Délaisser les Andes, quitter cimes et cordillères, oublier le bleu Titicaca. Les voyages forment la jeunesse, dit-on ici comme à Lima. Mais la rue de Buci, crois-moi, c'est pas le Pérou. La foule parisienne est constituée d'étranges zèbres dont la troupe anonyme se presse vers d'improbables destinations. J'ai pensé m'y trouver au poil, faire sur la terrasse des cafés des rencontres étonnantes, observer la naïveté des réactions ; puis narrer, dans de petits contes plein d'humour autant que de sagesse, les mœurs délicats des indigènes, rapporter fidèlement leurs philosophiques propos pour l'amusement des Quitchouas. Las ! Nul besoin d'être grand lama pour comprendre combien il est ardu, en ces contrées exotiques, d'attirer l’œil du passant. J'avais rêvé qu'on alpaguerait l'alpaga, qu'on l'accablerait de questions, qu'on s'arracherait mon portrait en photo. Mais je me prenais pour le Persan d'un siècle révolu. Aujourd'hui, les curieux sont rares. C'est que les parisiens sont revenus de tout. Ils ont été zazous ou yéyés, ont tâté des hippies, ont essayé l'iroquoise et testé le boubou, le burnous et la babouche. Ils connaissent les émirs, les Chinois et les ayatollahs, la culture et la contre-culture, le Bantoustan comme la place Clichy. Lassé de ma décevante transparence, j'ai acheté un bibi : une huppe cocasse, un toupet manifeste planté entre les oreilles, tel un panache de cirque. En vain. Les badauds me croisent, indifférents, tout à leurs affaires dans l'agitation de cette fin d'été. Non, tu peux m'en croire : il n'y a pas plus monsieur-tout-le-monde qu'un lama dans Paris.
Texte de Juliette Keating - 3 mai 2015