulant d'opposition, à un point tel que son adoption semble compromise. Une multitude d'arguments ponctuels, le plus souvent techniques, sont avancés, expliquant une telle opposition.
Alors que de profondes modifications des relations de travail, bouleversant le marché du travail, semblent indispensables, voire inéluctables, un mystérieux plafond de verre semble entraver toute modification.
Pourquoi ? Si j'en avais les compétences, je pourrais moi aussi analyser, décortiquer ce texte, et jauger ses caractéristiques favorables aux uns (les employeurs), ou aux autres (les employés), le situer sur une échelle gauche-droite, et ainsi de suite.
Ce n'est pourtant pas là que, selon moi, se situe la cause majeure de ces entraves.
La vie publique, politique, voire institutionnelle de notre pays comporte une partie connue, visible, mettons ici les relations de travail. Mais également une autre partie plus obscure, secrète, tue et par tant mystérieuse. Je la situe dans les relations étranges que notre pays a noué avec la sphère du fonctionnement de "l'Etat", puissance bien réelle, fortement organisée et défendue, qui forme comme une couche à la fois protectrice et amortissante, mais aussi rigide et contraignante, entre le choix démocratique et l'action publique réelle. Une partie de la cohérence de cet appareil, lui même organisé en sous-couches diverses, tient à quelques caractéristiques : justice particulière et réservée, lien particulier de l'emploi (dont la fonction publique), pouvoir institutionnel (dont la mainmise sur le vase champs du pouvoir réglementaire) et enfin permanence.
Le pacte social français est fondé sur ce rapport particulier, dont le caractère obscur et caché est fondamental.
Pour revenir aux relations de Travail dans la partie du monde extérieure à cette sphère, ce même pacte social secret exige qu'elles soient proportionnées aux relations de Travail régnant à l'intérieur de la sphère. Il existe une relation de proportionnalité entre les conditions de l'emploi "privé" et celles de l'emploi "public", ce qui, bien entendu, n'apparaît formellement nulle part. Le gouvernement pense pouvoir modifier les unes sans modifier les autres, et donc rompre cette proportionnalité, ce qui est tout simplement impossible, car risquant d'amenet une rupture du pacte social général.
Ce qui vaut pour cet aspect de "la politique" vaut pour tous les autres : le rapport mystique secret et caché que notre pays entretien avec son appareil d'état empèche absolument toute modification de la partie émergée, visible, sans modification de sa partie immergée, cachée. Mais celle ci fait la moule sur sà rocher.
L'impuissance de notre actuelle République, la 5° en deux siècles, qui ont vu notre pays se doter en outre de deux monarchies et de deux empires, sans compter l'Etat de Pétain, me semble ressortir tout à la fois de la faiblesse politique face à la cohérence croissante sur cette même période de deux siècles de la Sphère organisée de l'appareil d'Etat, et de l'enfouissement également croissant de cette dernière, qui fait que sa présence, et sa responsabilité dans notre destin national sont chaque fois davantage cachées, séquestrées, et donc hors de portée politique.
Notre démocratie est pour l'heure cruellement dépourvue de possibilité d'action vis à vis de la sphère organisée de l'Etat, puisqu'elle en est réduite à choisir entre des alternatives toutes fondées sur le respect d'un pacte bicentenaire, et même en ce qui concerne Mme Le Pen, qui aurait, elle aussi, à s'y soumettre (ou à se démettre), qu'elle le sache ou fasse mine de l'ignorer.
Qui aurait jamais le courage de proposer la modification de cet étrange système, bref de "faire de la politique" au lieu de faire du pareil au même ? Comme dans le conte, les animaux de la ferme politique française répondent en chœur : "pas moi, pas moi, pas moi !" Il manque juste la petite poule rousse qui s'y collerait, mais ce n'est pas un travail pour Madame El Khomri, ni pour son Premier Ministre, ni pour aucun ministre "réformateur", tous enfants de la Sphère, et surtout pas pour le Président, car qui l'a fait Roi ?